Les dirigeants des États-Unis devront aussi êre jugés pour crimes de guerre
On trouvera ci-dessous le texte de la lettre ouverte adressée par l’ADIF et Droit-solidarité (AIJD) aux candidats à l’élection présidentielle, suivi de notes répondant brièvement aux questions que peuvent se poser des non spécialistes. Pour les textes complets des traités, voir par exemple le site www.icrc.org. Pour des analyses plus approfondies, voir le livre « Justice internationale et impunité, le cas des Etats-Unis », L’Harmattan, Paris, 2007, qui fait suite à la conférence internationale organisée par l’ADIF au Palais-Bourbon en Septembre 2005, avec la coopération de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l’homme) et d’autres associations humanitaires.
Lettre ouverte aux candidat(e)s à l’élection présidentielle
L’impunité des responsables de crimes de guerre est de plus en plus intolérable. Les Conventions de Genève de 1949 et le Protocole additionnel I de 1977 imposent la compétence universelle dans les cas de torture, traitements inhumains, détentions illégales, et d’attaques et bombardements causant de graves pertes civiles : chaque Etat adhérant a « l’obligation de poursuivre les personnes prévenues d’avoir commis ou ordonné de commettre ces infractions et de les déférer à ses propres tribunaux, quelle que soit leur nationalité, ou de les remettre à une autre Partie… » Le cas des Etats-Unis est emblématique à cet égard : toutes les infractions mentionnées ont été commises en Irak à grande échelle, d’une manière systématique qui fait de leurs dirigeants les premiers responsables
La Cour pénale internationale poursuit à juste titre les responsables de crimes commis en Afrique, récemment au Darfour. Cependant, pour des raisons liées à son Statut, elle ne peut pas à ce jour (ou ne souhaite pas) poursuivre les crimes de certains Etats puissants. Or une vraie justice internationale est un élément majeur pour la paix et la sécurité de tous.
La France a ratifié tous les traités précédents mais n’a pas à ce jour mis ses lois nationales en conformité. Nous demandons que l’élu(e) à la Présidence agisse pour une mise en œuvre effective et rapide de tous ses engagements liés à la fois à sa ratification des Conventions et Protocole de Genève et du Statut de la CPI. Les responsables des crimes les plus graves, quels qu’ils soient, ne doivent pas pouvoir venir dans notre pays sans être jugés ou déférés devant une autre juridiction.
Notes:
1. Cour pénale internationale
La CPI a été créée en 1998, 104 Etats y adhérent à ce jour (mais pas les Etats-Unis, la Russie ou Israel). Elle est supposée poursuivre les responsables des crimes de guerre, contre l’humanité et de génocide les plus graves (et, sous réserve d’accord ultérieur, d’agression), si les juridictions nationales ne peuvent pas ou n’ont pas la volonté de le faire. Elle peut intervenir sur demande d’un Etat adhérant ou du Conseil de sécurité de l’ONU. Son Procureur peut aussi se saisir lui-même d’un dossier si au moins l’un des pays concernés a adhéré à la Cour ou déclare accepter sa compétence.
La Cour intervient à ce jour au Congo-Kinshasa et en Ouganda, Etats adhérant, et au Darfour sur demande du Conseil de sécurité. Elle ne peut a priori pas intervenir pour les crimes commis par l’armée russe en Tchétchénie, par les Etats-Unis en Irak ou par Israel au Liban : aucun des pays concernés n’a adhéré à la Cour ou déclaré accepter sa compétence et il n’y a pas eu de demande du Conseil de sécurité. Le Procureur pourrait intervenir, mais ne l’a pas fait à ce jour, pour les crimes commis par les Etats-Unis en Afghanistan (qui a adhéré en 2003), ou en Irak par la Grande-Bretagne (qui a aussi adhéré). Dans ce dernier cas (voir site CPI, Procureur, communication Irak), les crimes n’avaient pas selon lui la gravité nécessaire et il a rappelé que les attaques devaient causer des pertes civiles manifestement excessives pour être des crimes de guerre selon la CPI, formulation en retrait par rapport au Protocole de 1977.
