Les Etats-Unis et l’Europe. Les vassaux sont ils des alliés du suzerain?

«Mon Dieu, gardez-moi de mes amis… Quant à mes ennemis, je m’en charge!»
Voltaire
Un scoop! Les Français découvrent après les Allemands que eux aussi sont espionnés. De fait, de 2006 à 2012, lit-on sur le journal la Croix, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande ont été espionnés par la NSA, d’après des documents publiés mardi 23 juin par WikiLeaks,. La Maison-Blanche a fait un communiqué «De manière générale, nous ne menons pas d’opérations de surveillance à l’étranger sauf s’il existe un objectif de Sécurité nationale spécifique et validé. «Cela s’applique aux citoyens ordinaires comme aux dirigeants mondiaux.»(1)
Ce fut une condamnation unanime de la classe politique, tous bords confondus. Pour François Bayrou, président du MoDem: «Qui a pensé que les présidents français ou que les responsables publics n’étaient pas écoutés?» Pour Gérard Longuet, (Les Républicains): «La vraie question, c’est l’image qu’ont les États-Unis de leurs partenaires. Le fait qu’ils prennent le risque de casser l’image des États-Unis pour des avantages somme toute assez modestes est une faute politique.» Marine Le Pen, présidente du Front national: «Les révélations de WikiLeaks sur l’espionnage des présidents de la République française par la NSA américaine depuis dix ans sont extrêmement graves. La France doit réagir avec fermeté, et envoyer un signal fort en se retirant dès aujourd’hui des discussions en cours sur le funeste Traité Transatlantique (..)» (1)
Le Premier ministre français a critiqué les écoutes: «Une pratique anormale entre alliés de longue date.» Il exige par ailleurs la mise en place d’un «code de bonne conduite» entre pays amis. Avant de se montrer plus ferme:
«La France ne tolèrera aucun agissement mettant en cause sa sécurité. François Hollande avait souhaité que les Etats-Unis «réitèrent leurs engagements» pris en 2013 sur la fin de l’espionnage des autorités françaises. «La France n’autorise pas cette pratique de ciblage des dirigeants étrangers Après un conseil de défense exceptionnel et l’habituel Conseil des ministres, le chef de l’Etat a reçu une délégation de sénateurs et de députés, dont les présidents des deux assemblées. Le président nous a dit que lors de sa visite d’Etat aux Etats-Unis en février 2014, Barack Obama lui avait confirmé cet engagement», a ajouté un des parlementaires qui assistaient à ces rencontres.» (2)
Les relations d’une Europe impuissante écoutée par les Etats-Unis
Pour sa part, le Conseil de défense français condamne des «faits inacceptables», «Ce qui s’est passé n’est pas acceptable, mais ce n’est pas pour autant que l’on va entrer dans une crise», a tempéré le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll. La Maison-Blanche a assuré que les Etats-Unis n’écoutaient pas à l’heure actuelle les communications de François Hollande. L’ambassadrice des Etats-Unis a ainsi été convoquée par le ministre des Affaires étrangères.
En clair, voilà pour le minimum syndical à usage interne. Cependant, cette protestation au demeurant légitime n’ira pas plus loin. Les Français et plus largement les pays concernés ne peuvent rien faire contre leur allié d’autant qu’entre eux, ils s’espionnent aussi pour le compte des Etats-Unis. Philippe Rodier écrit à ce propos: «Mes amis, ce sont par exemple les cinq pays anglo-saxons qui nous écoutent 24h/24. Winston Churchill était un homme réaliste et clairvoyant lorsqu’il déclarait:
