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Les États-Unis préparent le retour de «l’homme fort» en Irak
Par M. K. Bhadrakumar
Mondialisation.ca, 25 janvier 2020
Indian Punchline 23 janvier 2020
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/les-etats-unis-preparent-le-retour-de-lhomme-fort-en-irak/5640933

Le départ de l’ancien Commandant de la Force Al-Qods, Qassem Soleimani, commence à se faire sentir en Irak. Les deux rencontres que le Président américain Donald Trump a eues avec le chef du gouvernement régional kurde irakien Nechirvan Barzani et le Président de l’Irak Barhem Saleh en Suisse, mercredi en marge du Forum Économique Mondial, sont symptomatiques de l’agenda de Washington pour poursuivre le recul de l’influence iranienne en Irak.

Barzani devient un interlocuteur clé pour Washington dans les nouvelles circonstances, qui aurait un rôle majeur à jouer dans la consolidation de l’autonomie des régions kurdes du nord de la Syrie. En effet, du point de vue de Washington, le Kurdistan irakien reste une oasis de stabilité et peut fournir une feuille d’ancrage pour une présence militaire américaine illimitée dans la région. L’évacuation du pétrole de l’est de la Syrie devient également possible via le Kurdistan irakien.

Le Premier Ministre Abdul-Mahdi restant pour l’instant en position de gardien, Bagdad est dysfonctionnelle et n’est pas en mesure d’imposer son autorité sur la région du nord du Kurdistan. En outre, Saleh, lui-même d’origine kurde, est connu pour ne vouloir que trop se rendre utile aux Américains dans la lutte contre le vide du pouvoir.

Étant donné le désordre général qui règne entre les partis chiites et les relations des États-Unis avec nombre d’entre eux, il n’existe aujourd’hui aucun point de référence dans l’opinion chiite qui puisse canaliser les sentiments anti-américains latents. C’est là que l’absence de Soleimani se fait le plus sentir. Il avait jeté son filet à travers les régions et les groupes ethniques et jouissait de la confiance de ses partenaires irakiens. Il faudra du temps pour réparer les ponts brisés, si tant est qu’ils le soient.

Beaucoup dépendra du succès de la « marche d’un million de personnes » qui aura lieu vendredi à Bagdad. L’appel à la marche a été lancé par Moqtada al-Sadr, nationaliste mais qui s’est récemment rapproché de l’Iran. Ce rassemblement menace de réduire à néant et de marginaliser les manifestations soutenues par les États-Unis ces derniers mois, qui visaient à saper l’influence de l’Iran en Irak.

La grande question est celle de l’avenir des paramilitaires que le puissant chef de milice chiite, Abu Mahdi al-Muhandis (qui a été tué lors de la même frappe américaine visant Soleimani) commandait auparavant – connus sous le nom d’Unités de Mobilisation Populaire (UMP), une force de 100 000 hommes soudée à une cinquantaine de milices disparates, principalement des combattants chiites mais pas tous, au sein desquelles, en réalité, les groupes alignés sur l’Iran constituent probablement une minorité. Ces factions rivales des UMP ont un passé de conflits entre elles et doivent fidélité à toute une série d’allégeances.

Qassem Soleimani et Abu Mahdi al-Muhandis

Al-Muhandis est le maître artisan qui a créé les UMP, sous la supervision directe de Soleimani. Il sera impossible pour l’Iran de recréer le leadership que ces deux figures titanesques ont donné au front de la Résistance en Irak. Les UMP resteront-t-elles une puissante faction politique ou deviendra-t-il la proie de forces prédatrices dans les temps incertains qui s’annoncent ? En l’absence d’un commandement central efficace, des batailles de succession litigieuses pourraient même éclater entre les groupes alignés sur l’Iran au sein des UMP et le bloc d’al-Sadr.

Dans la situation chaotique qui se développe en Irak, il semble impossible pour la politique irakienne de revenir au statu quo. Cela semble également être l’objectif caché des États-Unis. Les manifestants soutenus par les États-Unis ont rejeté les nouveaux candidats au Premier Ministre et exigent la fin du système politique corrompu et divisé selon des lignes sectaires. Cela complique infiniment la sélection d’un nouveau Premier Ministre. L’impasse convient aux États-Unis puisque le système politique dominé par des partis notoirement corrompus est lié à l’Iran, bien qu’il s’agisse de la création de Washington pendant la période de l’occupation.

Il y a un risque croissant que l’effondrement de l’État irakien puisse également conduire à une répétition de l’histoire. Ce sont des conditions chaotiques similaires qui ont conduit à la révolution du Ramadan en février 1963 (le coup d’État militaire de l’aile irakienne du parti Baas), qui aurait été soutenue par l’Agence Centrale de Renseignement américaine (CIA). Trump sera sans aucun doute satisfait d’un tel résultat.

M.K. Bhadrakumar

 

Article original en anglais : US plotting return of ‘strongman’ in Iraq, Indian Punchline, le 23 janvier 2020

Texte traduit par Réseau International

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