Les Etats-Unis encouragent un cyber-conflit contre la Chine

Des responsables du Département américain de la Justice ont annoncé lundi matin lors d’une conférence de presse qu’un grand jury fédéral avait inculpé cinq officiers de l’Armée populaire de Libération chinoise pour piratage informatique, espionnage économique et d’autres chefs d’accusation.

L’inculpation est sans précédent dans le droit international étant donné qu’il vise à criminaliser des actions qui auraient été commises non pas par des pirates isolés ou des individus « voyous » (« rogue ») mais par des officiers servant dans les forces armées d’un grand pays. Le but calculé est de provoquer une confrontation entre les gouvernements américain et chinois.

« Ces accusations sont les toutes premières jamais portées contre des acteurs étatiques connus pour avoir infiltré des objectifs commerciaux par des moyens cybernétiques, » a dit lors d’un point de presse le procureur général Eric Holder en soulignant que le gouvernement Obama entreprenait une massive escalade de sa politique anti-chinoise. « La diversité des secrets commerciaux et autres renseignements commerciaux sensibles volés dans le cas précis est considérable et exige une réaction agressive. »

Les cinq hommes, cités comme étant Wang Dong, Sun Kailiang, Wen Xinyu, Huang Zhenyu, et Gu Chunhui, seraient des officiers de l’unité 61398 du Troisième département de l’Armée populaire de Libération chinoise, basée à Shanghai. Chacun d’entre eux est confronté à 31 chefs d’accusation de crimes informatiques et économiques. Même si aucun d’entre eux ne se trouve en garde à vue aux Etats-Unis, les accusations entraîneraient de lourdes peines de prison.

Les cibles présumées de cet espionnage informatique comprennent Westinghouse Electric Co., United States Steel, Alcoa Inc., Allegheny Technologies Inc. (ATI), des filiales américaines de SolarWorld AG, et le syndicat des métallos United Steel Workers (USW). Ce syndicat représente un certain nombre de travailleurs de ces entreprises.

Westinghouse est le principal constructeur américain de centrales nucléaires et a construit quatre installations du genre en Chine entre 2010 et 2011. Les autres entreprises ont soit conclu durant cette période des accords de fabrication avec des entreprises chinoises, soit étaient impliquées dans un litige commercial, comme l’USW. Les officiers chinois auraient recouru à des techniques de la cyberguerre dans le but d’accéder à des courriels internes et d’autres documents confidentiels dans chacune des six organisations.

L’inculpation fait preuve d’un cynisme monumental. Les révélations publiées par l’ancien agent de la National Security Agency (NSA), Edward Snowden, qui ont débuté il y a presque exactement un an, ont montré que le gouvernement américain est de loin le plus grand pirate informatique du monde avec des dizaines de milliers d’employés et des dizaines de milliards de dollars alloués à l’accès aux systèmes informatiques dans le monde entier, dérobant des courriels, des SMS, les métadonnées, des carnets d’adresses et autres formes de données électroniques.

Le gouvernement américain récupère le contenu de la voix, des textes et des courriels électroniques de quasi tout le monde sur la planète. Il a organisé l’accès, par un moyen détourné, aux activités commerciales des fournisseurs de services sur Internet et de fournisseurs de services de messagerie comme Google, Microsoft et Yahoo en contournant leurs dispositifs de sécurité et de cryptage et en effectuant une surveillance illégale de leurs clients. Il a pénétré par effraction dans les serveurs web des entreprises soit électroniquement soit physiquement pour y installer des dispositifs de surveillance.

La NSA place tout particulièrement sous surveillance des entreprises stratégiques comme Huawei, le fabricant de serveurs et de routeurs, en vue d’utiliser les appareils d’Huawei comme moyen d’espionner les clients de la société, les entreprises et les gouvernements de par l’Asie, l’Afrique, l’Amérique latine et l’Europe.

Les réseaux de télévision américains ont accordé une importance considérable aux inculpations lors de leurs émissions de lundi soir, sans faire la moindre allusion aux contradictions grotesques dans l’action du gouvernement américain. L’on peut facilement s’imaginer quelle serait la réaction de Washington et des médias américains, si la Chine avait inculpé pour espionnage, piratage ou vol d’information, le directeur de la NSA, Keith Alexander, qui a récemment pris sa retraite ou son successeur, le vice-amiral Michael Rogers.

Le président Obama a reconnu l’échelle quasi universelle de la surveillance électronique américaine et a refusé de discuter d’accords de « non espionnage » même avec des alliés proches des Etats-Unis comme la chancelière allemande Angela Merkel dont la NSA avait mis sur écoute le téléphone portable pendant plus d’une décennie.

