Les crises financières en Europe : Faut-il sauver les banques ou les peuples?

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« Un mal qui répand la terreur, Mal que le Ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La Peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom) Capable d’enrichir en un jour l’Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.»

Jean de la Fontaine (Les animaux malades de la peste)

 Ce mal qui ronge les économies européennes est du à une financiarisation de l’économie qui ne correspond pas à l’économie réelle. S’y ajoute l’assujettissement des Etats aux banques qui doivent être sauvées à tout prix quitte à laisser péricliter les solidarités sociales. Cette fois-ci, la victime est l’Irlande, obligée de passer à travers les fourches caudines de l’ajustement du FMI et du Fonds européen.

« Pour rappel, la Grèce écrit l’éditorialiste du site Attac, est le premier cochon dégraissé. Sous le poids de ses déficits, la Grèce vient de solliciter l’activation du mécanisme d’aide du Fonds monétaire international et de l’Union européenne. En échange, des conditions drastiques devraient lui être imposées : le gouvernement grec a déjà augmenté les taxes sur la consommation, repoussé de deux ans l’âge de la retraite, baissé les salaires des fonctionnaires, arrêté de remplacer ceux qui partent à la retraite,…(…) La crise grecque est la première grande démonstration, face à la crise économique, de l’échec de l’Union européenne et de la zone euro. Elle découle de l’incapacité pour les pays européens d’accéder à des prêts de la Banque centrale européenne, les condamnant à emprunter à des taux exorbitants sur les marchés financiers. (…) C’est pourtant, la seule solution pour sortir de l’impasse de la zone euro et pour réduire les déséquilibres entre des pays comme l’Allemagne, avec une faible demande intérieure et d’énormes excédents d’exportations, et les fameux /pigs/ (ou cochons, c’est-à-dire la Grèce et les soi-disant mauvais élèves de la zone euro), qui absorbent ces excédents grâce à une forte consommation interne. Demain, l’Espagne, puis le Portugal, la Grèce, l’Irlande voire la France, devraient se retrouver dans la même situation que la Grèce. Mais, les perdants ne sont pas que les Grecs aujourd’hui ou les Irlandais demain : c’est l’ensemble des citoyens européens, qui paient au prix fort la crise économique. (…) Nous devons changer le modèle européen aujourd’hui en échec, et construire une Europe solidaire, sociale et écologique.»(1)

Cette contribution date d’avril.De quoi s’agit-il cette fois? On nous dit que l’Irlande est sur le point d’être en faillite! «Après la Grèce, c’est le tour de l’Irlande. Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans les Etats d’Europe du Sud, ni dans l’Irlande. Les investisseurs internationaux n’ont plus aucune confiance dans la capacité de ces cinq Etats à rembourser leurs dettes. Leurs taux d’intérêt explosent. Plus les jours passent, plus ces cinq Etats empruntent à des taux d’intérêt de plus en plus exorbitants. » (2)

Un langage d’épidémiologiste

Selon les médias irlandais, le plan de sauvegarde de l’Irlande devrait atteindre 85 milliards d’euros. C’est « 20.000 euros » par Irlandais, a calculé l’Irish Sun. (…) En compensation de cette aide, les banques du pays se verront imposer une nouvelle taxe. La Banque centrale européenne et une majorité de pays de la zone euro font pression sur le gouvernement portugais pour qu’il sollicite à son tour une aide de l’UE et du FMI, selon le Financial Times Deutschland du vendredi 26 novembre. Les pressions pour que le Portugal demande une aide rapidement, auraient pour arrière-pensée d’éviter à l’Espagne de se retrouver dans une situation difficile, poursuit le FTD. (…) Lisbonne « dément toute pression de la BCE ou des pays européens (…) José Luis Rodriguez Zapatero, le chef du gouvernement socialiste espagnol, a précisé, vendredi, sur la radio catalane RAC1 qu’il écartait «absolument» l’éventualité d’un plan de sauvetage financier de l’Espagne. »(3)

