Les CANDU risquent l’emballement
Pour éviter un Tchernobyl, la Commission canadienne de sécurité nucléaire propose de changer de combustible
Les réacteurs canadiens de type CANDU risquent d’être victimes d’un emballement similaire à celui qui a détruit en 30 secondes celui de Tchernobyl en avril 1986, selon un rapport secret de la Commission canadienne de sécurité nucléaire (CCSN).
L’ampleur du risque potentiel, identifié par la commission fédérale, est tel qu’elle a recommandé aux sociétés d’État et privées qui possèdent des CANDU au pays de changer leur combustible nucléaire «naturel» au profit d’un combustible moins réactif, soit de l’uranium légèrement enrichi, utilisé sous forme de «grappes LVRF» (low void reactivity fuel).
Les producteurs d’énergie nucléaire ont jusqu’au 1er avril pour démontrer à la Commission, sur la foi de tests indiscutables, que ses appréhensions et celles de la communauté scientifique internationale ne sont pas fondées. Sinon, les producteurs de nucléaire devront changer de combustible et modifier, ce faisant, le coeur de ce qu’on appelle la filière nucléaire développée par le Canada.
Rapport secret
C’est ce que révèle un rapport secret produit par la Commission canadienne de sécurité nucléaire. Ce rapport a été obtenu l’automne dernier par un ancien chroniqueur scientifique du Devoir, Gilles Provost, après son départ à la retraite de l’émission Découverte de Radio-Canada. Ce dernier l’a rendu disponible hier sur Internet (http://pages.videotron.com/artscie/) avec une série d’articles qui en résument l’essentiel.
Ce document de la CCSN, qui remet en question la sécurité de la filière CANDU, survient au moment où le discours du Trône a soulevé hier un vent d’inquiétudes dans l’opposition à Ottawa devant le projet du gouvernement Harper d’augmenter les ventes de CANDU à l’étranger et de réduire les normes environnementales qui touchent notamment au nucléaire, ainsi que devant le projet conservateur d’ouvrir à la propriété étrangère la production d’uranium au Canada et de restructurer Énergie atomique du Canada (EACL), la société de la Couronne qui gère la filière CANDU. Les critiques des trois partis se sont demandé si Ottawa préparait ainsi la privatisation d’EACL afin notamment d’accélérer la construction de réacteurs dans l’Ouest canadien au profit de l’industrie des sables bitumineux.
Le coeur du problème
Selon les documents rendus publics par le journaliste Provost, les CANDU pourraient s’emballer en cas d’arrêt brusque provoqué par un accident ou un acte de terrorisme, par exemple. Leur production d’énergie pourrait alors être multipliée par cent pendant deux ou trois secondes, explique le vulgarisateur scientifique, ce qui enclencherait la fonte de l’uranium radioactif et l’éclatement de plusieurs tubes de force. Les barrières d’étanchéité pourraient alors confiner les fuites dans la centrale, ce que les gestionnaires de Tchernobyl n’ont pas pu faire, mais les dommages seraient néanmoins d’une gravité exceptionnelle.
Le problème vient du fait que l’uranium naturel des CANDU a un «fort coefficient de réactivité du vide»: dès que les tubes de force se vident, le vide ainsi créé engendre une forte réaction et une augmentation phénoménale de la puissance, d’où le risque d’emballement.
Ce problème a été jugé de plus en plus grave au fur et à mesure qu’on a commencé à l’étudier. C’est précisément parce que Gentilly-1 avait été jugée incontrôlable en raison de son coefficient de réactivité du vide qu’on l’a fermée définitivement en 1973 après seulement six mois de production.
Interdits aux États-Unis
C’est aussi ce problème, rappelle Gilles Provost, qui a empêché la mise en marche des deux réacteurs Maple, construits pour fabriquer des isotopes à des fins médicales. Aux États-Unis, on interdit tout réacteur qui affiche un coefficient de réactivité du vide et ce problème est une des cibles principales de la convention internationale sur la sécurité nucléaire de 1994.
Mais le Canada et ses producteurs d’énergie nucléaire soutiennent depuis des années que ce coefficient est plus faible qu’on le dit, que les doubles systèmes d’arrêt d’urgence sont suffisants et que de toute façon, les tours de béton qui confinent les réacteurs sont étanches et plus résistantes que tout ce dont disposait la centrale de Tchernobyl.
Mais des tests réalisés en 1993 ont remis en question l’efficacité de cette marge de manoeuvre et chaque réexamen l’a fait fondre davantage, au point qu’on la juge à peu près nulle maintenant.
Selon le document secret de la CCSN, des barres d’arrêt supplémentaires ont été ajoutées pour cette raison et en secret dans certaines centrales canadiennes, comme à Pickering en 1995, alors que d’autres ont reçu l’ordre de fonctionner à plus bas régime par précaution. C’est aussi pourquoi l’ancienne Commission de contrôle de l’énergie atomique avait exigé en l’espace de deux ans l’installation d’un système d’arrêt en six secondes.
Les propriétaires de centrales, qui doivent déposer d’ici le 1er avril une preuve béton de la sécurité de leurs systèmes sous peine de devoir changer de combustible, estiment que les pertes de réfrigérant ne peuvent pas, comme à Tchernobyl, se produire si rapidement qu’il serait impossible pour les systèmes de sécurité d’empêcher un emballement du réacteur.
Néanmoins, certains se préparent au grand changement de combustible. En 2006, Bruce Power en Ontario a testé avec succès des grappes LVRF, dont le crayon central contient du dysprosium en guise d’éponge à neutrons. Surprise, avec ce combustible d’uranium faiblement enrichi, on pourrait augmenter la puissance des réacteurs avec moins de risques et augmenter la vie utile de chaque grappe.