Les cryptomonnaies privées  : une menace pour l’économie réelle et la souveraineté nationale

Thème:

Avec l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump favorable aux cryptomonnaies (ce dernier ayant promis de constituer une réserve monétaire stratégique en bitcoins), le cours du bitcoin s’envole à un niveau jamais atteint. Le cryptomonnaie a franchi de nouveaux sommets en 2024, avec une hausse de plus de 115 % et un pic historique à 108.135 dollars. L’adoption des ETF Bitcoin par des géants comme BlackRock a symbolisé l’institutionnalisation de cet actif, désormais valorisé à plus de 1.800 milliards de dollars. De même, le départ anticipé de Gary Gensler de la présidence de la SEC a donné le signal d’une régulation à venir beaucoup plus conciliante.  Mais cet engouement ne semble pas sans risque et il ne faut pas oublier le triste sort de certaines « stablecoins » pourtant jugées plus sûres. En effet, aux faillites passées de certains géants des cryptomonnaies dont FTX  et Genesis Global Capital se sont ajoutées des plaintes d’investisseurs formulées contre des géants de « stablecoins » dont Binance , « stablecoins » pourtant créées afin de réduire la volatilité des cours notamment celles avec des collatéraux. 

Avec une vision à court terme, les Etats permettant les investissements dans des cryptomonnaies ne protègent pas les intérêts des acteurs de l’économie réelle, mais se mettent également dans une position risquée au regard de leur souveraineté nationale. 

Les principaux risques pour l’économie réelle 

  • Blanchiment d’argent et évasion fiscale  

Les cryptomonnaies privées, par leur essence et l’utilisation de la technologie de la blockchain, sont un « terreau » favorable au blanchiment d’argent et à l’évasion fiscale compte tenu de l’anonymat qu’elles procurent. 

  • Déconnection avec un sous-jacent de l’économie réelle 

Les cryptomonnaies privées, autres que les « stablecoins » avec des collatéraux (garanties) ne reposent sur aucun élément tangible et sont sujettes à la confiance « quasi aveugle » des utilisateurs. Les pertes sur ces instruments spéculatifs ont, par contre, un impact direct sur leurs détenteurs via, entre autres, leur niveau d’épargne et, par ricochet, leur richesse et leur niveau de consommation et d’investissement.  

  • Problèmes de sécurité des portefeuilles de cryptomonnaies 

Outre les pertes potentielles liées au cours des cryptomonnaies s’ajoutent les risques de vols des portefeuilles et d’escroqueries comme l’a montré le passé récent. 

  • Une industrie « gourmande » en énergie 

A l’heure d’une crise énergétique mondiale et de la lutte contre les changements climatiques, la création et sécurisation de cryptomonnaies très consommatrices en énergie via leur minage apparaissent paradoxales. A ce titre, les cryptomonnaies peuvent impacter sur le cours de l’énergie et donc sur l’inflation. 

Les enjeux de souveraineté nationale 

La monnaie est un instrument primordial de la politique d’un pays. Le niveau de la masse monétaire a une influence directe sur1: 

  • le niveau d’inflation  
  • le taux de change  
  • la consommation  
  • la croissance nationale à travers notamment le volume des crédits accordés  

Les cryptomonnaies qui seraient en circulation au côté d’une devise nationale devraient être incluses dans la masse monétaire du pays. A ce titre, il est important de garder à l’esprit le ratio : richesse nationale divisée par la masse monétaire. 

Dans le cadre du contrôle de la masse monétaire, les banques centrales ont un droit de regard actuellement sur cet agrégat via les taux directeurs (dont le taux de refinancement des banques) et les ratios de solvabilité fixés aux établissements bancaires. 

Donner la possibilité à des acteurs privés d’influencer la masse monétaire nationale ne serait pas démocratique car toucherait à la souveraineté de l’Etat. 

*

En conclusion, seules les cryptomonnaies émises par les banques centrales semblent garantir un minimum de risque pour l’économie réelle et répondre aux enjeux de souveraineté nationale. Les critiques souvent entendues du risque pesant sur les libertés individuelles et le contrôle total pris par les banques centrales et par ricochet les gouvernements sur la vie des concitoyens via ces cryptomonnaies émises par ces dernières, bien que légitimes, semblent ignorer que ces contrôles existent déjà via l’utilisation des outils informatiques et l’accès aux données qu’ils permettent.   

L’engouement pour les cryptomonnaies, à l’exception des actions liées à activités illicites et de spéculation, semblent plutôt s’apparenter à un phénomène de mode auquel les Etats doivent porter une attention particulière et avisée.  

Nathalie Souvorov-Robert

Image en vedette : Capture d’écran. Source : viralmag.fr

Note :

1Pour information et d’une manière un peu simpliste compte tenu des débats lancés entre les diverses écoles d’économistes sur les effets positifs ou négatifs de la croissance monétaire, voici une présentation plus étendue de cet impact : 

Le niveau de la masse monétaire a une influence directe sur : 

  • le niveau d’inflation (plus il y a de monnaie en circulation, plus le niveau des prix tant à être élevé. Il y a plus de monnaie et de consommation pour un nombre limité de produits et services par exemple). L’inflation pousse également à une hausse des taux d’intérêt.  
  • le taux de change (plus il y a de monnaie en circulation, plus le taux de change tant a être faible. Il faut plus de monnaie pour acheter une même devise, l’autre devise étant plus rare). Ce phénomène est accru par une hausse des importations stimulée par une croissance de la consommation. 
  • la consommation (plus il y a de monnaie disponible, plus les gens tendent à dépenser sous réserve d’une inflation maîtrisée).  
  • la croissance nationale à travers notamment le volume des crédits accordés (la hausse de la consommation favoriserait la croissance pour les Keynésiens alors que pour les tenants de la théorie de la quantité de l’argent, l’inflation qui en découle est source de pénalisation de la croissance).


Articles Par : Nathalie Souvorov-Robert

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