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Les gouvernements se servent d’une pandémie porcine pour renforcer la mainmise des grandes entreprises et écraser les petites exploitations
Par Grain
Mondialisation.ca, 08 octobre 2021
grain.org
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En mai 2021, des porcs ont commencé à mourir en grand nombre d’une mystérieuse maladie dans différents villages de la République dominicaine, près de la frontière avec Haïti. Les agriculteurs locaux étaient désemparés et désespérés. Ils ont fait appel aux autorités et ont supplié le gouvernement d’identifier la maladie afin de pouvoir trouver un moyen de la combattre.

« Si [la pandémie] n’est pas stoppée, il ne restera plus aucun porc vivant ici », a déclaré Evangelista Con, une agricultrice de la province de Montecristi qui a perdu ses 22 porcs à cause de cette maladie inconnue.[1]

Certains agriculteurs ont posté des vidéos de leurs porcs morts sur YouTube pour tenter d’attirer l’attention.[2] Et des informations ont commencé à circuler sur des foyers épidémiques dans d’autres parties du pays. À la fin du mois de juin, on parlait de la mystérieuse maladie dans tous les médias du pays.[3] Des milliers de porcs étaient morts, les petits agriculteurs étaient ruinés et les consommateurs hésitaient à consommer du porc.

Ce n’est qu’à ce moment-là que le gouvernement a réagi. Après s’être rendue dans certaines des exploitations et avoir procédé à des autopsies, l’autorité vétérinaire a déclaré publiquement qu’il s’agissait simplement d’une pneumonie qui, selon le gouvernement, n’avait tué qu’une soixantaine de jeunes porcs dans huit petites fermes familiales du nord-ouest.[4]

Le Directeur de la santé animale du gouvernement, le Dr Rafael Bienvenido Nuñez Mieses, a déclaré que les décès étaient dus à de mauvaises pratiques sanitaires et alimentaires dans les petites fermes familiales.

« Le diagnostic présumé est celui d’une pneumonie porcine. Il faut tenir compte du fait que ces porcs ont été achetés dans des exploitations modernes, où il existe des programmes de vaccination contre les virus et d’autres maladies. Ces porcs ont été ramenés dans des petits élevages à la frontière, où les conditions physiques et alimentaires posent des problèmes sanitaires », a déclaré Nuñez Mieses, dans un communiqué officiel publié le 29 juin. « Il s’agit d’un problème sanitaire inévitable qui survient en permanence chez les porcs des petites exploitations familiales, car les animaux ne vivent pas dans les conditions sanitaires et alimentaires adéquates… Nous disposons des médicaments nécessaires pour faire face à cette situation et elle est déjà sous contrôle ».

Quelques semaines plus tard, dans une interview à la radio, le Dr Nuñez Mieses a répété que la maladie n’était qu’un problème pour les porcs des petites exploitations dans les zones frontalières et a assuré aux auditeurs que la situation était sous contrôle et n’affectait pas d’autres régions du pays, comme La Vega, où se concentrent les grandes exploitations porcines industrielles. « Le problème a commencé dans la zone frontalière et il reste confiné dans cette zone ».[5]

Il avait tout faux. Le 28 juillet 2021, un laboratoire américain a confirmé le pire : des échantillons prélevés sur des porcs morts étaient positifs à la peste porcine africaine (PPA), une maladie mortelle.[6]

La peste porcine africaine de retour en Amérique après 40 ans

La PPA est une maladie porcine mortelle qui a conduit à l’éradication de la totalité du cheptel porcin sur l’île de la République dominicaine et Haïti lorsqu’elle a frappé pour la dernière fois les Caraïbes à la fin des années 1970. Une nouvelle variante de la PPA est apparue en Europe de l’Est en 2007 et s’est depuis propagée en Asie, entraînant la mort d’environ un quart du total des porcs de la planète. La PPA est une maladie très persistante qui peut être transmise d’une exploitation touchée à une autre de nombreuses manières : par des bottes sales, les roues d’un camion, de la viande contaminée, le déplacement de porcs vivants et, peut-être surtout, le commerce des aliments pour animaux. Compte tenu de l’interconnexion mondiale de l’industrie porcine d’aujourd’hui, tous les pays ayant des élevages de porcs sont ou devraient être en état d’alerte maximum pour détecter les signes de cette variante de PPA. De toute évidence, ce n’était pas le cas de la République dominicaine.

