Les États-Unis et le Japon avancent des projets pour renforcer le réarmement de Tokyo
Le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, s’est récemment rendu au Japon pour des réunions avec des responsables japonais, au cours desquelles les deux parties se sont engagées à intensifier leurs efforts de guerre contre la Chine tout en encourageant la remilitarisation de Tokyo. Cette démarche s’inscrit dans l’objectif de Washington de construire un système d’alliances militaires dans la région indo-pacifique en vue d’une guerre avec la Chine.
Les réunions ont eu lieu le 1er juin dans le cadre du voyage de Austin dans quatre pays, qui comprenait également des arrêts à Singapour pour le dialogue Shangri-La, en Inde et en France. Austin s’est entretenu séparément avec son homologue, le ministre de la défense Yasukazu Hamada et le ministre des affaires étrangères Yoshimasa Hayashi, et a rendu une « visite de courtoisie » au premier ministre Fumio Kishida.
Lors d’une conférence de presse commune, Austin et Hamada ont réaffirmé leur attachement à l’alliance américano-japonaise, le premier déclarant que les armées des deux pays « opèrent et s’entraînent ensemble comme jamais auparavant. » Les deux hommes ont dénoncé la Chine, la Russie et la Corée du Nord, notamment la tentative manquee de Pyongyang de lancer un satellite de reconnaissance militaire en orbite la veille.
Deux jours plus tard, Austin et Hamada ont également rencontré le ministre sud-coréen de la défense, Lee Jong-seop, en marge du dialogue Shangri-La. Les trois hommes ont convenu de commencer à échanger des renseignements en temps réel entre Séoul et Tokyo dans le courant de l’année, visant apparemment la Corée du Nord. Cela fait partie de l’approfondissement des relations trilatérales entre les États-Unis, le Japon et la Corée du Sud, que Washington considère comme un aspect essentiel de son système de missiles balistiques dans la région.
Par ailleurs, pendant son séjour à Tokyo Austin et ses alliés japonais ont discuté d’une collaboration pour améliorer la capacité du Japon à lancer des attaques à longue portée bien au-delà de ses frontières. En utilisant le langage de la défense et la prétendue nécessité de capacités de « contre-attaque », le Japon a l’intention de développer et d’acquérir des missiles de croisière qui permettraient à son armée de frapper des cibles en Chine, en Russie ou en Corée du Nord.
L’acquisition de telles armes offensives est interdite par l’article 9 de la constitution japonaise, qui stipule que le pays renonce à « la menace ou l’utilisation de la force comme moyen de règlement des différends internationaux » et que les forces armées « ne seront jamais maintenues. » Alors que la classe dirigeante japonaise a réduit cette clause au fil des décennies, Tokyo a commencé à poursuivre un programme plus rapide de remilitarisation après l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe en 2012, un programme sur lequel s’appuie le gouvernement actuel de Kishida.
Tout cela est soutenu et encouragé par Washington. Lors de la conférence de presse avec Hamada, Austin a déclaré : « Je soutiens fermement les politiques de sécurité nationale actualisées du Japon, y compris votre décision d’augmenter les dépenses de défense et d’acquérir des capacités de contre-attaque. »
Pour ce faire, le ministère japonais de la défense a signé en avril quatre contrats d’un montant total de 378,1 milliards de yens (2,7 milliards de dollars américains) avec Mitsubishi Heavy Industries pour le développement de missiles à longue portée, ou « standoff. » Ces armes, associées au soutien apporté à Washington pour attiser les tensions sur Taïwan, montrent clairement que Tokyo se prépare à la guerre avec la Chine, et non à se défendre contre la prétendue « assertivité » de Pékin ou la prétendue « agression » de la Corée du Nord.
Le premier contrat porte sur la production en série d’un missile surface-navire (SSM – surface-to-ship) de type 12 amélioré, qui débutera au cours de l’exercice budgétaire actuel et dont la livraison est prévue pour 2026. Le second contrat porte sur le développement de nouvelles versions du SSM de type 12, lancées par bateau et par avion, d’ici 2026 et 2028 respectivement. La portée de ce missile devrait passer de 200 à 1 500 kilomètres.
