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Les grandes entreprises technologiques étatsuniennes rejoignent Trump dans sa guerre contre l’Iran
Par Alan MacLeod
Mondialisation.ca, 24 janvier 2020
Mint Press 13 janvier 2020
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Le géant de la Silicon Valley, Facebook, a annoncé vendredi qu’il supprimerait tous les messages positifs concernant le général iranien récemment assassiné Qassem Soleimanisur sa plateforme et sa filiale Instagram. La raison de cette décision, a-t-il expliqué à CNN, est que les nouvelles sanctions américaines rendent illégale la promotion de tout message soutenant une personne ou un groupe que le gouvernement décrit comme une organisation terroriste. « Nous opérons en vertu des lois américaines sur les sanctions, y compris celles relatives à la dénonciation par le gouvernement américain du Corps des gardiens de la révolution iranienne (IRGC) et de ses dirigeants », a déclaré un porte-parole de Facebook. Instagram avait déjà fermé le compte de Soleimani en avril de l’année dernière, à la suite de la désignation par Trump du Corps des gardiens de la révolution iranienne en tant que groupe terroriste. Vendredi, suite à cette nouvelle, Twitter a suspendu le compte du Guide suprême iranien, l’Ayatollah Khamenei, pour « activité inhabituelle ». Il a été ré-ouvert par la suite.

La semaine dernière, Trump a menacé de semer le chaos et la destruction en Iran, promettant de détruire des dizaines de sites culturels iraniens majeurs, action reconnue immédiatement par la communauté internationale comme un crime de guerre majeur et un crime contre l’humanité. Le président a renoncé à sa guerre ouverte, mais a également annoncé de nouvelles sanctions « punitives » à l’encontre de la République islamique.

Dans la hâte de se conformer à ces nouvelles règles, les grandes entreprises américaines font du zèle. Paypal, par exemple, a commencé à bloquer les dons au site de médias alternatifs The Grayzone parce qu’il mentionnait « Iran » dans un titre ou un texte. The Grayzone a été une source rare de résistance contre les plans de guerre de l’administration Trump dans la région.

L’année dernière, Medea Benjamin s’est rendu en Iran pour recenser les effets des sanctions déjà existantes. Elle a décrit une population de 80 millions de personnes qui ont vu leurs économies anéanties par la chute de la valeur du Rial iranien. « Les sanctions étouffent le choix de vie des gens », a-t-elle expliqué, rencontrant des femmes qui ne pouvaient plus fréquenter les universités étrangères et des hommes qui n’avaient pas les moyens de se marier. Les sanctions ont aussi considérablement accru la pauvreté et le nombre de sans-abri et ont rendu beaucoup plus difficile l’accès à des traitements médicaux vitaux, car il est presque impossible de se procurer des médicaments étrangers. Néanmoins, les Iraniens ont été capables de faire la distinction entre les citoyens et le gouvernement ; le message accablant que Benjamin a reçu était « les Américains sont bons, Trump est mauvais ».

Bien que soutenir, voire même connaître Soleimani soit très rare en Amérique, une étude réalisée en 2019 par l’Université du Maryland a révélé que « le général Soleimani reste la personnalité publique iranienne la plus populaire », 59 % des Iraniens le considérant « très favorablement » et plus de quatre personnes sur cinq de son pays ayant une opinion positive de lui dans l’ensemble. Instagram est extrêmement populaire en Iran, avec au moins 24 millions d’utilisateurs au début de 2018, soit environ un tiers de la population totale. C’est pourquoi l’interdiction des descriptions positives de Soleimani est une question d’une telle portée problématique. Si la suppression des messages de soutien au gouvernement ou la suspension du compte de Khamenei peut sembler être une mesure de représailles mesquine et infantile pour s’être opposé à l’administration Trump, elle a en fait de profondes ramifications sur la liberté d’accès à l’information.

Les pays étrangers comptent sur les géants des médias sociaux de la Silicon Valley pour obtenir des nouvelles et des opinions, autant que les Américains. Des milliards de personnes obtiennent leurs infos sur Facebook, mais cette décision signifie qu’un des côtés du débat ne sera pas exposé. De plus, les médias sociaux sont l’un des seuls endroits où les Américains pourraient être exposés à une opinion iranienne, mais la dernière décision bloque effectivement cette voie d’information et de communication. Au lieu de cela, nous sommes exposés uniquement à l’opinion que le monde et les Iraniens eux-mêmes détestent leur gouvernement. La semaine dernière, le hashtag #IraniansDetestSoleimani était à la mode sur Twitter aux États-Unis, mais pas au Moyen-Orient. De plus, le message était boosté par des fans de Trump qui se faisaient passer pour des Iraniens.

L’Iran n’est pas le seul ennemi du gouvernement américain ciblé par les médias sociaux. Des centaines de comptes soutenant le gouvernement vénézuélien, y compris celui du président Nicolas Maduro lui-même, ont été suspendus ou supprimés par Facebook et Twitter, le premier supprimant également les pages du média indépendant Venezuelanalysis et du réseau international TeleSUR English lorsque le regard de Trump s’est porté sur le pays.

Le fait que les actions de Facebook semblent être coordonnées avec le gouvernement américain n’est pas une coïncidence. Depuis 2018, il a partiellement externalisé le contrôle éditorial des infos à l’Atlantic Council, le groupe de réflexion de l’OTAN. Le conseil d’administration du Conseil est un who’s who de hauts fonctionnaires du gouvernement comme Henry Kissinger, Condoleezza Rice et Colin Powell, d’anciens généraux comme Wesley Clark et David Petraeus, et de chefs de la CIA comme Leon Panetta, Michael Hayden et Robert Gates. En fait, l’« État profond » contrôle ce que les Américains – et le reste du monde – lisent comme nouvelles, créant ainsi quelque chose proche d’un appareil médiatique mondial contrôlé par l’État.

En réponse à la décision de Facebook, le porte-parole du gouvernement iranien, Ali Rabiei, a qualifié cette décision d’« action antidémocratique et sans vergogne », affirmant qu’elle continue de donner un «canal d’expression» aux vrais terroristes.

Alirabiei @Alirabiei_ir 11:24 PM – 6 Jan 2020

Dans une action antidémocratique et sans vergogne, Instagram a bloqué la voix d'une nation innocente qui protestait contre l'assassinat du général Soleimani, alors que les vrais terroristes ont pu s'exprimer ouvertement.

Le gouvernement iranien réfléchit à sa réponse, certains médias spéculant qu’il pourrait aller jusqu’à bloquer entièrement Instagram. Mais, comme pour l’assassinat de Soleimani, en raison du déséquilibre de pouvoir entre l’Iran et les États-Unis, sa réaction sera limitée dans sa portée, car les grands géants de la technologie comme Facebook sont trop puissants pour être touchés.

Alan MacLeod

 

Article original en anglais: Big Tech Firms Are Joining Trump’s All Out War Against Iran, Mint Press, le 13 janvier 2020.

Traduit par Wayan, relu par Kira pour le Saker Francophone

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