>Début avril 2021, plus de 200 porcs sont morts de maladie dans une exploitation fermée de la commune de La Vega, dans le centre du pays, bastion de l’élevage industriel et de la reproduction porcine. Le gouvernement a prélevé des échantillons, mais n’a effectué de tests que plus tard en juillet, quand ces échantillons ont été envoyés avec un lot d’échantillons prélevés dans d’autres exploitations présentant des foyers épidémiques. Selon un rapport officiel de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) publié le 25 août 2021, cette ferme est répertoriée pour avoir été le premier foyer de PPA dans le pays, dès le 10 avril.

Cela aiderait à expliquer comment la PPA s’est propagée si rapidement à travers le pays. La PPA est mortelle, mais la transmission de porc à porc se fait lentement. Si un foyer isolé est déclaré dans une petite exploitation familiale, il peut être contrôlé rapidement et efficacement, comme cela s’est produit dans d’autres pays.[7] Mais si la PPA pénètre dans une installation industrielle – qu’il s’agisse d’une exploitation de reproduction, d’une porcherie, d’une usine d’aliments pour animaux ou d’une usine de transformation de viande – alors cela a pour effet d’ouvrir de multiples voies de transmission et la maladie peut rapidement devenir incontrôlable. C’est ce qui s’est passé en Europe de l’Est et en Asie, et c’est probablement ce qui s’est passé en République dominicaine, puisque les entreprises d’élevage de porcs de La Vega fournissent des porcelets, des aliments et d’autres produits aux exploitations industrielles et familiales dans tout le pays.[8] Le Dr Bolivar Echevarria, un vétérinaire du nord-ouest du pays qui travaille avec des éleveurs de porcs, affirme que la maladie a également pu être propagée par inadvertance par les agents techniques du ministère de l’Agriculture, qui sont allés de ferme en ferme en juin pensant qu’il s’agissait d’une pneumonie.[9]

[VIDEO] Des porcs d’une petite exploitation en République dominicaine un jour avant d’être abattus, une mesure gouvernementale visant à endiguer la peste porcine africaine. Une centaine de porcs ont été abattus sans être malades ou infectés. Crédit : Bolívar Echevarría

La République dominicaine se démène maintenant pour faire face à la situation, au prix d’une énorme perte pour les petits éleveurs de porcs du pays. Le « plan A » du gouvernement prévoit l’abattage massif de tous les porcs des petites exploitations qui se trouvent dans un rayon de 3 km des foyers épidémiques ou à proximité des exploitations industrielles, dans le but de protéger les gros exploitants. Dans les zones où il y a des foyers, seuls les porcs des petites exploitations familiales sont abattus, et non les porcs des fermes industrielles.[10] Les agriculteurs sont indemnisés pour les porcs abattus, mais pas pour ceux qui sont morts de la PPA. Si le « Plan A » ne parvient pas à empêcher la PPA de s’introduire dans les élevages porcins industriels, le gouvernement passera alors au « Plan B », qui prévoit l’éradication complète de tous les porcs du pays voire de l’île entière, y compris en Haïti où la maladie a d’ores et déjà été détectée dans une ville frontalière.[11]

>Le plan A vacille déjà. La PPA s’est maintenant propagée à toutes les provinces d’élevage porcin du pays, et plusieurs foyers sont apparus dans des exploitations industrielles, y compris dans des exploitations de reproduction. Selon Francisco Israel Brito, le président de la Fédération dominicaine des producteurs de porcs, 98 % du cheptel porcin du pays est « épidémiologiquement compromis ».[12]

Le Dr Echevarria dit que les petits éleveurs de porcs de République dominicaine ont une autre théorie. Ils pensent que le plan A ne vise pas à éradiquer la maladie, mais à éliminer les petits agriculteurs afin que les grandes entreprises de production de viande et les gros éleveurs de porcs puissent exercer un monopole sur le marché.