Le troisième contrat porte sur la production en série de projectiles planants hypervéloces (HVGP – Hyper Velocity Gliding Projectiles), destinés à être utilisés contre des cibles situées sur des îles éloignées. Il s’agit des variantes Block 1 et Block 2A et 2B, les missiles Block 1 et 2A devant entrer en service en 2026 et 2027 et le Block 2B devant être déployé au début des années 2030. L’armée japonaise a l’intention de les baser à Kyushu, dans le sud, et à Hokkaido, dans le nord. Cette dernière accueillera le HVGP Block 2B, qui aura la plus longue portée des variantes, soit jusqu’à 3 000 kilomètres, ce qui permettra à Tokyo de cibler l’Extrême-Orient russe.
Tokyo prévoit également de développer un missile sous-marin guidé dans le cadre du contrat final d’ici 2027, qui entrerait en service à partir de l’année suivante. La portée du missile sera considérablement accrue par rapport à celle des missiles Harpoon actuellement utilisés sur les sous-marins japonais, mais tous les détails n’ont pas été dévoilés.
Tokyo a également l’intention d’acheter 400 missiles de croisière Tomahawk aux États-Unis, pendant que son propre armement est en cours de production, une décision annoncée en février dernier.
Le développement de ces missiles s’inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale de Tokyo, publiée en décembre dernier, qui prévoit de doubler les dépenses militaires au cours des cinq prochaines années. Les dépenses militaires du Japon atteignent déjà des niveaux record, avec 6,82 trillions de yens (48,8 milliards de dollars) cette année. Entre 2023 et 2027, Tokyo devrait dépenser 43 000 milliards de yens (308 milliards de dollars américains), ce qui porterait ses dépenses à 2 % du PIB, soit un niveau similaire à celui fixé pour les pays de l’OTAN.
Outre ces projets, Austin et Hamada ont également profité de leur rencontre pour continuer à intensifier les tensions avec Pékin au sujet de Taïwan. Les deux hommes ont déclaré de manière provocatrice « qu’aucun changement unilatéral du statu quo ne peut être toléré et que le Japon et les États-Unis coopéreront plus que jamais à cet égard. » Hamada a ajouté que les deux parties « ont réaffirmé l’importance de la paix et de la stabilité dans le détroit de Taïwan. »
Le langage utilisé ici est régulièrement récité pour dénoncer Pékin. En réalité c’est Washington qui a cherché à renverser le statu quo dans la région, en provocant Pékin au sujet de Taïwan et en renversant effectivement la politique de la « Chine unique », que les États-Unis avaient reconnue de facto depuis 1979, lorsqu’ils ont rompu les relations diplomatiques officielles avec Taipei en faveur de Pékin.
Les références à la « paix et à la stabilité » autour de Taïwan visent à rejeter la responsabilité des tensions dans la région sur Pékin, tandis que les États-Unis mènent régulièrement des opérations militaires dites de « liberté de navigation » à travers le détroit de Taïwan, aux portes de la Chine. Washington utilise ces excursions hautement provocatrices pour tenter de provoquer une réaction de la part de Pékin, qui craint qu’une déclaration d’indépendance de Taïwan ne crée un précédent de découpage de la Chine et ne fournisse aux États-Unis une base pour des opérations militaires directement adjacente au continent chinois.
Ces provocations américaines deviennent de plus en plus dangereuses. Le 3 juin, les États-Unis ont envoyé le destroyer USS Chung-Hoon, ainsi que la frégate canadienne HMCS Montreal, dans le détroit de Taïwan. Selon Washington, un destroyer chinois aurait coupé la route du navire américain pendant le transit. Quoi qu’il en soit, c’est en fin de compte l’imprudence délibérée des États-Unis et de leurs alliés qui aggrave le risque de guerre dans la région.
Ben McGrath