Les collaborateurs du génocide, du Caire à Berlin

Une série d'incidents récents a mis en lumière deux des plus solides alliés d'Israël : l'Égypte, premier pays arabe à avoir “normalisé” la situation et aujourd'hui partenaire commercial régional le plus fiable de Tel-Aviv, et l'Allemagne, pays qui a défini le terme de “génocide” au XXe siècle.

En 1973, les forces armées égyptiennes et syriennes lancent une attaque surprise contre Israël, qui sera connue sous le nom de “guerre du Kippour”. Dans un discours prononcé par l’ancien président égyptien Gamal Abdel Nasser devant des syndicalistes arabes le 26 mai 1967, Abdel Nasser a déclaré :

“La bataille contre Israël sera globale, et notre objectif premier sera de détruire Israël”.

Plus de cinq décennies après que l’Égypte a lancé sa guerre et s’est engagée à détruire l’État d’occupation, des rapports ont révélé que Le Caire fournit aujourd’hui un soutien économique et logistique à Israël pendant sa guerre contre le Liban et la bande de Gaza.

Les ports égyptiens : une plateforme logistique au service d’Israël

Selon le site web de suivi des navires Marine Traffic et la société de données financières LSEG Data & Analytics, le navire allemand MV Katherine a accosté dans le port d’Alexandrie le 28 octobre. Des données navales de source ouverte et des groupes de défense des droits de l’homme affirment que le navire transportait des matières explosives destinées à l’armée israélienne et qu’il a été déchargé sur un quai militaire égyptien après s’être vu refuser les droits d’accostage par plusieurs pays.

Le site web du port d’Alexandrie, qui surveille les mouvements des navires et la navigation maritime, indique que le Bureau consultatif maritime égyptien (EMCO) a pris en charge la réception du navire et le “déchargement” de sa cargaison “militaire”. D’autres informations ont ensuite révélé que les marchandises ont été transférées le jour même du port d’Alexandrie vers le port méditerranéen israélien d’Ashdod.

Le navire MV Katherine aurait transporté huit conteneurs contenant 150 000 kilogrammes d’explosifs RDX pour Israeli Military Industries, qui est la branche de production de munitions d’Elbit Systems, le plus grand fabricant de matériel militaire israélien. En septembre, le ministre portugais des affaires étrangères, Paulo Rangel, a déclaré avoir été informé par l’armateur que la moitié de la cargaison était constituée d’articles à double usage destinés à une entreprise d’armement israélienne.

Il est intéressant de noter que le navire a été empêché d’accoster en Namibie, en Slovénie, à Malte et au Monténégro, ces pays craignant que Tel-Aviv n’utilise les explosifs pour commettre de nouveaux massacres contre des civils.

L’Égypte est alors intervenue pour résoudre le dilemme du MV Katherine en offrant un site pour l’accostage et le déchargement de sa cargaison. Dans un long rapport publié sur le site officiel d’ Amnesty International, le groupe de défense des droits de l’homme écrit :

“Le gouvernement égyptien a autorisé le navire battant pavillon allemand MV Katherine, dont on pense qu’il transporte des explosifs à destination d’Israël, à accoster et à décharger dans le port d’Alexandrie, malgré le risque que cette cargaison puisse contribuer à la commission de crimes de guerre à Gaza”.

Rappelons que l’accueil du navire par Alexandrie est intervenu après unedéclaration de Natasha Bussell, responsable d’Amnesty en Slovénie :

“La cargaison mortelle qui se trouverait à bord du navire MV Katherine ne doit pas atteindre Israël, car il existe un risque évident qu’une telle cargaison puisse contribuer à la commission de crimes de guerre contre des civils palestiniens.”

Le porte-parole de l’armée égyptienne a répondu à ces accusations dans une déclaration publiée sur sa page Facebook :

“Les forces armées égyptiennes démentent catégoriquement ce qui a circulé sur les réseaux sociaux et les comptes suspects et ce qui est promu concernant l’assistance à Israël dans ses opérations militaires en général et en détail… et soulignent qu’il n’y a aucune forme de coopération avec Israël.”

Malgré ce démenti, de nombreuses preuves attestent qu’Alexandrie a reçu le navire, qu’il s’agisse du suivi des lieux d’expédition, des données des entreprises mondiales ou des rapports de plusieurs parties et gouvernements. Force est de constater que, pendant les 13 mois d’assaut militaire brutal de Tel-Aviv contre Gaza, cinq ports égyptiens ont été transformés en plaques tournantes pour les exportations et les importations israéliennes. Permettre au MV Katherine d’accoster dans l’un de ces ports égyptiens n’est que la poursuite du rôle que Le Caire a adopté pour servir les intérêts de guerre d’Israël.

Les données sur le commerce extérieur israélien indiquent qu’au cours des neuf premiers mois de cette année, les échanges de l’État d’occupation avec cinq pays arabes ont connu la plus forte croissance : les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Jordanie, le Maroc et le Bahreïn. Selon ces chiffres, les échanges commerciaux d’Israël avec le Bahreïn ont été multipliés par dix, ceux avec le Maroc par 53 %, ceux avec l’Égypte par 52 % et ceux avec les Émirats arabes unis par 4 %. Le commerce global avec la Jordanie a légèrement diminué d’un pour cent en raison d’une baisse des importations jordaniennes en provenance d’Israël, mais cette baisse est atténuée par une augmentation massive de 45 % des exportations israéliennes vers la Jordanie. Le montant total du commerce israélien avec les cinq pays arabes est passé à 3,4 milliards de dollars, soit une croissance de 12 %.