Tirer profit de la maladie

L’industrie porcine industrielle d’aujourd’hui en République dominicaine est née de l’épidémie de PPA survenue à la fin des années 1970, au cours de laquelle l’ensemble du cheptel national a été éradiqué. C’est par la suite que les politiciens et les hommes d’affaires ont commencé à investir dans les élevages industriels de porcs, et que des races porcines à haut rendement ont remplacé les variétés traditionnelles. Au fil des décennies, ces exploitations industrielles, en lien avec des fournisseurs mondiaux de ressources génétiques, d’équipements, d’aliments pour animaux, de médicaments et de consultants, en sont venues à dominer la production nationale et ont apporté sur l’île les maladies redoutables qui frappent le secteur mondialisé de l’industrie porcine d’aujourd’hui, telles que la peste porcine classique et la diarrhée épidémique porcine.[13]

Comme dans de nombreux autres pays où la PPA est désormais présente, les élevages porcins industriels en République dominicaine sont fortement tributaires des importations d’ingrédients alimentaires. Selon le propriétaire de l’une des plus grandes exploitations porcines du pays, environ 50 000 camions sont nécessaires chaque année pour acheminer les aliments et autres produits importés depuis les ports jusqu’aux élevages porcins.[14] Il est désormais bien établi que la peste porcine africaine peut persister dans les ingrédients des aliments pour animaux au cours de leur transformation et de leur transport sur de longues distances, et c’est pourquoi certains pays, comme le Canada, ont commencé à mettre en place des contrôles aux frontières sur les importations d’ingrédients alimentaires en provenance des pays touchés par la peste porcine africaine.[15] Étant donné que la République dominicaine ne dispose pas de tels contrôles, il est tout à fait possible que les aliments pour animaux aient été le vecteur d’introduction de la PPA dans l’île.

Malgré ces préoccupations liées aux aliments commerciaux, l’OIE n’en a pas fait un volet central de ses efforts mondiaux de lutte contre la PPA.[16] En fait, la plupart des pays du monde n’ont pas mis en place de contrôles sur les importations d’aliments ou d’ingrédients pour aliments commerciaux pour faire face à la PPA, et peu reconnaissent même que les aliments commerciaux pourraient être une source de transmission. Au lieu de cela, les gouvernements ont pris des mesures à l’encontre des petites exploitations agricoles qui utilisent des déchets de cuisine, qu’on appelle les eaux grasses, suivant la recommandation de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).[17] Cette situation, à laquelle s’ajoute l’augmentation du nombre de porcs d’élevage industriel, qui consomment une grande proportion d’aliments commerciaux, génère une demande accrue d’aliments commerciaux et, par conséquent, augmente le commerce des ingrédients des aliments pour animaux et crée plus de risques de transmission transfrontalière.[18] En Chine, par exemple, les eaux grasses dans l’alimentation ont été interdites après l’apparition des premiers foyers de PPA en 2018, ce qui a conduit à des importations supplémentaires de 30 millions de tonnes de maïs et 10 millions de tonnes de tourteau de soja utilisés comme matière première pour l’alimentation animale.[19]

La PPA dynamise également le commerce du porc, autre vecteur de propagation de la maladie. D’une part, les abattages massifs utilisés pour lutter contre la maladie détruisent une grande partie de l’approvisionnement local et augmentent le prix du porc, ce qui permet aux grandes entreprises de combler le vide avec des importations.[20] La Chine en est l’exemple le plus évident : elle a quadruplé ses importations de porc après avoir été frappée par la PPA, absorbant près de la moitié du total des exportations mondiales de viande de porc, et les bénéfices des grandes entreprises de viande comme WH Group (Smithfield) ont grimpé en flèche.[21] Aujourd’hui, le gouvernement chinois aide ses entreprises à se rendre à l’étranger pour construire des exploitations porcines capables d’approvisionner la Chine, comme dans le cas de l’accord controversé de 27 milliards de dollars qu’il a commencé à négocier avec l’Argentine en 2020. L’accord vise la construction de 25 méga-exploitations porcines et ferait passer le cheptel porcin de l’Argentine de 6 millions à 100 millions de porcs.[22]