En fait, la définition des crimes de guerre selon la CPI est en retrait, à propos des attaques touchant les civils, par rapport à celle du Protocole et même par rapport aux Conventions de La Haye de 1899 et 1907 : voir Note 2 et Annexe. De manière générale, les changements effectués atténuent la portée des textes précédents et sont utilisés (abusivement) par certains pour exonérer les dirigeants d’Etats puissants de leurs responsabilités dans ce domaine.
2. Conventions et Protocoles de Genève
Les Conventions de Genève de 1949 ont été ratifiées par tous les pays, le Protocole additionnel I de 1977 par 167 pays à ce jour (ne l’ont pas ratifié les Etats-Unis, Israel, l’Inde ou le Pakistan). Le texte cité dans la lettre ouverte est celui des Articles 130 et 147 des 3ème et 4ème Conventions de 1949 pour la protection des prisonniers et des civils respectivement, et 85 du Protocole I, qui s’applique aux conflits dits internationaux (y compris les luttes de libération nationale). Le Protocole II, pour les conflits internes (cas de la Tchétchénie selon les institutions internationales) est moins précis et n’inclut pas la compétence universelle.
Sont des crimes de guerre soumis à la compétence universelle dans le Protocole I les attaques contre les populations civiles : le Protocole précise que la présence éventuelle de non civils isolés ne prive pas la population de sa qualité civile, et toute attaque pouvant causer des pertes civiles aux personnes ou aux biens excessives par rapport à l’avantage militaire direct et concret attendu.
3. Situation en France
La France n’applique à ce jour la compétence universelle que dans des cas particuliers et sous des conditions restrictives (Convention de l’ONU de 1984 sur la torture,…, séjour en France des suspects pour pouvoir déposer plainte, ou nationalité française des victimes, absence d’ « immunité diplomatique »,…). A ce jour, la compétence universelle y a été mise en œuvre dans le cas d’un officier mauritanien en 2005 pour faits de torture en Mauritanie : arrestation initiale en France lors d’un stage militaire, jugement et condamnation en son absence. En cours : cas des « disparus du Beach » au Congo-Brazzaville, poursuites envisagées contre des responsables chiliens du temps de la dictature pour torture et assassinat de quatre français. Pas de mise en conformité à ce jour pour les Conventions et Protocoles de Genève. Un projet de loi avait été déposé en 2006 par le gouvernement pour mise en conformité avec le Statut de la CPI (de manière à pouvoir arrêter en France des responsables de crimes définis dans ce Statut), mais n’a pas été examiné par l’Assemblée nationale avant la fin de ses travaux en Février 2007, et est donc caduque.
Annexe sur la définition des crimes de guerre dans le Statut de la CPI
Y sont des crimes de guerre les attaques contre des populations civiles « en tant que telles », sans la précision du Protocole sur la présence éventuelle de non civils isolés, et les attaques pouvant causer des pertes civiles « manifestement excessives par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire attendu » (mots mis ici en italique absents du Protocole). L’idée d’ « ensemble» était déjà mentionnée par les grands pays européens lors de leur ratification du Protocole. Les autres changements sont nouveaux. Le Statut de la CPI a par ailleurs modifié l’article des Conventions de La Haye de 1899 et 1907 interdisant « d’attaquer ou bombarder des villes, villages, habitations ou bâtiments non défendus » en ajoutant « et qui ne sont pas des objectifs militaires », ouvrant là aussi la voie à diverses interprétations.
ADIF (Association pour la défense du droit international humanitaire, France)
Droit – solidarité (AIJD, Association internationale des juristes démocrates)
Pour plus d’informations, voir le site de l’ADIF, http://adifinfo.com, page « lettre ouverte » et pour des analyses plus approfondies le livre :
Justice internationale et impunité, le cas des Etats-Unis
paru récemment aux Editions L’Harmattan, Paris (2007) à la suite de la conférence internationale organisée au Palais-Bourbon par l’ADIF avec la coopération de la FIDH (Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme)