Les combats s’intensifient en Syrie à l’approche de la date du cessez-le-feu

Les combats continuaient de s’intensifier en Syrie lundi, menaçant de déclencher une guerre bien plus large et dangereuse encore alors même qu’on approche de la date convenue aux négociations de Munich la semaine dernière pour une « cessation des hostilités ».

L’artillerie turque a bombardé pour la troisième journée consécutive des villes situées au sud de la frontière turco-syrienne dans le but de stopper une offensive des Unités de protection du peuple kurde (YPG), l’aile militaire du Parti de l’union démocratique (PYD) en Syrie.

L’annonce lundi par les Nations Unies qu’au moins 50 personnes avaient été tuées dans des attaques contre des hôpitaux et des écoles montre le coût humain de l’escalade de la guerre. La Turquie et ses alliés occidentaux ont tenu la Russie et les forces du gouvernement syrien responsables des attaques; Moscou et Damas insistaient qu’elles avaient été lancées par la Turquie et la prétendue «coalition» dirigée par les Etats-Unis.

Deux des hôpitaux touchés étaient situés dans la ville d’Azaz au nord-ouest de la Syrie, un point stratégique à la frontière turco-syrienne. Le premier ministre turc Ahmet Davutoglu a promis devant les journalistes lundi qu’Ankara « ne permettrait pas la chute d’Azaz » et allait monter « une réponse forte » à l’avance kurde.

L’intensification des affrontements à la frontière turco-syrienne a rendu le conflit qui dure depuis cinq ans hautement explosif et risque de provoquer une confrontation mondiale impliquant un nombre incroyable d’alliances antagonistes et contradictoires.

Le danger le plus sérieux vient de la montée des tensions entre la Russie et la Turquie, toutes deux à présent engagées dans des frappes militaires contre des groupes armés rivaux opérant en Syrie.

Depuis le 30 septembre, la Russie bombarde les milices islamistes sunnites soutenues, financées et armées par la Turquie et d’autres alliés régionaux de Washington, l’Arabie saoudite et le Qatar, le tout coordonné par la CIA.

En novembre, l’embuscade délibérée d’un avion de combat russe par l’aviation turque à la frontière turco-syrienne avait conduit les deux pays au bord de la guerre.

Ces dernières semaines, une offensive des forces gouvernementales syriennes, appuyée par des avions de combat russes et par les combattants du Hezbollah libanais et des milices chiites basées en Iraq, a réussi à couper une des principales route d’approvisionnement entre la Turquie et la Syrie et à quasiment encercler la partie est d’Alep (autrefois plus grande ville syrienne et centre commercial du pays) tenue par les « rebelles ».

En même temps, l’YPG et ses alliés des soi-disant Forces démocratiques syriennes ont envahi les zones proches de la frontière syrienne précédemment contrôlées par le Front al-Nosra, filiale syrienne d’Al-Qaïda et par des milices islamistes sunnites alliées.

Le gouvernement turc a qualifié le parti et les milices kurdes syriens d’organisations « terroristes » en raison de leurs liens avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en Turquie. Le gouvernement a rompu une trêve de deux ans avec le PKK l’an dernier, utilisant sa prétendue entrée dans la campagne américaine contre l’Etat islamique (EI) comme couverture pour des frappes aériennes des camps du PKK en Irak. Depuis, Ankara a lancé une répression sanglante contre la population kurde de Turquie, causant la mort de centaines de civils.

L’objectif principal du gouvernement turc en Syrie n’est pas de combattre l’Etat islamique, qu’il a soutenu en armes et en fonds, mais d’empêcher la consolidation d’une enclave kurde à sa frontière sud.

La dernière escalade a également été alimentée par les tensions entre les Etats-Unis et la Turquie, son allié dans l’OTAN à propos du rôle de l’YPG. Washington a soutenu la désignation du PKK comme organisation terroriste par la Turquie, mais a hésité à désigner de la même façon l’YPG, qui collabore avec les Etats-Unis dans la campagne anti-EI et s’est avérée l’une des rares forces terrestres fiables et efficaces en Syrie.