«Les États n’ont pas d’amis, ils ont des intérêts.» L’actualité nous en donne encore un nouvel exemple avec les prétendues révélations de WikiLeaks sur les écoutes américaines des présidents français (sont-ce vraiment des révélations? Qui pouvait en douter?).(…) D’abord, si nos dirigeants furent écoutés, c’est qu’ils le voulaient bien, ou alors qu’ils étaient inconscients et irresponsables (…) Souvenons-nous qu’un petit pays comme Israël fut pris en flagrant délit d’écouter son meilleur allié et même Obama en personne! Imprégnées de culture protestante et commerçante, les puissances anglo-saxonnes ont toujours fait preuve d’un pragmatisme froid et dénué de toute morale dans la défense de leurs intérêts publics et privés. Pendant ce temps, l’amateurisme de nos dirigeants les amène à déballer leur vie privée sur des téléphones entièrement contrôlés et écoutés et à mener une politique de bons sentiments qui tourne le dos à la Russie et à Bachar El Assad alors que, dans le même temps, elle embrasse les Saoudiens et les Qataris.» (3)
Malgré ses démentis à répétition, les Etats-Unis font ce qu’ils veulent, faisant fi des sensibilités et ayant une façon singulière de ce que c’est qu’un allié. Dans ce cadre, l’ancien président du SPD (Parti social-démocrate allemand) Oskar Lafontaine a dénoncé les actions des Etats-Unis en Ukraine. Il a qualifié le secrétaire américain de la Défense Ashton Carter de «ministre militaire» sur sa page Facebook. Pour lui: «Les Etats-Unis ont délibérément déstabilisé la situation en Ukraine, et l’Europe subit des pertes économiques et des pertes d’emploi. Le ministre militaire américain appelle les Européens à s’opposer à «l’agression» russe. Mais les Européens ont toutes les raisons de s’opposer à l’agression américaine. La diplomate américaine Victoria Nuland a avoué que les Etats-Unis ont dépensé plus de cinq milliards d’euros pour déstabiliser la situation en Ukraine. Ils «L’Europe n’a qu’à aller se faire f**tre», a dit la diplomate américaine Nuland. Nous avons besoin d’une politique étrangère européenne qui limite l’impérialisme belliciste américain!»(4)
Les méthodes singulières de la NSA
«Comment lit-on sur Le Monde, l’Agence Nationale de Sécurité (NSA) américaine a-t-elle procédé pour avoir connaissance de conversations tenues au plus haut sommet de l’Etat? De multiples documents fournis par Edward Snowden ont montré que les ambassades américaines sont souvent surmontées de matériel d’écoute. Le «Special Collection Service», une unité composée de membres de la NSA et de la CIA, a été désigné dans l’un d’entre eux comme responsable des écoutes du téléphone portable d’Angela Merkel. (..) »(5)
« Généralement, ce dernier cache ses appareils d’écoute dans un faux bâtiment fait d’un matériel spécial laissant passer les ondes, et parfois camouflé en trompe-l’oeil. (..) Au plus haut niveau de l’Etat, les services de sécurité peinent à imposer des terminaux chiffrés et sécurisés. (…)En janvier 2010, changement d’échelle: Nicolas Sarkozy passe au Teorem, un téléphone ultrasécurisé fabriqué par Thalès. Et pourtant: les documents publiés par WikiLeaks font état d’une conversation datant de juin 2011 entre le président de la République et Alain Juppé, La NSA a-t-elle pour autant «cassé» le chiffrement du Teorem? (…)»(5)
Pour Nicolas Barotte, les pratiques d’espionnage de la NSA ont été révélées il y a longtemps en Allemagne. Angela Merkel avait condamné, à l’automne 2013, les actes d’espionnage commis par les services américains contre les intérêts allemands et notamment l’écoute de son propre téléphone personnel. (…) Le scandale a rebondi fin avril avec des révélations gênantes pour le BND: les services allemands ont aidé pendant des années la NSA à espionner des entreprises européennes ou des personnalités étrangères.» (6)
Les Européens espionnés à l’insu de leur plein gré. L’enquête de l’UE sur Echelon
Toutes les nations européennes savent qu’elles sont espionnées par les Etats-Unis: «L’existence d’un système de surveillance globale des télécommunications opéré par les Etats-Unis a été évoquée pour la première fois en 1988. Le système Echelon serait capable d’intercepter un très grand nombre de télécommunications (téléphone, fax, Internet…) puis d’y détecter des mots-clés, permettant ainsi une surveillance de masse à l’échelle mondiale.