Il faut aussi noter l’écart significatif entre les chiffres commerciaux publiés par Israël et par les pays arabes. La valeur des transactions déclarées par l’Égypte est beaucoup plus élevée que celle déclarée par les autorités israéliennes, ce qui montre que le Caire ne tient pas à déclarer l’étendue de ses relations commerciales croissantes avec Israël, malgré les attaques meurtrières de l’État d’occupation contre Gaza, le Liban, la Cisjordanie, la Syrie, le Yémen et d’autres pays de la région.

Les données sur le commerce extérieur de l’Égypte révèlent que, du début de l’année à juillet, les transactions commerciales du Caire avec Israël ont atteint un total de 1,883 milliard de dollars, dont 155 millions de dollars d’exportations et 1,728 milliard de dollars d’importations. Israël, quant à lui, affirme que les échanges entre les deux pays n’ont atteint qu’un total de 431 millions de dollars, soit une différence de 1,452 milliard de dollars. Selon leurs chiffres, les exportations se sont élevées à 242 millions de dollars, tandis que les importations se sont élevées à 189 millions de dollars.

Alors que le rôle de l’Égypte dans l’assistance aux Israéliens en temps de guerre ne fait que se préciser, le Caire a essuyé de vives critiques sur les réseaux sociaux arabes à la suite d’une vidéo montrant le passage du navire de guerre israélien Sa’ar 5 dans le canal de Suez, arborant les drapeaux égyptien et israélien tandis que la marine égyptienne assurait la protection du navire militaire israélien.

L’Autorité égyptienne du canal de Suez (SCA) a réagi en affirmant que tous les navires – commerciaux ou militaires – ont le droit de transiter par le canal, ajoutant qu’il est réglementaire que le drapeau égyptien soit hissé sur tous les navires passant par la voie navigable.

Qu’en est-il de l’Allemagne ?

Le navire MV Katherine battait pavillon allemand, c’est-à-dire le pavillon du principal fournisseur européen d’armes et de soutien international à Israël. Entre août et octobre, le gouvernement allemand a accepté d’exporter pour 94 millions d’euros d’armes à Tel-Aviv. Curieusement, Berlin n’a exporté que 14 millions d’euros d’armes vers Israël au cours des huit premiers mois de 2024, ce qui suggère que l’énorme pic de transferts d’armes est en grande partie lié à l’escalade militaire d’Israël contre le Liban.

Les liens germano-israéliens sur le théâtre militaire libanais se poursuivent. Après que les forces spéciales d’occupation ont mené une opération d’enlèvement d’un officier libanais, Imad Amhaz, dans la ville de Batroun, au nord du Liban, des rapports ont révélé que les forces navales allemandes ont fourni le soutien nécessaire à la mission israélienne illégale. Selon ces rapports, le succès d’Israël dans sa traversée des eaux territoriales libanaises a nécessité soit une coordination volontaire, soit une négligence délibérée de la part de la marine allemande opérant au sein des forces de maintien de la paix de l’ONU au Liban (FINUL). Le groupe d’intervention maritime de la FINUL – sous le commandement de l’Allemagne – a été mandaté par la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies pour aider le Liban à protéger ses voies maritimes et ses eaux territoriales.

La toile de fond de cette histoire est, bien sûr, le soutien politique, médiatique et diplomatique ouvertement affiché par Berlin à l’égard d’Israël, malgré les violations flagrantes des lois et conventions internationales par Tel-Aviv, et l’examen sans précédent par les plus hautes juridictions du monde du génocide perpétré par Israël à Gaza et de l’occupation intolérable des territoires palestiniens. Aujourd’hui, Berlin n’est plus seulement le partenaire soutenant l’État d’occupation, mais celui qui veille à ce qu’Israël parvienne à atteindre ses objectifs de guerre.

Selon le journal Al Akhbar, les services de renseignement allemands ont relancé leurs activités de collecte d’informations à Beyrouth, et leur équipe des Forces internationales d’urgence déploie des activités additionnelles sous le prétexte de sécuriser la zone maritime.

Les forces allemandes utilisent leurs radars au Liban non pas pour surveiller les violations israéliennes, les entraver ou même les signaler, mais plutôt pour fournir à Tel-Aviv des données de détection précoce concernant les roquettes et les drones du Hezbollah – en particulier les drones qu’Israël a beaucoup de mal à repérer et à abattre.

On peut affirmer que l’incident le plus grave a eu lieu le 17 octobre, lorsqu’un navire allemand a abattu un drone du Hezbollah qui se dirigeait vers Israël.

Plus récemment, de nombreux rapports suggèrent que le Hezbollah a pris la décision de cesser tout contact avec l’Allemagne et de rejeter tout rôle qu’elle pourrait jouer à l’avenir au sein de la FINUL.

Le mandat de la FINUL consistait initialement à surveiller les violations israéliennes de la souveraineté du Liban – sur terre, en mer et dans les airs. Toutefois, les récents incidents – impliquant notamment les forces allemandes – ont suscité de vives inquiétudes au Liban, en particulier parmi les factions de la résistance. Le rôle de la FINUL dans la restriction de l’agression israélienne est aujourd’hui remis en question, car ses actions ont montré, à de multiples reprises, qu’elle favorise plutôt le déchaînement de la violence israélienne sur le Liban.

Mohamad Hasan Sweidan

 

Article original en anglais : Genocide’s collaborators, from Cairo to Berlin, The Cradle, le 8 novembre 2024

Traduction : Spirit of Free Speech

 



Articles Par : Mohamad Hasan Sweidan

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