Lors de la conférence de presse d’hier, Holder a tenté de justifier l’inculpation de la Chine pour des actions qui font pâle figure comparées à celles commises par l’immense appareil de renseignement américain. L’espionnage des entreprises américaines « est une tactique que le gouvernement américain dénonce catégoriquement, » a dit Holder. « Comme le président Obama l’a dit à plusieurs reprises, nous ne recueillons pas de renseignement pour donner un avantage compétitif aux entreprises américaines ou aux secteurs commerciaux américains. »

Même si c’était vrai, et il n’y a aucune raison de le croire, la suggestion de Holder que l’espionnage en vue d’un avantage compétitif pour les entreprises est pire que l’espionnage pour des raisons de « sécurité nationale » est totalement absurde. Du reste, dans la phrase suivante, il a admis que les deux étaient inextricablement liés en déclarant, « Notre sécurité économique et notre capacité de jouir d’une concurrence équitable sur le marché mondial sont directement liées à notre sécurité nationale. »

En effet, l’inculpation est une déclaration de Washington que tous les autres pays vont être jugés selon un critère (et jugés par les Etats-Unis) tandis que le gouvernement américain se trouve au-dessus des lois.

Holder est déjà tristement célèbre pour sa déclaration de l’année dernière selon laquelle le président des Etats-Unis a le droit d’ordonner, au moyen de missiles tirés par des drones, l’assassinat de n’importe qui sur la planète, sans voie de recours judiciaire et indépendamment du droit international.

Même la presse américaine complaisante a admis que l’inculpation de cinq officiers de l’APL était truffée de contradictions.

Le New York Times a fait remarquer que « Les Etats-Unis espionnent régulièrement en vue d’un avantage économique lorsqu’il s’agit de soutenir des négociations commerciales ; lorsque les Etats-Unis tentaient de parvenir à un accord avec le Japon dans les années 1990, ils avaient mis sur écoute la voiture du négociateur japonais. L’on estime généralement aussi qu’ils ont recours aux services secrets pour appuyer les grandes négociations commerciales qui se déroulent actuellement avec des partenaires européens et asiatiques. »

Le Washington Post a écrit que les révélations de Snowden sapaient la campagne américaine menée contre l’allégation d’espionnage informatique chinois : « Beijing a fait état des révélations de Snowden concernant les vastes activités de surveillance de la NSA, dont l’espionnage des entreprises chinoises, pour affirmer que les Etats-Unis sont le plus grand agresseur de la région. »

Le battage médiatique autour des inculpations d’espionnage fait partie d’une campagne grandissante de provocations politiques, diplomatiques et militaires américaines contre la Chine qui a été commencé par Obama en 2011 lors de sa déclaration concernant le « pivot » vers l’Asie. Il avait annoncé que les Etats-Unis commenceraient à faire venir le gros de leurs forces militaires dans cette région, modifiant ainsi leur orientation après plus d’une décennie de guerre au Moyen-Orient.

Au cours de ces six derniers mois, la campagne anti-chinoise s’est intensifiée. Washington a encouragé les voisins de la Chine, dont le Japon, les Philippines et le Vietnam, à faire valoir plus agressivement leurs revendications au sujet de petites îles inhabitées situées en Mer de Chine orientale et en Mer de Chine méridionale.

Le mois dernier, le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a effectué son quatrième voyage dans la région depuis son entrée en fonction il y a un an, harcelant la Chine de menaces selon lesquelles les Etats-Unis soutiendraient le Japon militairement en cas de conflit à propos des îles contestées de Senkaku/Diaoyu.

Peu de temps après, le président Obama a effectué un voyage similaire avec une escale au Japon, en Corée du Sud, en Malaisie et aux Philippines où il a signé un accord accordant aux Etats-Unis un accès militaire quasi illimité aux installations existant dans le pays.

Des responsables américains ont fait fuiter un récit détaillé des options militaires renforcées contre la Chine en vue de publication dans le Wall Street Journal. Les mesures prévoient des vols de bombardiers B-52 le long de la côte chinoise, des manœuvres navales juste au large des eaux territoriales avec un groupe opérationnel aéronaval et des opérations de surveillance accrue.

Tandis que le gouvernement Obama et les médias américains représentent la Chine comme une puissance agressive et menaçante, le budget militaire américain reste près de cinq fois plus important, les bases américaines encerclent la côte pacifique chinoise tandis que l’arsenal américain d’ogives nucléaires et de missiles balistiques intercontinentaux éclipse les capacités nucléaires de la Chine.

Patrick Martin

Article original, WSWS, paru le 20 mai 2014



Articles Par : Patrick Martin

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