D’autre part, comme les gouvernements appliquent des mesures de lutte contre la PPA qui privilégient les élevages porcins industriels et les chaînes de production destinées à l’exportation au détriment des petites exploitations porcines et de transformation de viande, les foyers de PPA en Asie et en Europe sont en train de remodeler radicalement le secteur de l’élevage porcin. Ces dispositions vont des abattages massifs de porcs dans les exploitations familiales aux règles interdisant les eaux grasses et les porcs élevés en liberté, en passant par la création de zones ou de compartiments réservés aux grandes exploitations industrielles afin qu’elles puissent continuer à exporter de la viande même si la PPA est présente dans d’autres parties du pays (Encadré : En quoi consistent les compartiments et zones indemnes de PPA ?).[23]

Les autorités russes, par exemple, ont réagi à l’émergence de la peste porcine africaine dans le pays en 2009 en abattant tous les porcs dans les petites exploitations situées dans un rayon de 5 à 25 km des foyers dans les élevages industriels, en procédant à des abattages préventifs de porcs dans les petites exploitations et en instituant un système de compartimentation pour permettre aux entreprises de continuer à exporter de la viande en provenance des zones infectées par la PPA. Les petites exploitations ont été décimées par ces mesures, même si la grande majorité des porcs touchés par la PPA se trouvaient dans de grands élevages industriels. Les petites fermes de Russie produisaient environ 70 % de la viande de porc russe avant que la PPA n’atteigne le pays, mais maintenant elles n’en produisent plus qu’environ 10 %. Et, alors même que des flambées de PPA continuent de tuer des centaines de milliers de porcs à travers le pays chaque année, la Russie est devenue l’un des principaux exportateurs mondiaux de porc.[24]

En quoi consistent les compartiments et zones indemnes de PPA ?

Les entreprises et les gouvernements se préparent à une nouvelle normalité dans laquelle la PPA est une menace constante et pour de nombreux pays, une présence constante. Une telle situation, compte tenu des interdictions immédiates imposées sur les importations de porc en provenance des pays affectés par la PPA, pourrait être extrêmement déstabilisatrice pour les entreprises porcines mondiales, dont les activités sont concentrées dans les pays où la production de porc est largement excédentaire. Donc, pour maintenir les exportations, même en période d’épidémie de PPA, les entreprises travaillent avec l’OIE, la FAO et les grands pays exportateurs de porc, tels que les États-Unis, le Canada, la France, la Chine et la Russie, pour autoriser au niveau mondial les exportations depuis les « zones » ou « compartiments » pouvant être considérés comme indemnes de PPA, même si la PPA est présente dans le pays.

Les zones sont des territoires où toutes les exploitations doivent respecter les mêmes « normes de biosécurité » et où les déplacements des porcs et la présence de maladies sont censés être étroitement surveillés, ce qui rend difficile, voire illégale, l’activité des petites exploitations et des petits transformateurs de viande dans ces régions. Plusieurs pays exportateurs ont déjà signé des accords avec des importateurs pour faire reconnaître leurs plans de zonage afin que le porc issu des « zones » indemnes de PPA puisse continuer à être exporté en cas d’apparition de foyers de PPA ailleurs dans le pays. Le Canada a conclu des accords mutuels sur les zones indemnes de PPA avec l’UE et les États-Unis, et un accord d’exportation avec Singapour, tout comme l’Australie. La France aurait récemment conclu un accord avec la Chine pour faire reconnaître son plan de zonage, mais l’Allemagne, où la PPA est présente, a eu du mal à faire de même.[25]

Les zones, cependant, ne sont qu’un tremplin vers ce que les grandes entreprises de viande recherchent vraiment : la reconnaissance mondiale des compartiments. Un compartiment, selon les lignes directrices récemment élaborées par l’OIE, est une population d’animaux contenue dans un ou plusieurs établissements possédant un statut zoosanitaire spécifique, maintenue dans un système défini de gestion de la biosécurité qui la sépare des autres populations animales.[26] Il s’agit essentiellement du système de production verticalement intégré d’une entreprise de la filière viande, dans lequel l’ensemble des élevages, des fournisseurs sous contrat et des usines de transformation de viande sont reconnus comme un « compartiment » adhérant à un ensemble de pratiques de biosécurité censées protéger ses activités de la PPA. Le compartiment indemne de PPA d’une entreprise pourrait continuer à exporter du porc même si certaines de ses exploitations ou usines de transformation de viande se trouvent sur un territoire infecté par la PPA.[27]