Le Parlement européen affirme officiellement l’existence du système Echelon. En septembre 1998, le Parlement européen accuse Echelon de violer «le caractère privé des communications de non-Américains, dont des gouvernements, des sociétés et des citoyens européens.(7)
Le texte affirme que «l’existence d’un système d’interception mondial des communications fonctionnant avec la participation, en fonction de leurs capacités, des Etats-Unis, du Royaume-Uni, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande (…) ne fait plus de doutes», et qu’ «il est incontestable qu’il est utilisé au moins pour intercepter des communications privées et économiques, mais non militaires». Le texte précise que, utilisé à des fins de renseignement, le système d’écoute et d’analyse des communications n’est pas contraire au droit de l’Union européenne, mais qu’un Etat membre viole le droit de l’Union en l’exploitant au profit d’objectifs commerciaux et d’espionnage de la concurrence. (…) Il enjoint en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni à respecter les termes de la Convention relative aux droits de l’homme dans leur collaboration avec les services de renseignement américains». On savait donc que deux nations européennes espionnaient les autres pour le compte des Etats-Unis. (7)
La vassalisation et la réalité de la solidarité transatlantique
Pour Vladimir Poutine: «Les membres européens de l’Otan ont renoncé à leur souveraineté. Parfois, nous trouvons qu’il est très difficile de s’entendre avec eux sur les questions géopolitiques. Il est difficile de parvenir à un accord avec des gens qui murmurent même dans leur propre maison de peur d’être surpris par les Américains. Ce n’est pas une blague ou une façon de parler.» Tandis que les échanges commerciaux entre les Etats-Unis et la Russie augmentent, leurs «alliés» européens sont contraints de lui imposer des sanctions et d’en subir seuls les redoutables contrecoups: ainsi, Vladimir Poutine vient de renouveler pour un an l’embargo sur les produits agroalimentaires en provenance d’Europe. (…)» (8)
Dans une interview au site Atlantico l’historien Emmanuel Todd sur la Russie et la géopolitique mondiale a le mérite d’avoir nommé les choses, ce qui permet de voir un peu plus clair dans la situation actuelle. Il livre son sentiment sur l’Ukraine et affirme que les choses auraient pu se passer autrement si…. Ecoutons-le: «Lorsque je repense à cette crise, je m’étonne de voir qu’elle ne s’inscrit pas dans la logique qui était en train de se dessiner en Europe jusqu’ici. Le début du XXIe siècle avait été marqué par un rapprochement des «Européens» et des Russes. On se souvient de la conférence de Troyes en 2003, où Chirac, Poutine et Schroeder avaient manifesté ensemble leurs refus de l’intervention américaine en Irak tandis que l’Amérique de George W. Bush, fidèle à la ligne Brezinski, restait dans un esprit de confrontation à l’égard de Moscou en s’appuyant sur d’anciens satellites soviétiques, avec les Pays baltes et la Pologne comme partenaires anti-russes privilégiés».(9)
L’arrivée de Barack Obama à la Maison-Blanche a coïncidé avec un retournement de la posture américaine. Sa ligne, telle que je la percevais à l’époque, était d’apaiser les tensions avec l’Iran et la Russie pour mieux pouvoir engager le fameux «pivot» vers l’Asie où réside la menace de long-terme pour la puissance américaine. Ce retrait de Washington aurait dû renforcer la volonté des Européens, et particulièrement des Allemands, de se rapprocher de Poutine pour parachever un grand partenariat commercial, énergétique et industriel.» (9)
Pour Todd il y eut un dérapage du fait de la position ambiguë de l’Allemagne de Merkel:
«Il est difficile de contester que l’Histoire a pris une toute autre direction: nous sommes en pleine confrontation entre la Russie et l’Union européenne, désormais sous leadership économique et diplomatique allemand. (…) C’est bien l’Allemagne qui désormais fait le jeu du côté occidental, mais un jeu hésitant entre phases agressives et moments de repli durant lesquels elle reprend sa posture conciliante, moments il est vrai de plus en plus brefs.» (9)
«(…)Je suis pourtant effaré de constater que durant les vingt dernières années s’est développée à l’inverse une véritable russophobie des élites occidentales. (…) »(9)
Les Américains ne savent pas où ils vont. L’affaire de Géorgie en 2008 avait déjà sérieusement entamé leur crédit de protecteurs du Continent. (…) Bien qu’ils se soient fait assez brutalement « moucher » par Poutine avec le rattachement de la Crimée, les Américains ont toutefois une autre crainte, plus profonde, celle de voir l’Allemagne s’émanciper complètement de leur sphère d’influence. Si vous lisez Le grand échiquier de Brezinski, vous comprendrez que la puissance américaine d’après-guerre repose sur le contrôle des deux grands pôles industriels de l’Eurasie: le Japon et l’Allemagne. (…) la stabilité du monde ne saurait donc dépendre de la seule puissance américaine. Je vais faire une hypothèse surprenante.(…) Un nouveau partenariat américano-russe pourrait nous éviter de sombrer dans une «anarchie mondialisée» dont l’éventualité semble chaque jour plus réalisable. (…) La France n’a selon moi pas à s’impliquer outre-mesure dans la crise ukrainienne, son histoire et sa géographie l’en éloignent naturellement. (…) Trois nations ont une réelle importance dans le jeu ukrainien et européen: l’Allemagne et la Russie, l’une est dominante depuis 70 ans: les Etats-Unis. (…) La Russie pourrait jouer le rôle salutaire de garde-fou (…)je me dis, avec un brin d’ironie, qu’un couple américano-russe pourrait tenter sa chance. (…)» (9)
Une lueur d’espoir dans le chaos actuel ?
