Les dictateurs en démocratie
Les peuples et les oligarchies
Ce qui se vit présentement en Amérique latine, tout particulièrement au Venezuela, met clairement en évidence la nature des deux démocraties qui sont, de toute évidence, incompatibles entre elles. Il y a dans l’un des deux cas une usurpation du sens originel donné à la démocratie par les philosophes grecs d’avant notre ère. Ces derniers définirent la « démocratie » comme le pouvoir du peuple pour le peuple. Jusqu’à nos jours, cette définition continue à s’imposer avec quelques variantes qui peuvent en modifier substantiellement le sens.
La démocratie représentative
Dans nos démocraties occidentales, dites représentatives, l’accent est mis sur la présence de partis politiques et sur des élections qui permettent à la population de choisir ses élus pour les représenter dans la gestion de l’État au profit du bien commun du peuple. Exprimée ainsi, la démocratie garde tout son sens. Cependant, l’histoire nous enseigne que des pouvoirs dominants et bien argentés ont su prendre le contrôle de partis politiques ainsi que du choix de leurs principaux candidats. Ils ont également su s’assurer d’une bonne emprise sur les mécanismes électoraux de manière à ce que leurs choix initiaux soient confirmés par l’élection de ceux qui leur permettront de maintenir le régime de leur choix, leur accès aux richesses et leur participation aux décisions fondamentales.
Ces groupes puissants peuvent s’identifier aux oligarchies nationales et internationales et être, ce que certains auteurs appellent l’État profond. Ce sont finalement eux qui prennent le contrôle des pouvoirs de l’État et ce sont eux qui décident des grandes orientations politiques et économiques, tout comme des guerres et des alliances avec d’autres pays. Sur ces questions, le peuple n’a rien à dire et ne peut rien dire, l’information étant elle-même sous leur contrôle.
Cette démocratie que défendent l’empire étasunien et tous ses Alliés en Amérique latine et ailleurs dans le monde prend les allures d’une véritable dictature qui impose les régimes politiques et économiques qu’elle veut bien et que les peuples n’ont qu’à accepter et suivre. Nous pourrions l’appeler la dictature des oligarchies mise au service prioritaire de leurs propres intérêts. Les intérêts du peuple devront s’ajuster à ces derniers.
La démocratie participative
Dans la démocratie participative, comme c’est particulièrement le cas au Venezuela, il y a également divers partis politiques et des élections qui se réalisent conformément au chronogramme prévu dans la Constitution. D’ailleurs, il faut noter que cette Constitution a été élaborée en collaboration directe avec le peuple et votée par ce dernier par référendum. Ce seul fait contraste avec la situation de la majorité des pays de la région dont la constitution est le produit d’une élite qui en a fait la rédaction et d’un Parlement qui en a confirmé la légalité.
Dans la Constitution vénézuélienne, le peuple peut en tout temps révoquer par référendum un élu, qu’il soit président, ministre ou maire. Cette démarche se fait conformément aux dispositions prévues dans la Constitution. Cette procédure a été utilisée, en 2004, par l’opposition contre Chavez. Le peuple ne leur a pas donné gain de cause et Chavez a pu poursuivre à la tête du pays.
Il faut également noter que le système électoral vénézuélien a été élaboré de manière à rendre impossibles toutes les formes de fraudes et de tricheries auxquelles donnent lieu les élections sous l’ancien régime. Dans le cas du Venezuela, les morts ne peuvent plus voter. Chaque électeur et électrice sont identifiés par leur empreinte digitale et le vote qu’ils émettent est aussitôt pris en charge par des équipements électroniques qui font que le système électoral vénézuélien fut reconnu par la Fondation Carter et de nombreux observateurs internationaux comme l’un des plus fiables au monde.
Cette mise en place d’un système électoral aussi blindé ne rend pas la tâche facile à ceux et celles qui avaient l’habitude de faire appel aux morts, à modifier le calcul des votes, etc.… Les fraudeurs ne peuvent pas compter sur des semaines, avec un accès facile, aux boîtes de votation pour s’assurer que le gagnant soit vraiment l’un des leurs. Le vote du peuple est celui qui est comptabilisé. Par exemple, au Honduras, un pays d’à peine 9 113 000 millions de personnes, il y a eu des élections, le 26 novembre dernier. Il a fallu plus de deux semaines pour faire le compte des 6 046 873 votants. Ce fut le temps dont ils ont eu besoin pour frauder le vote du peuple et donner les apparences de démocratie en présentant leur candidat comme l’élu du peuple. Au Venezuela, avec plus de 18 millions d’ayants droit à voter, il n’y a pas de temps mort. Les résultats sont connus la nuit même des élections.