Dans chaque pays où la variante géorgienne de PPA s’est propagée, les mesures prises par les gouvernements pour la combattre ont détruit les petites exploitations porcines et permis aux entreprises de viande et aux exploitations industrielles de prospérer. En Chine, par exemple, malgré les tentatives du gouvernement d’industrialiser le secteur, les petites fermes familiales produisaient encore la moitié de la viande de porc du pays en 2010. Mais aujourd’hui, après trois ans de PPA, 40 % de la viande de porc du pays provient d’élevages industriels de moins de 1 000 porcs et 40 % de nouvelles installations industrielles à grande échelle comptant plus de 1 000 truies.[28]

L’année dernière, le nombre de truies détenues par les dix plus grandes entreprises d’élevage porcin au monde a augmenté de 53 % par rapport à l’année précédente, passant de 7,2 millions à 11,0 millions, et la quasi-totalité de cette augmentation a eu lieu en Chine, où des entreprises d’élevage porcin comme Muyuan et New Hope obtiennent des financements de banques multilatérales pour construire des méga-porcheries de plusieurs étages.[29] Muyuan, la plus grosse entreprise chinoise d’élevage porcin, construit actuellement un « complexe hotelier pour porcs » dans le province du Henan pour y élever chaque année 2,1 millions de porcs répartis dans 21 porcheries à six étages et ce, à l’aide de financements de la Banque mondiale.[30]

Le géant thaïlandais de la viande, Charoen Pokhpand (CP), a également profité de la pandémie de PPA pour développer ses élevages de porcs et ses activités porcines en Chine, en Russie et au Vietnam.[31]Aux Philippines, où CP exploite des élevages de porcs industriels depuis plus d’une décennie, il s’est associé au gouvernement et à la Banque de développement des Philippines dans le cadre d’un programme visant à reconstituer le cheptel national, qui a été anéanti depuis que la PPA a frappé le pays en 2019. Le programme, connu sous le nom de Swine R3 Credit Program, fournira un financement dont les petits éleveurs de porcs ont grandement besoin, mais seulement s’ils concluent un contrat de production avec CP et adoptent les mesures de biosécurité de l’entreprise. Des financements seront également accordés aux collectivités locales pour regrouper les porcs des petites exploitations familiales dans de grandes porcheries destinées à approvisionner CP.[32] Ce programme pourrait avoir pour effet de convertir une grande partie du secteur porcin philippin en chaîne d’approvisionnement pour CP, qui considère le pays comme une nouvelle base importante pour ses importations d’aliments pour animaux et ses exportations de viande de porc transformée.

« La notion de  »relance » de notre industrie porcine, telle qu’elle est promue par notre ministère de l’Agriculture, est en train de restructurer le secteur pour passer de la prédominance actuelle des petits éleveurs locaux à un contrôle plus large et plus poussé des entreprises et de l’étranger », estime Lester Gueta du Mouvement paysan des Philippines (KMP).

Que faudrait-il faire ?

Les mesures de contrôle de la PPA actuellement appliquées par les gouvernements et les agences internationales ne fonctionnent pas. Non seulement elles ont un impact désastreux sur les petits agriculteurs, mais elles n’arrêtent pas la PPA, qui reste un problème grave dans les pays où ces mesures ont été tentées, que ce soit en Europe de l’Est ou en Asie. En Russie, par exemple, où les autorités ont impitoyablement réduit les petits élevages porcins et mis en place des compartiments pour les grands exploitants, 560 000 porcs sont morts d’épidémies de PPA en seulement trois mois, de novembre 2020 à janvier 2021.[33]

La réponse internationale à la PPA n’arrête pas non plus la propagation mondiale de la maladie. En privilégiant le contrôle des entreprises sur la production et les exportations porcines, ces mesures amplifient les risques de transmission transfrontalière. Cela est vrai non seulement pour la PPA et d’autres maladies animales, mais aussi pour les maladies humaines. Il est de plus en plus admis que les élevages industriels et les plantations industrielles destinées à l’alimentation animale sont des sites où émergent de nouvelles maladies pouvant infecter l’homme, tandis que les usines de transformation de viande, comme on l’a vu avec la pandémie de Covid-19, sont des vecteurs majeurs de transmission et d’amplification des maladies, avec des conséquences particulièrement meurtrières pour les travailleurs et leurs familles.[34]