Emmanuel Todd avec sa lucidité remarquable a bien raison d’appeler de ses vœux , un nouveau moteur russo-américain pour la paix du monde . Justement, selon une dépêche de l’AFP du 25 juin, le président russe Vladimir Poutine a téléphoné jeudi 25 juin à son homologue américain Barack Obama pour discuter des développements au Moyen-Orient, notamment liés au groupe djihadiste Etat islamique, et de la situation en Ukraine, a indiqué la Maison-Blanche dans un communiqué. Les deux chefs d’Etat ont également discuté de la «situation de plus en plus dangereuse en Syrie», et souligné l’importance de maintenir «l’unité» des puissances internationales dans les tractations avec l’Iran destinées à éviter qu’il ne se dote de l’arme nucléaire. Par ailleurs, selon la Maison-Blanche, les deux hommes ont évoqué «la nécessité» de contrecarrer le groupe ultra-radical Etat islamique, qui contrôle des pans entiers de territoires en Irak et en Syrie.
En conclusion, c’est un fait, les Etats-Unis espionnent tout le monde et particulièrement leurs amis européens en utilisant des pays européens en renfort pour les aider à espionner. Ce qui se passe actuellement, c’est « chacun pour soi, la guerre de tous contre tous, les ennemis de mes ennemis sont mes amis » bref nous allons tout droit vers ce que pour reprendre l’expression d’Aimé Césaire appelait, dans le contexte d’une colonisation sauvage, l’ensauvagement du monde. Il n’y a pas d’Europe unie , le grand dessein est d’enlever graduellement les souverainetés aux peuples au profit d’une gestion unique celle du grand capital. L’essentiel c’est d’extraire de la valeur quitte à marcher sur le cadavre des peuples comme, ce qui se passe en Grèce. il n’est que de voir l’acharnement de l’Europe de la finance dans la mise à mort d’un de leur dépositaire de la civilisation humaine en lui refusant un sursis de quelques jours pour voir ce qu’en pense le peuple grec le 5 juillet.
Par ailleurs, on remarque que l’on ne parle pas de l’espionnage de la Russie ou de la Chine. Ont-ils la parade ou apprendrons nous en jour , un autre scandale ? Je ne parle pas des pays passoires que sont les pays sous-développés, il n’y a généralement rien d’économique à surveiller si ce n’est les mouvements terroristes. On raconte que lors de la prise des otages américains en 1979, Alger négociait avec les Iraniens les conditions et les transmettait aux Américains. Soucieux d’être efficaces, les Américains donnaient immédiatement les réponses aux diplomates algériens qui venaient leur remettre les conditions iraniennes… Reste que pour la paix du monde, Emmanuel Todd a bien raison d’insister sur la nécessité d’un deal américano-russe. C’est la seule façon d’éviter la guerre.
« L’Angleterre n’a pas d’ennemis ou d’amis, elle n’a que des intérêts permanents » disait Winston Churchill. Il ajoutait qu’il préférait de loin la proximité des Etats unis que celle de l’Europe. Dans cette affaire d’écoute on remarquera que les cables wikileaks ne parlent pas d’espionnage du Royaume Uni et pour cause, ils sont les associés dans le réseau Echelon installé sur leur territoire. Cle ne veut pas dire qu’ils n’y a pas d’espionnage, car dans tous les cas l’empire est au dessus de tout le monde Ignacio Ramonet ancien directeur du Monde Diplomatique avait une formule choc : « L’Empire n’a pas d’alliés, il n’a que des vassaux ». Au lieu de battre sa coulpe, il faut en prendre son parti.. Ainsi va le Monde.
Prof. Chems Eddine Chitour
Notes
2.http://www.lexpress.fr/actualite/politique/espionnage-valls-demande-aux-etats-unis-de-reparer-les-degats-lies-aux-ecoutes_1693000.html#BeVcy 8EkTyqMmWcF.99
3. Philippe Rodier http://www.bvoltaire.fr/auteur/philipperodier
4. http://francais.rt.com/international/3568-lex-president-spd-limperialisme
5. Martin Untersinger: Les Etats-Unis ont espionné les présidents français Le Monde 24.06.15
6.Nicolas Barotte: le scandale de la NSA empoisonne Merkel Le Figaro 24/06/2015
7.Juriscom (10/09/2001) http://strategique.free.fr/ archives/textes/ech/archives_ech_15.htm
Article de référence: http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour /219197-le-suzerain-et-les-vassaux.html