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Les Etats-Unis renforcent les systèmes de missiles antibalistiques en Asie-Pacifique
Par Peter Symonds
Mondialisation.ca, 18 mars 2013
wsws.org
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Le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a annoncé hier, 15 mars, que le Pentagone augmenterait d’ici 2017 de près 50 pour cent le nombre d’intercepteurs de missiles antibalistiques de tir terrestre déployés dans la région Asie-Pacifique. 14 intercepteurs supplémentaires seront basés à Fort Greely en Alaska, en plus des 26 qui sont déjà sur place. Trois autres sont déjà stationnés en Californie.

Hagel a saisi l’occasion du test nucléaire effectué le mois dernier par la Corée du Nord et du lancement de son satellite en décembre pour étendre les systèmes américains de missiles antibalistiques. « La Corée du Nord, notamment, a progressé dernièrement dans ses capacités et s’est engagée dans une série de provocations irresponsables et imprudentes, » a-t-il déclaré.

Ces commentaires sont totalement cyniques. Le gouvernement Obama profite de la capacité restreinte de la Corée du Nord pour ce qui est du nucléaire et des missiles pour justifier le renforcement des systèmes de missiles antibalistiques sophistiqués dans toute la région Asie-Pacifique et qui visent essentiellement à contrecarrer l’arsenal nucléaire de la Chine.

En réaction à de nouvelles sanctions imposées au début du mois par le Conseil de sécurité des Nations unies, le régime nord-coréen a déclaré avoir le droit de se défendre, y compris au moyen d’une « attaque nucléaire préventive contre les quartiers généraux de l’agresseur. » Mais le gouvernement Obama a tout simplement ignoré la menace. Ni Hagel ni un responsable du Pentagone n’a suggéré que Pyongyang avait en réalité la capacité de perpétrer une telle attaque contre Washington.

De plus, les projets du Pentagone d’augmenter le nombre des intercepteurs datent d’avant le lancement de missiles et l’essai nucléaire de la Corée du Nord. Un fonctionnaire américain de haut rang à la Défense a dit auWashington Post que l’expansion « était en préparation depuis environ six mois. » En d’autres termes, la Corée du Nord n’a fait que fournir un prétexte facile pour cette annonce.

Hagel a aussi annoncé que les Etats-Unis déploieraient un système additionnel d’alerte précoce au Japon – un radar X-band sophistiqué capable de détecter des missiles balistiques. Les Etats-Unis disposent d’ores et déjà d’un tel radar dans le Nord du Japon et envisagent d’en mettre en place un second dans le Sud du pays.

En août dernier, le Pentagone avait divulgué au Wall Street Journal des détails sur ses projets de missiles antibalistiques (Voir : « US to expand anti-missile systems in Asia »). Selon cet article, les Etats-Unis cherchent également à implanter un troisième radar X-band en Asie du Sud Est, vraisemblablement aux Philippines. Chaque système d’alerte précoce supplémentaire accroît considérablement la capacité de l’armée américaine à détecter la trajectoire des missiles balistiques et donc à les détruire au moyen d’intercepteurs.

Les Etats-Unis sont en train de développer et de construire ces systèmes antibalistiques en étroite collaboration avec leurs principaux alliés en Asie, particulièrement le Japon. En plus des intercepteurs de longue portée basés à terre en Amérique du Nord, les Etats-Unis et le Japon possèdent des systèmes anti-missiles embarqués à bord de navires dont ils cherchent à améliorer la capacité.

La marine américaine a dernièrement augmenté le nombre de leurs croiseurs lance-missiles du type Arleigh Burke au large de la péninsule coréenne, dans le cadre de manoeuvres conjointes avec la Corée du Sud. L’armée américaine a aussi déployé des batteries de missiles Patriot en Corée du Sud.

