Les dirigeants européens désavouent les critiques sur les déportations de Roms en France

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A la veille du sommet de L’Union européenne (UE) de Bruxelles qui s’est tenu le 16 septembre, les représentants de l’UE et les chefs d’Etat ont désavoué les critiques sur les déportations de masse de Roms du président Nicolas Sarkozy exprimées par la Commissaire européenne à la Justice Viviane Reding.

La France a déjà rapatrié plus de 8000 Roms vers la Roumanie. Alors que le sommet a approuvé un accord commercial avec la Corée du Sud et a temporairement supprimé les barrières douanières sur les produits pakistanais, la couverture médiatique de la réunion a principalement porté sur la question des Roms.

Mardi, Reding avait qualifié la politique de Sarkozy de « discrimination basée sur l’origine ethnique ou la race ». Elle l’avait implicitement comparée à la politique fasciste de nettoyage ethnique telle la politique de Vichy de déportation des Roms durant l’occupation nazie, ajoutant, « Je pensais que l’Europe ne serait plus le témoin de ce genre de situation après la Seconde Guerre mondiale. »

Quels que soient les calculs politiques qui ont motivé cette déclaration de Reding, dont le désir de cacher la prévalence de politiques xénophobes similaires par d’autres Etats membres et les autorités européennes elles-mêmes, celle-ci est l’expression des inquiétudes partagées par des millions de personnes.

Il y a une signification historique et politique immense à ce retour de la France à un ciblage des minorités ethniques et cette politique est largement rejetée par les travailleurs. Que la France ait adopté une politique de nettoyage ethnique ciblé n’est pas une question d’interprétation, mais un fait avéré par des documents émanant du gouvernement.

Reding a réagi à une directive aux préfets de France, issue d’une fuite, et venant du ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux. Cette directive a largement circulé et a été affichée sur le site internet du Figaro (voir: http://www.lefigaro.fr/assets/pdf/circulaire-hortefeux.pdf).

La circulaire commence ainsi, « Le Président de la République a fixé des objectifs précis, le 28 juillet dernier, pour l’évacuation des campements illicites : 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d’ici 3 mois, en priorité ceux des Roms. »

Des preuves aussi compromettantes rendent d’autant plus significatif le fait que les dirigeants européens serrent les rangs contre les critiques de Reding et le désaveu consécutif de Reding elle-même. 

La Commission européenne a commencé par revenir sur ses critiques juste quelques heures après la déclaration de Reding. Mercredi, le président de la Commission européenne José Manuel Barroso a déclaré qu’il y avait eu « un malentendu » sur les remarques de Reding. Après une rencontre avec le président autrichien Heinz Fischer, il a dit, « Mme Reding n’a pas voulu établir un parallèle entre ce qui s’est passé pendant la Deuxième Guerre mondiale et la période actuelle. »

Mercredi, Reding a dit qu’elle « regrettait les interprétations qui détournent l’attention du problème qu’il faut maintenant résoudre ».  Elle a ajouté qu’elle n’avait « en aucun cas voulu établir un parallèle entre la Deuxième Guerre mondiale et les actions du gouvernement français d’aujourd’hui ».

Lors du sommet, Sarkozy a fait un discours annonçant qu’il poursuivrait les déportations. « Nous continuerons à démanteler les campements illégaux, quelle que soit l’origine de ceux qui les occupent », a-t-il dit.

Il a indiqué qu’il avait reçu le soutien d’autres gouvernements européens, déclarant que « La totalité des chefs d’Etat et de gouvernement a été choquée par ces propos outranciers », faisant des « raccourcis historiques qui ont profondément blessé l’ensemble de nos compatriotes ».

La première réaction de Sarkozy mercredi était encore plus provocatrice; en effet, il proposait de déporter les Roms au Luxembourg, d’où Reding est originaire. Selon le sénateur Bernard Sido du parti conservateur UMP (Union pour un mouvement populaire), Sarkozy a dit qu’ « il n’y avait absolument rien à reprocher à la France dans la matière, mais que si les Luxembourgeois voulaient accueillir les Roms, il n’y avait aucun problème. »

Le secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes Pierre Lellouche a dit des propos de Reding que « ça n’est pas comme cela que l’on s’adresse à un grand Etat, fondateur de l’Europe. » Dans une interview à la radio il a dit que « comparer la France de 2010 à la France de Vichy est totalement inacceptable ».