L’UE accorde 90 milliards d’euros pour racheter les dettes de l’Irlande (…) Toute l’Union européenne s’exprime désormais, dans le langage des épidémiologistes, on entend les termes « maladie contagieuse », « quarantaine », « cordon », suivis des noms des patients : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, l’Italie… La dette nationale réelle du Portugal atteint 112% du PIB, et le déficit budgétaire 9,5% du PIB. La Grèce avait une dette de 94,6% du PIB, et le déficit de 9,8%. (…) Lisbonne ne tiendra donc pas longtemps. L’Espagne devrait être la prochaine. (…) En fait, toutes les carences de la famille européenne pourraient profiter à l’Allemagne. La chancelière Angela Merkel a déjà obtenu le renforcement de la discipline financière dans l’Union européenne. (…) Désormais, Berlin exige encore plus. Le journal britannique The Guardian a eu connaissance d’un document spécial préparé par le ministère des Finances d’Allemagne. Aujourd’hui, Berlin propose d’adopter en tant que standard européen quelque chose d’inédit : le partage des pertes entre les débiteurs et les créanciers. Le plus surprenant est qu’Angela Merkel pourrait parfaitement réussir. Le directeur du Centre britannique des réformes européennes, Charles Grant, estime que les Européens n’ont pas d’autre choix que de transformer l’UE en une sorte de version agrandie de l’Allemagne. (…) Dans le cas contraire, Berlin tournera le dos à l’UE et se tournera vers la Russie et la Chine, et elle le fait déjà. De cette manière, l’Europe se retrouvera esseulée. » (4)

Le domino Irlande qui vient de tomber est annonciateur de nuages pour l’Europe. Il n’y a pas si longtemps, l’Irlande était qualifiée de paradis de la libre entreprise et de la réussite. Polly Toynbee déconstruit ce mythe d’une façon sévère. Ecoutons-la :

« Grâce à un très faible taux d’imposition sur les sociétés, l’Irlande est devenue un haut lieu du dumping fiscal en Europe. Le fait que ce pays vienne d’accepter un plan d’aide international pour renflouer ses banques – dont 8 milliards d’euros du Royaume-Uni déjà lourdement endetté – suscite la colère d’une célèbre éditorialiste britannique. (…) Mystique des chiffres, le renflouement irlandais va coûter à la Grande-Bretagne environ 7 milliards de livres (8,2 milliards d’euros) – autant que la somme inutilement et douloureusement retranchée des dépenses publiques cette année, autant que ce que les banques de la City devraient également verser sous forme de bonus en février. (…) Quelles leçons tirer de la crise irlandaise? Bill Cash, membre europhobe du Parlement, se déchaîne, ulcéré par le plan de sauvetage, tandis que les eurosceptiques, à gauche comme à droite, se frottent les mains en ricanant, l’air de dire ´´on vous avait prévenus´´. (…) C’est nous, les Britanniques, qui offrons à l’Irlande la deuxième plus grande somme pour son renflouement parce que nous sommes particulièrement exposés à une faillite de ses banques : (…) » (5)

« Quelles leçons aura tirées George Osborne depuis l’éloge dithyrambique qu’il a publié en 2006 dans The Times sous le titre Look and Learn Across the Irish Sea [Ce que nous avons à apprendre en regardant de l’autre côté de la mer d’Irlande]? ´´L’Irlande apparaît comme un brillant exemple d’excellence dans l’art du possible de la politique économique à long terme…´´, s’enthousiasmait-il. ´´Les capitaux iront toujours là où il est plus intéressant d’investir. La fiscalité irlandaise sur les sociétés est de seulement 12%, tandis que celle de la Grande-Bretagne est en train d’atteindre l’un des taux les plus élevés du monde [28%].´´ Une faible fiscalité, voilà la solution, assurait Osborne. (…) L’Irlande joue le jeu du chacun pour soi et du dumping fiscal depuis bien des années. (…) Le véritable déshonneur de l’Irlande n’est pas d’avoir pris son boom immobilier pour un intarissable pactole. Ce qui est impardonnable, c’est son statut honteux de plus grand paradis fiscal européen, qui depuis des décennies aide les entreprises à se soustraire aux administrations fiscales du monde entier. C’est ce qu’on appelle le ´´double irlandais´´, souvent combiné au ´´sandwich hollandais´´.»(5)

« (…) Alors pourquoi n’exige-t-on pas de l’Irlande qu’elle remette de l’ordre dans sa fiscalité et cesse d’escroquer tous les pays voisins qui viennent aujourd’hui à son secours? (…) Le purgatif du FMI est un remède idéologique ; il ne permet de tirer aucune leçon. Lorsque l’état du patient s’aggrave et frôle la mort, comme c’était le cas pour l’Irlande après sa première vague d’austérité, le FMI augmente la dose de sangsues, de mercure et d’arsenic. L’Europe va-t-elle réellement signer un chèque à l’Irlande sans lui demander de mettre un terme à ses pratiques de piraterie fiscale ni de rejoindre le monde civilisé?» (5)

L’austérité au menu

« L’Irlande, écrit Attac, faisait figure, pour les marchés financiers, de bon élève de la zone euro, illustrant le triomphe d’une politique ultralibérale, basée sur des impôts réduits, des excédents budgétaires, ainsi que sur un secteur financier débridé. Pourtant le «tigre celtique» a fini par payer le prix de ses «vertus». Après l’éclatement de la bulle de spéculation immobilière, les banques irlandaises se sont rapidement retrouvées au bord de la faillite. Le gouvernement est alors passé à la caisse, et les excédents budgétaires se sont transformés en gouffre : 32% de déficit en 2010. Plus dure sera la chute, non pour les banques mais pour le peuple irlandais. En effet, le plan de «sauvetage» lancé par l’Union européenne et le FMI vise avant tout à sauver les banques…étrangères, surtout allemandes, britanniques, françaises, italiennes, qui avaient prêté massivement aux banques irlandaises pour profiter du «miracle irlandais». En contrepartie, des sommes débloquées pour refinancer le secteur bancaire, le peuple irlandais doit pour la seconde fois remettre le couvert de l’«austérité», de manière encore plus drastique : au programme, plus de 100.000 suppressions d’emplois publics, des coupes dans les allocations chômage et familiales, ainsi qu’une réduction du salaire minimum. Des mesures d’autant plus drastiques que le gouvernement refuse d’envisager toute augmentation de la fiscalité sur les sociétés (12,5% contre 28% en Europe). »(6)

Dans une contribution remarquable Ellen Brown pense que « les petits pays d’Europe accablés de dettes pourraient suivre l’exemple de l’Argentine et ignorer leurs dettes. (…) La ruine financière totale, autrefois un problème réservé aux pays en développement, frappe maintenant l’Europe. Le FMI impose ses «mesures d’austérité» aux pays périphériques de l’UE, la Grèce, l’Islande et la Lettonie étant les plus touchées. (…) Des dizaines de pays ont été dans l’incapacité de payer leurs dettes au cours des récentes décennies, le dernier étant Dubai, qui a demandé le 26 novembre un moratoire sur sa dette. (..) Les problèmes de la Grèce ont commencé quand de faibles taux d’intérêts inadaptés à la Grèce ont été maintenus pour sauver l’Allemagne de l’effondrement économique. La Grèce pourrait être le premier des pays périphériques à se révolter. (…) Le Premier ministre Papandhréou a déclaré le 11 décembre : «Les salariés ne feront pas les frais de la situation : nous n’allons pas procéder à un gel ou à une baisse des salaires. Nous ne sommes pas venus au pouvoir pour démanteler l’Etat social.» Evans-Pritchard note que «M.Papandhréou a de bonnes raisons de défier l’UE. »(7)

« (…)Prenant l’exemple de la Lettonie Ellen Brown écrit : « La Lettonie est membre de l’UE et devrait adopter l’euro, mais elle n’en est pas encore à ce stade. L’UE et le FMI ont demandé au gouvernement d’emprunter des monnaies étrangères pour stabiliser le taux de change de sa monnaie afin d’aider les emprunteurs à payer les hypothèques souscrites en monnaies étrangères dans des banques étrangères. On exige que le gouvernement, pour obtenir de l’argent du FMI, procède aux économies habituelles. (…) Il en résulte que la Banque nationale prévoit un recul de l’économie de 17,5% (..) Comme dans les autres pays saignés à blanc par les restrictions néolibérales de productivité, l’emploi et la production sont paralysés, ce qui met l’économie à genoux.(..) »(7)

Ellen Brown cite Evans-Pritchard qui a la solution pour contrer le FMI : suivre l’exemple de l’Argentine :