Un vaccin contre la PPA pourrait être utile, et certains signes laissent penser qu’il pourrait bientôt être disponible. Cela donnerait aux petits agriculteurs la confiance nécessaire pour reconstituer leurs cheptels après les épidémies de PPA et pour nourrir leurs animaux avec des eaux grasses et les élever en liberté. Mais il est loin d’être clair qu’un vaccin, s’il est mis au point, sera largement mis à la disposition des petits agriculteurs. La PPA a longtemps été ignorée lorsqu’elle était confinée à l’Afrique. Maintenant que la maladie menace le secteur de l’élevage porcin industriel, elle suscite davantage d’intérêt. Mais les laboratoires publics qui développent des vaccins contre la PPA concluent déjà des accords de licence avec des sociétés pharmaceutiques, ce qui pourrait bien mettre les prix hors de la portée des petits agriculteurs.[35] Il n’y a, à l’heure actuelle, aucun programme mondial pour le développement et le déploiement de vaccins accompagné d’un plan pour rendre les vaccins accessibles aux petits agriculteurs.

De toute façon, les grandes entreprises de la filière viande ne semblent pas très intéressées par un vaccin. Elles craignent que l’utilisation de vaccins dans leurs élevages et dans leurs exploitations agricoles sous contrat ne soit coûteuse et ne compromette le statut de zone indemne de peste porcine africaine dont elles ont besoin pour les exportations, car, avec certains types de vaccins, il serait difficile de déterminer si les traces de PPA trouvées dans la viande de porc proviennent des vaccins ou de la maladie.[36] En Chine, les entreprises qui expérimentent des vaccins illicites ont fini par créer une nouvelle variante de la PPA qui est moins mortelle et donc plus susceptible d’échapper à la détection et aux mesures de contrôle. Pourquoi les grandes entreprises accepteraient-elles de vacciner leurs porcs alors que la PPA s’avère si bénéfique pour leurs résultats financiers ?

Vaccin ou pas, la PPA est désormais solidement ancrée dans l’industrie porcine mondiale et elle va continuer à se propager. Si l’approche actuelle de la maladie promue par la FAO, l’OIE et les gouvernements, en étroite coordination avec les entreprises, n’est pas remise en cause, la PPA va anéantir les petits élevages porcins traditionnels – et avec eux, toute la biodiversité, la culture et les économies locales qu’ils font vivre – et les remplacer par des élevages industriels.

 

