Les escrocs de la radicalité

Il y a des escrocs de la sémantique comme il y des escrocs de la mémoire. Tous  tentent de dépolitiser,  de vider de son contenu de classe, de consensualiser, voire d’éliminer, la mémoire populaire, celle du monde des travailleurs. Au diable leurs visions du monde, les rapports de classe, les différentes formes de lutte, l’histoire ouvrière, la nécessité de se « connecter » à ce passé, de le faire vivre au présent.

Il s’agit de nous priver des outils de compréhension, d’analyse, de maîtrise, de la société actuelle. Et de nous interdire de la transformer.
Il en va de même avec la « radicalité ». Etre radical, c’était hier, selon le champ lexical, botanique, physique, politique, etc. aller (ou partir) à la racine, à la nature et aux causes profondes des choses, transformer complètement…Un militant radical, un discours radical, un programme radical, cela équivalait le plus souvent à « révolutionnaire ».Sauf à être membre du parti radical, aussi radical que messe du dimanche.

Depuis l’offensive des classes dominantes sur les thèmes pourris de « la guerre des civilisations », du « terrorisme global », « radical » est devenu synonyme de « terroriste ». Les exploiteurs ont  gagné la guerre des mots. Si « radical » devient synonyme d’ « extrémiste », de « terroriste », il ne reste plus qu’à être bien-pensant, conservateur ou réformiste ou modéré ou collabo ou social libéral, ou néolibéral. A ne pas transgresser les frontières fixées par le « modèle libéral », indépassable.

La récente pantalonnade de la contre-révolution que mènent les puissants,  consiste à envisager la mise en place de « cellules », de « centres », de « déradicalisation », des sortes de « terroristoriums », afin de détecter et guérir les futurs « terroristes ». En ciblant surtout les gamins des banlieues, ceux qui relèvent du délit de faciès, les plus pauvres, les plus largués par le système, les plus victimes de l’apartheid social.

Qu’entend-t-on par ce mot horrible : « déradicaliser » ? Que fera-t-on dans ces centres de remise aux normes? Avec quel personnel ? Des lavages de cerveau ? des tests ADN ? de la  psychologie musclée? des leçons de « morale » ? l’apprentissage des bonnes manières bourgeoises, de la docilité, de la soumission ?

Et pourquoi pas des centres de « délibéralisation » pour patrons voyous, politiciens corrompus, traders dingues, exilés fiscaux, licencieurs compulsifs, managers harceleurs, ministres en coma dépassé, bombardeurs et affameurs de peuples, chasseurs de syndicalistes, semeurs de ruines sociales, apostats en tous genres?

Soyons sérieux et revenons à nos moutons noirs… On ne se « radicalise » pas d’un seul coup. Ce long processus, sur un terreau d’inégalités, de violence sociale, exige comme réponse de travailler d’arrache pieds, d’arrache clichés, à la justice sociale, à l’émancipation des exclus, des opprimés, à l’égalité concrète des hommes, des femmes, quelles que soient leurs origines. Sans le ventre plein, sans la scolarisation, sans l’égalité des chances, sans un emploi,  un logement décent, l’apprentissage de la pensée critique, de la citoyenneté, ne vaut que tripette. On connaît tous globalement ce qui produit les « monstres ». Nos « monstres ». Je ne les excuse pas. Je n’ai aucune sympathie pour leurs « idées ». Mais la seule réponse sécuritaire à la « radicalisation » (mot valise, ambigu) ne peut, ni aujourd’hui ni à long terme, tenir lieu de projet de société humain, juste, solidaire. De «radicalité» sociale et démocratique, indispensable à l’ horizon d’émancipation de tous. DE TOUS.

A moins qu’en sous main l’on s’accommode, à des fins politiciennes, électoralistes, de « l’urgence sécuritaire » anxiogène permanente. Et cache misère. Cache austérité. Le capitalisme roule souvent les mécaniques pour la galerie, tout en instrumentalisant « le terrorisme » à des fins crapuleusement intéressées. Inavouables. Pour se  pérenniser ad vitam aeternam. En toute radicalisation.

Jean Ortiz



Articles Par : Jean Ortiz

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