Dans cette démocratie, le peuple est roi et maître. Il est impliqué par divers moyens dans les décisions politiques et économiques. En juillet 2017, il a participé à l’élection d’une Assemblée nationale constituante (ANC) composée de 545 personnes de tous les milieux, de toutes les régions, des diverses professions, etc. Plus de 8 089 329 personnes se sont déplacées dans des circonstances difficiles pour aller voter. Elles représentaient 41.53% de l’électorat vénézuélien. Un pourcentage qui demeure, malgré tout, bien au-dessus des 26% qui ont élu le président du Chili, en décembre dernier.
Il importe de signaler que cette Assemblée nationale constituante représente le pouvoir suprême du peuple auquel tous les autres pouvoirs de l’État doivent se soumettre. La convocation d’une telle ANC est du ressort du Président de la République. Il a utilisé ce pouvoir pour mettre fin aux actions criminelles d’une opposition qui semait la violence, la mort et la destruction dans le pays. Cette ANC constitue le pourvoir originel du peuple. Il n’est fondé sur aucun parti politique et tous citoyens et citoyennes peuvent se présenter pour représenter les secteurs de leur appartenance.
Cette démocratie se dit participative et c’est le peuple qui en est le maître. En ce sens nous pouvons dire que le peuple vénézuélien est le dictateur de sa démocratie. C’est lui qui a, en tout, le dernier mot. L’ANC a été convoquée pour une durée de deux ans. Le temps de stabiliser les pouvoirs de l’État et d’assurer la paix dans le pays.
On peut comprendre, dans pareil contexte, que les tenants de la démocratie représentative n’apprécient guère cette démocratie participative où c’est le peuple qui décide et non l’empire et ses oligarchies. Ce n’est pas pour rien qu’ils proclament à travers tous leurs médias, pour mieux confondre l’opinion publique internationale que Maduro est le dictateur et qu’il faut intervenir pour restaurer la démocratie dans ce pays, le Venezuela. Les dictateurs de la démocratie représentative ne veulent pas de la dictature du peuple avec cette démocratie participative.
Tout récemment le secrétaire d’État des États-Unis s’est rendu dans plusieurs pays de la région pour promouvoir une intervention militaire au Venezuela, autant que possible, avant la tenue d’élections présidentielles prévues pour le 22 avril. Aussi curieusement, que ça puisse paraître, cette date, du 22 avril a été suggérée par l’opposition vénézuélienne dans le cadre des négociations de paix entre gouvernement et opposition. Il faut dire que cette dernière a été soumise à des pressions très fortes venant de Washington. L’accord de paix qu’elle s’apprêtait à signer ne l’a pas été, dû à ces pressions. Au moment même de la signature, cette opposition reçut un appel en provenance de Colombie. Il s’agissait du président de Colombie, Manuel Santos, et du Secrétaire d’État des États-Unis, Rex Tillerson, alors en Colombie. La suite est que cet accord qui devait apporter la paix n’a pu être signé.
Pour conclure
Disons d’abord que nous vivons sous deux régimes de démocratie, celui qui est dominé par les oligarchies et l’État profond et celui qui est soumis au pouvoir du peuple. Les premiers aiment les élections sur lesquelles ils ont plein pouvoir, ce qui est le cas de la démocratie représentative, mais n’aiment pas les élections sous contrôle du peuple. Par exemple, les douze pays identifiés comme faisant partie du groupe de Lima, dont fait partie le Canada, sont contre les élections présidentielles au Venezuela, programmées pour le 22 avril et voulues par le peuple vénézuélien. Ils se substituent au peuple vénézuélien pour décider à sa place de la pertinence ou pas de ces élections. Le plus scandaleux dans tout ça c’est qu’ils se réclament de la démocratie pour imposer au peuple vénézuélien leur volonté. Ils veulent interdire au peuple d’élire le président de leur choix. C’est de cette manière qu’ils disent vouloir restaurer la démocratie au Venezuela.
Oscar Fortin