Notes :
[1] Garcia Rosario, « Brote neumonia afecta a cerdos », Diario Libre, 28 juin 2021 : https://www.pressreader.com/dominican-republic/diario-libre-republica-dominicana/20210628/282119229517132
[5] Podcast El Patron de la tarde, « Conversamos con Rafael Bienvenido Núñez Mieses », 26 juillet 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=YOctZ4DTgjg
[6] Reuters, « African swine fever confirmed in Dominican Republic pigs -USDA », 28 juillet 2021 : https://www.reuters.com/world/americas/african-swine-fever-confirmed-dominican-republic-pigs-usda-2021-07-28/
[7] C’est ce qui s’est passé en Allemagne, en Ukraine et dans les pays voisins de l’épidémie initiale en Géorgie. Voir GRAIN, « L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série », 11 mars 2021 : https://grain.org/e/6428
[8] GRAIN, « L’élevage industriel sous l’emprise des pandémies en série », 11 mars 2021 : https://grain.org/e/6428
[9] Communication personnelle, 17 septembre 2021.
[10] Cela a été confirmé par des communications personnelles avec le Dr Bolívar Echevarria et un éleveur de porcs dans une zone touchée dans le nord-ouest du pays.
[11] Webinaire de 333 Latinoamérica, « Situación actual de la Peste Porcina Africana en República Dominicana », 31 août 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=0S7V-ewrsAQ
[12] Comme indiqué dans le webinaire de 333 Latinoamérica, « Situación actual de la Peste Porcina Africana en República Dominicana », 31 août 2021 : https://www.youtube.com/watch?v=0S7V-ewrsAQ
[13] Selon Lissette Gómez, Directrice de la santé animale pour la République dominicaine, c’est en 2014 que la République dominicaine a été confrontée pour la dernière fois à une grave flambée épidémique de maladie porcine, lorsque des « consultants » venus des États-Unis ont visité une exploitation industrielle et ont introduit la redoutable diarrhée épidémique porcine. https://www.aphis.usda.gov/animal_health/animal_dis_spec/swine/downloads/meeting/presentations/24%20-%209%20-%20Gomez.pdf
[14] C’est ce qu’a déclaré le président de la Junta Agroempresarial Dominicana, Osmar Benítez, dans « La peste porcina africana ‘acaba’ con la crianza en traspatios », Diario Libre, 11 août 2021 : https://www.diariolibre.com/economia/la-peste-porcina-africana-acaba-con-la-crianza-en-traspatios-GC28088493
[15] Aerin Einstein-Curtis, « ASF: Canada amends feed import rules, Canadian Pork Council », Feed Navigator, avril 2019 : https://www.feednavigator.com/Article/2019/04/05/ASF-Canada-amends-feed-import-rules ; Canada Pork Council, ‘What’s hitching a ride in your feed?’ : https://www.cpc-ccp.com/asf-feed
[16] La fiche d’information de l’OIE pour la prévention et le contrôle de la PPA (mise à jour en mars 2021) ne mentionne pas le risque posé par les aliments commerciaux. Voir : https://www.oie.int/app/uploads/2021/03/african-swine-fever.pdf
[17] Voir par exemple l’avis de la FAO sur les eaux grasses dans l’alimentation et la PPA qui indique : « l’interdiction des eaux grasses dans l’alimentation est un objectif à viser du point de vue de la prévention des maladies ». Voir : http://www.fao.org/ag/againfo/programmes/en/empres/gemp/cont-plan/cp-asf/asf3400-swill.htm
[18] Dans les grands élevages industriels de plus de 1 000 truies, le blé et le maïs représentent 65 % de l’alimentation soit 215 kg par porc, contre 50 % pour les élevages commerciaux de moins de 1 000 porcs et seulement 20 % pour les élevages de moins de 50 porcs. Linda Smith, « High-Rise Piggeries: What China’s Pork Industry Transformation Means to U.S. Farmers », AgWeb, 2 août 2021 : https://www.agweb.com/news/livestock/pork/high-rise-piggeries-what-chinas-pork-industry-transformation-means-us-farmers
[19] South China Morning Post, « China food security: soybean imports ‘exceptionally large’ as pig population nears pre-African swine fever level », juin 2021, https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3136989/china-food-security-soybean-imports-exceptionally-large-pig
[20] Aux Philippines, par exemple, des décrets ont abaissé les tarifs d’importation de porc et augmenté les quotas d’importation, malgré la forte opposition des agriculteurs locaux. Voir USDA, « Philippines: Lowering pork tariffs and raising quota volume » 18 mai 2021 : https://www.fas.usda.gov/data/philippines-philippines-lowers-pork-tariffs-and-raises-quota-volume