D’autres gouvernements européens ont aussi désavoué les propos de Reding. La chancelière allemande Angela Merkel a dit, « Le ton de Mme Reding et avant tout la comparaison historique,  étaient tout à fait inappropriés. »

Le porte-parole du gouvernement allemand Steffen Seibert a dit que bien que « les discriminations à l’encontre des minorités ethniques » ne soient pas permises, des déclarations comme celles de Reding sont « parfois plus utiles si elles sont mesurées au niveau du ton. »

Le soutien le plus vigoureux apporté à Sarkozy est venu du premier ministre italien Silvio Berlusconi qui a accordé au Figaro une interview d’une page entière intitulée « Je soutiens Nicolas Sarkozy en Europe, au G8 et au G20. » Il a dit, « Mme Reding aurait mieux fait de traiter le sujet en privé avec les dirigeants français avant de s’exprimer publiquement comme elle l’a fait. »

Berlusconi a ajouté que les longues côtes de l’Italie faisaient de « l’immigration clandestine » une menace particulière et qu’il voulait rejoindre la France dans la lutte pour mettre en place des mesures anti-immigrés draconiennes en Europe. Il a expliqué : « Nous espérons que la convergence franco-italienne aide à secouer l’Europe et à affronter le problème par des politiques communes. »

Berlusconi a proposé la perspective d’un partenariat plus large entre la France et l’Italie. Il a dit que l’énergie nucléaire, dont la France a l’expertise, pourrait réduire « de 30 pour cent nos coûts de production ». Il a ajouté que « la bonne entente entre la France et l’Italie a permis de faire adopter le plan européen d’aides » pour la Grèce. Ces questions avaient été discutées lors du sommet franco-italien de Paris. (voir  Le sommet franco-italien : conclusion d’accords stratégiques et appel à un plan de sauvetage pour la Grèce )

Berlusconi a conclu en exprimant son soutien à Israël et pour une coopération franco-italienne dans la mise en place de sanctions graves contre le programme d’armes nucléaires dont est soupçonné l »Iran.

Les déclarations des dirigeants politiques selon lesquelles il n’existe pas de parallèle avec l’époque de Vichy et du nazisme sont manifestement malhonnêtes et fausses. Elles reflètent les inquiétudes de la classe dirigeante européenne, à savoir que ces parallèles évidents entre ces deux époques risquent de provoquer une opposition à sa politique droitière actuelle. Ils craignent aussi que ne refassent surface les fondations pourries du capitalisme européen d’après-guerre, notamment les questions historiques non résolues de la collaboration avec les nazis de la bourgeoisie d’Europe occidentale.   

Les déportations ethniquement ciblées de Sarkozy et l’incitation à la haine contre les musulmans, dans la situation de crise économique la plus grave depuis les années 1930, rappellent inévitablement la méthode fasciste faisant des étrangers et des juifs les boucs émissaires des problèmes économiques et sociaux des années 1920 et 1930. Ceci avait finalement conduit au meurtre massif de juifs, de Roms et de millions d’autres.

La récente tentative du président français de faire taire ceux qui s’opposent à son interdiction du port de la burqa en menaçant de déchoir de leur nationalité française les personnes naturalisées, politique qui n’avait pas été utilisée depuis Vichy, a provoqué une hostilité massive et des déclarations publiques de politiciens en vue et d’autres qui ont fait remarquer le parallèle avec les années 1940.

Patrick Weil du CNRS (Centre national de recherche scientifique) à dit sur la chaîne de télévision TF1 que « La déchéance de la nationalité, c’est la bombe atomique. » Il a expliqué: « Historiquement c’est une mesure surtout utilisée en temps de guerre. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on ne touche à la nationalité qu’avec beaucoup de précaution. »

Cette question a été discutée dans les médias. Le 31 juillet, le journal de référence Le Monde citait une critique des projets de Sarkozy de déchéance de la nationalité en expliquant : « En France, le régime de Vichy crée le 22 juillet 1940 une commission de révision des 500 000 naturalisations prononcées depuis 1927. 15 000 personnes, dont 40 pour cent de Juifs, sont déchues de leur nationalité afin de « rectifier les erreurs du passé ». »

Bien qu’il refuse d’autoriser toute discussion sur la période de collaboration de la France avec les nazis, l’establishment politique s’inquiète de voir resurgir cette question et semble parfois en être obsédé. Les médias français ont récemment rapporté que le ministre du Travail Eric Woerth avait réagi à Catherine Coutelle, député à l’Assemblée nationale qui critiquait son projet de loi diminuant les retraites, en la qualifiant de « collabo ».

Woerth est au coeur d’une affaire de financement illicite de campagne électorale où, en tant que trésorier de l’UMP, il aurait reçu des pots-de-vin de la milliardaire Liliane Bettancourt pour financer la campagne présidentielle de Sarkozy en 2007. La fortune de Bettencourt, propriétaire du géant des cosmétiques L’Oréal avait échappé à la confiscation après la Seconde Guerre mondiale alors même que la famille avait soutenu le fascisme dans les années 1930 et 1940, comme ce fut le cas pour la fortune de la majeure partie de la classe dirigeante de l’époque. Ce sont des faits publiquement reconnus.

Article original en anglais, WSWS, paru le 17 septembre 2010.



Articles Par : Alex Lantier

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