Le gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdogan s’est indigné de la visite faite le 30 janvier dans la ville syrienne de Kobane par l’envoyé diplomatique d’Obama chargé de la guerre américaine en Irak et en Syrie. Il y a rencontré des représentants kurdes syriens dont un censément recherché par les autorités turques pour ses activités militantes au PKK.

Erdogan a publiquement défié le gouvernement Obama et exigé qu’il choisisse entre son alliance avec Ankara et les « terroristes de l’YPG. » Le Département d’Etat a répondu qu’il se solidarisait avec la répression interne du régime turc contre les Kurdes tout en insistant qu’il considérait la milice kurde syrienne comme une « force efficace… dans la lutte contre Daech [EI] et dans la prise et la reconquête de territoire. »

La semaine dernière, interrogé sur les tensions américano-turques sur l’YPG, le premier ministre turc Davutoglu a répondu énigmatiquement: « Attendez, vous allez voir. » Le sens de ses paroles fut éclairé par le bombardement turc de la région frontalière syrienne avec de l’artillerie à long portée, ces trois derniers jours.

Parlant après la Conférence de Munich sur la sécurité ce week-end, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu a déclaré que la Turquie et l’Arabie Saoudite « pourraient entamer une opération terrestre » en Syrie, ajoutant que la monarchie saoudienne envoyait ses avions de combat à la base turque d’Incirlik.

Moscou a dénoncé les bombardements turcs comme un acte d’agression « provocateur » et un « soutien évident au terrorisme international », promettant de porter l’affaire devant le Conseil de sécurité des Nations Unies mardi.

Le gouvernement Obama a, quant à lui, appelé la Turquie à mettre fin à ses bombardements et l’YPG à arrêter de prendre du territoire aux milices liées à Al-Qaïda. Ankara a réagit en condamnant furieusement la position du Département d’Etat, disant qu’il avait « associé la Turquie à une organisation terroriste ».

Une invasion terrestre de la Turquie ou de l’Arabie Saoudite entraînerait presque certainement une confrontation militaire avec les forces russes et iraniennes soutenant le gouvernement Assad. Cela risquerait non seulement de déclencher une guerre régionale bien plus large, mais encore une réaction des États-Unis en appui à deux alliés clés régionaux, causant une confrontation entre les deux plus grandes puissances nucléaires.

Autre indication des dangers d’escalade militaire, la chancelière allemande Angela Merkel a déclaré à la Stuttgarter Zeitung qu’elle appuyait désormais la proposition turque d’imposer une « zone d’exclusion aérienne » en Syrie. « Dans la situation actuelle, il serait utile qu’il y ait une zone au-dessus de laquelle aucun des belligérants ne lancerait d’attaques aériennes – une sorte de zone d’exclusion aérienne, » a-t-elle dit.

La Turquie fait pression depuis des années pour la création d’une telle zone, y voyant un moyen de se découper une zone-tampon pour stopper l’afflux de réfugiés syriens et pour imposer en même temps un contrôle militaire qui pourrait bloquer l’avance des Kurdes syriens.

Merkel a suggéré qu’une telle zone pourrait être créée par des négociations, déclarant: « S’il est possible pour la coalition anti-Assad et les partisans d’Assad de trouver un accord, ce serait utile. »

C’est là, bien sûr, un non-sens. La « coalition anti-Assad » n’existe pas. Les principales forces sur le terrain dans la zone frontalière sont les milices liées à Al-Qaïda dont le Front al-Nosra, et l’EI, qui ont rejeté toute négociation.

Aucune des milices sectaires opposées au gouvernement Assad n’a adopté la dite « cessation des hostilités » convenue par les Etats-Unis, la Russie et les quinze autres membres du Groupe international de soutien à la Syrie, à Munich la semaine dernière. Aucun Syrien, pour ou contre le gouvernement, n’est partie prenante de l’accord.

La date fixée pour la « cessation d’hostilité » est vendredi, mais les événements sur le terrain indiquent que la guerre de changement de régime soutenue par les Etats-Unis ne produira qu’une escalade supplémentaire de la mort et de la violence.

Bill Van Auken

Article paru en anglais, WSWS, le 16 février 2016



Articles Par : Bill Van Auken

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