[21] GRAIN, « Les profits avant tout : la plus grande entreprise porcine du monde propage les pandémies », avril 2020 : https://grain.org/e/6447 ; Linda Smith, « High-Rise Piggeries: What China’s Pork Industry Transformation Means to U.S. Farmers », AgWeb, 2 août 2021 : https://www.agweb.com/news/livestock/pork/high-rise-piggeries-what-chinas-pork-industry-transformation-means-us-farmers
[22] Fermín Koop, « Argentina looks to capitalise on China’s swine fever crisis », Dialogo Chino, janvier 2020 : https://dialogochino.net/33102-argentina-looks-to-capitalise-on-chinas-swine-fever-crisis/
[23] GRAIN, « Les profits avant tout : la plus grande entreprise porcine du monde propage les pandémies », avril 2020 : https://grain.org/e/6447
[24] Pig Progress, « Russia embraces its new global role in pork », 2 juin 2020 : https://www.pigprogress.net/World-of-Pigs1/Articles/2020/6/Russia-embraces-its-new-global-role-in-pork-588356E/
[25] Les informations sur la France ont été fournies par Guillaume Roué, président de l’International Meat Society lors d’une présentation à la conférence, « Stop PPA : un partenariat public et privé pour réussir, 13 juin 2021 : https://stop-asf.gf-tads.org/en/session/3e6b38bd-5ba8-eb11-94b3-501ac5921410. Sur l’Allemagne, voir Reuters, « Talks with China on ending its German pork ban remain difficult -minister », 10 septembre 2021 : https://www.reuters.com/business/healthcare-pharmaceuticals/talks-with-china-ending-its-german-pork-ban-remain-difficult-minister-2021-09-10/
[27] La citation exacte en français est : « De pouvoir, malgré tout, dans des zones affectées, quelles que soient les maladies, déterminer les segments de la production qui pourraient continuer à commercialiser. Ça, c’est le challenge de demain. » Présentation à la conférence, « Stop PPA : un partenariat public et privé pour réussir, 13 juin 2021 : https://stop-asf.gf-tads.org/en/session/3e6b38bd-5ba8-eb11-94b3-501ac5921410
[28] Linda Smith, « High-Rise Piggeries: What China’s Pork Industry Transformation Means to U.S. Farmers », AgWeb, 2 août 2021 : https://www.agweb.com/news/livestock/pork/high-rise-piggeries-what-chinas-pork-industry-transformation-means-us-farmers
[29] Pig Progress, « Who are the world’s mega pork producers? » 18 juin 2021 : https://www.pigprogress.net/World-of-Pigs1/Articles/2021/6/Who-are-the-worlds-mega-pork-producers-760452E/ ; AgriPost, « From 25 million to 40 million hogs, why does New Hope Liuhe escalate pig farming? » Octobre 2020 : http://www.agripost.cn/2020/en-news_1007/500.html
[30] Ashoka Mukpo, « World Bank’s IFC pumped $1.8b into factory farming operations since 2010 », 7 juillet 2020 : https://news.mongabay.com/2020/07/world-banks-ifc-pumped-1-8b-into-factory-farming-operations-since-2010/
[31] CPF, « CPF proposes to integrate swine business in China CTI, its subsidiary, to acquire pig farms in China Profit jumps abruptly in line with business expansion plan to further growth », 14 septembre 2020 : https://www.cpfworldwide.com/en/media-center/corporate-1436 ; Pig Progress, « Tönnies sells Russian pig business to CP Foods », 7 septembre 2021 : https://www.pigprogress.net/World-of-Pigs1/Articles/2021/9/Tonnies-sells-Russian-pig-business-to-CP-Foods-789988E/ ; Vietnam Plus, « CP Vietnam builds largest pig slaughter plant in northern region », 15 mai 2020, https://en.vietnamplus.vn/cp-vietnam-builds-largest-pig-slaughter-plant-in-northern-region/173403.vnp
[33] Pig Progress, « ASF Russia: Over half a million pigs culled this winter », 3 mars 2021 : https://www.pigprogress.net/Health/Articles/2021/3/ASF-Russia-Over-half-a-million-pigs-culled-this-winter-716734E/
[34] GRAIN, « Les profits avant tout : la plus grande entreprise porcine du monde propage les pandémies », avril 2020 : https://grain.org/e/6445
[35] Le gouvernement américain, qui possède l’une des plus vastes collections d’échantillons de PPA et est l’un des développeurs les plus avancés de vaccins contre la PPA, a signé un accord de licence non exclusif pour le développement et la production commerciale de vaccins PPA avec Zoetis LLC, une société détenue par les hommes d’affaires bulgares controversés Kiril Domuschiev et Georgi Domuschiev. Pour plus d’informations sur l’accord de licence, voir : https://www.zoetis.com/_locale-assets/pdf/innovation/zoetis-approach-to-african-swine-fever.pdf. Pour plus d’informations sur les propriétaires de Huvepharma, propriétaire de Zoetis, voir : https://www.aljazeera.com/news/2021/6/18/how-bulgaria-hit-rock-bottom-on-press-freedom
[36] Voir Daniel L. Rock, « Thoughts on African Swine Fever Vaccines », Viruses, 13(5), mai 2021 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8161283/
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