« Evans-Pritchard suggère un remède similaire pour la Grèce qui pourrait lui permettre de faire sauter le carcan mortel où elle se trouve en suivant l’exemple de l’Argentine. Elle pourrait ´´rétablir sa monnaie, la dévaluer, adopter une loi transformant les dettes en euro en monnaie locale et en restructurant les contrats avec l’étranger´´. Résister au FMI n’est pas un moyen très utilisé, mais l’Argentine a montré la voie. En 2001, au vu des pronostics désastreux selon lesquels l’économie pourrait s’effondrer en l’absence de crédits étrangers, elle a défié ses créanciers et s’est détournée de ses dettes. A l’automne 2004, trois ans après un défaut de payement record de plus de 100 milliards de dollars, le pays était sur la voie du redressement et il avait réussi cette prouesse sans aide étrangère. La croissance économique fut de 8% pendant deux années consécutives. Le volume des exportations augmenta, la monnaie était stable, les investisseurs revenaient et le chômage diminua. Selon l’économiste Mark Weisbrot interrogé en 2004 par le New York Times, «c’est un événement historique remarquable qui remet en cause 25 ans de mauvaise politique. Alors que d’autres pays avancent cahin-caha, l’Argentine vit une croissance très saine dont rien ne permet de penser qu’elle ne durera pas, et elle l’a réussie sans faire aucune concession pour attirer des capitaux étrangers.» Weisbrot est le codirecteur du laboratoire d’idées «Center for Economic and Policy Research» qui a publié en octobre 2009 une étude sur les 41 pays débiteurs du FMI. Selon cette étude, les politiques d’austérité imposées par le FMI, notamment la réduction des dépenses et le resserrement de la politique monétaire, risquaient de faire plus de mal que de bien aux économies de ces pays. (…) Tandis que l’Argentine faisait bande à part, la Turquie suivait les conseils du FMI. Le résultat final a été que l’Argentine a rebondi alors que la Turquie connaît encore la crise financière.(…)»(7)

Faut-il sauver les peuples ou les banques ? C’est en réalité en ces termes que les termes du débat se présentent. On l’a vu avec le sauvetage des banques américaines et européennes, qui une fois sauvées , distribuent d’une façon ostentatoire les dividendes aux actionnaires et autres traders. Et comme le dit si bien Stieglitz prix Nobel d’économie « les banques mutualisent leurs pertes mais privatisent leurs bénéfices ». On pensait, à tort, que le FMI ne s’attaque qu’aux pays en développement, on avait tort ; le FMI s’attaque à toutes les petites économies quelles que soient leur latitude. Le feuilleton européen né, il faut le dire, du feuilleton américain des subprimes 2008, qui a donné le «  la » de la débâcle qui, de proche en proche, a gagné l’Europe. Les décennies 80 et 90 furent consacrées à l’ajustement structurel des PVD, l’Algérie en sait quelque chose, quand Michel Camdessus ancien directeur général du FMI  venait à Alger, on se tenait le ventre, car il y avait toujours une mauvaise nouvelle à la clé. On a appris bien plus tard, qu’il devint conseiller du pape! Drôle de charité chrétienne! Les premiers à trinquer sont les petits pays Grèce, Irlande, Portugal, ces trois pays n’excèdent pas les vingt millions et les autres sont pour le moment «big tall to fail». A qui le tour?

Notes/Références

1. Attac France, La Grèce, premier cochon dégraissé http://www.france.attac.org/spip. php?article1117823 avril 2010

2. Cinq Etats en plein naufrage : bellaciao.org.fr 25.11.2010

3. Après l’Irlande, le Portugal inquiète l’Europe Le monde.fr, AFP, Reuters 26.11.10

4. L’effondrement du domino européen. La Grèce, l’Irlande, le Portugal… 25 11 2010 http://fr.rian.ru/ Jeudi 25 Novembre 2010

5.Polly Toynbee : Pas un penny pour ce paradis fiscal! The Guardian 25.11.2010

6. Attac France, http://www.france.attac.org/ spip.php?article11925.24.11 2010

7. Ellen Brown Révolte contre l’UE et le FMI http://www.mondialisation.ca/index.php? context =va&aid = 17522 9022010

Pr Chems Eddine Chitour :Ecole Polytechnique enp-edu.dz



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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