Il est absurde de suggérer que les Etats-Unis sont en train de dépenser des dizaines de milliards de dollars pour des défenses anti- missile destinées à contrer la menace de la Corée du Nord, tout comme il est absurde de suggérer que les systèmes de défense anti-missile qu’ils sont en train de mettre en place en Europe sont destinés à contrer la menace de l’Iran. Ces systèmes visent en premier lieu la Chine et la Russie qui eux possèdent la capacité de frapper les Etats-Unis au moyen de missiles dotés d’une charge nucléaire.

En août dernier, parlant au Wall Street Journal, un haut responsable américain anonyme avait admis que tout système de missile antibalistique visant la Corée du Nord visait également la Chine, du fait de la situation géographique. « La physique reste la physique », a-t-il dit. « Soit vous bloquez la Corée du Nord et la Chine soit vous ne bloquez ni l’un ni l’autre. »

Prétendre que ces systèmes sont purement d’ordre défensif est un mensonge. Toute attaque nucléaire de grande envergure par la Russie ou la Chine submergerait le nombre restreint d’intercepteurs américains. En réalité, le développement des capacités de missiles antibalistiques est une composante de la détermination agressive de sécuriser la soi-disant « supériorité nucléaire », c’est-à-dire la capacité de première frappe nucléaire qui détruirait l’ennemi, en empêchant une frappe de riposte.

Les systèmes américains de missile antibalistique en Asie et en Europe sont avant tout conçus pour neutraliser une salve limitée de missiles tirée par un ennemi déjà sérieusement touché par une première frappe nucléaire des Etats-Unis.

C’est pourquoi, tant la Russie que la Chine s’opposent farouchement au développement des systèmes anti-missiles. A Beijing, l’annonce faite hier par Hagel ne fera qu’intensifier, au sein des cercles dirigeants, le débat concernant la Corée du Nord. Des sections de la bureaucratie chinoise disent ouvertement que leur allié, Pyongyang, est devenu un obstacle dont il faudrait s’affranchir.

Les critiques chinois précisent les programmes d’armement de la Corée du Nord ainsi que son attitude ont non seulement fourni aux Etats-Unis et à leurs alliés un prétexte pour installer des systèmes de missiles antibalistiques en Asie, mais pourraient aussi servir de prétexte au Japon et à la Corée du Sud pour que ces derniers mettent au point leurs propres armes nucléaires et leurs propres vecteurs.

Beijing est toutefois confronté à un dilemme. Si le régime de la Corée du Nord, qui est économiquement fortement tributaire de la Chine, devait s’effondrer, la conséquence en serait un flot de réfugiés vers la Chine du Nord et éventuellement l’émergence d’un régime pro-américain à la frontière Nord de la Chine. A ce stade, aucune décision ne semble avoir été prise, mais la pression accrue exercée par Washington rend la question d’autant plus urgente et explosive.

Le renforcement par les Etats-Unis des capacités de missiles antibalistiques fait partie du « pivot vers l’Asie » plus général du gouvernement Obama qui comprend un effort diplomatique plus complet entrepris dans l’ensemble de la région et visant à miner l’influence de la Chine et à consolider un système d’alliances militaires pour l’encercler. Ceci est lié au « rééquilibrage » des forces militaires américaines vers l’Asie, ainsi que dans la région, afin d’assurer aux Etats-Unis une série d’options agressives – à commencer par un blocus naval de la Chine pour aller jusqu’à une guerre nucléaire de grande envergure.

Beijing est obligé de réagir. En janvier, l’agence de presse officielle chinoise Xinhua avait annoncé que l’armée avait conduit avec succès un test du système d’interception de missile balistique basé à terre. Le spécialiste de l’armée de l’air, Fu Qianshao, avait toutefois dit aux médias, que les systèmes chinois n’étaient encore qu’à leurs débuts et étaient en retard sur les Etats-Unis.

Dans ce domaine de la technologie militaire, comme dans d’autres, le gouvernement Obama est en train de provoquer une dangereuse course à l’armement qui ne fait qu’accroître le danger de guerre.

Peter Symonds

Article original, WSWS, paru le 16 mars 2013

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