Les îles Chagos n’ont jamais été un territoire britannique

Nigel Farage et les conservateurs sont en pleine crise à propos de la “renonciation à la souveraineté” de la Grande-Bretagne sur des terres illégalement occupées.

Le ministre britannique des Affaires étrangères, David Lammy, rencontrera cette semaine son nouvel homologue américain, Marco Rubio, pour relancer le projet du Parti travailliste concernant la base militaire anglo-américaine sur les îles Chagos.

L’administration Trump semble remettre en cause l’accord du gouvernement britannique visant à permettre à l’île Maurice à exercer sa souveraineté sur les îles de l’océan Indien.

En octobre dernier, le gouvernement de Keir Starmer a annoncé un accord avec l’île Maurice selon lequel le Royaume-Uni continuera à exploiter la base militaire de la plus grande île du groupe des Chagos, Diego Garcia, mais que la souveraineté reviendra à l’île Maurice.

« L’archipel des Chagos est situé dans la partie nord de l’océan Indien, au sud du sous-continent indien et à mi-chemin entre les côtes de Tanzanie à l’ouest et Sumatra (Indonésie) située à l’est. »

 

Depuis, un certain nombre de députés conservateurs et réformistes éminents en Grande-Bretagne ont été profondément irrités par la décision du gouvernement. Au cours des quatre derniers mois, ils ont posé plus de 100 questions écrites au Parlement au sujet de ce projet.

La ministre des Affaires étrangères du cabinet fantôme, Priti Patel, déplore que le Royaume-Uni “cède un atout stratégique clé dans l’océan Indien, mettant ainsi fin à plus de 200 ans de souveraineté britannique”.

Deux anciens ministres de la Défense ont vivement critiqué l’accord, Andrew Murrison et James Cartlidge le qualifiant tous deux de “capitulation” des Chagos.

Cartlidge a également fait l’extraordinaire commentaire que, compte tenu de l’importance de la base pour les États-Unis, “tout ce qui nuit à sa posture de défense […] sape également notre sécurité nationale”.

Le droit au retour

Pourtant, l’aspect le plus scandaleux de l’accord proposé est que la Grande-Bretagne et les États-Unis continueront à exploiter la base militaire et priveront les Chagossiens de la possibilité de rentrer à Diego Garcia.


USAF Bombardiers B-1 Bombers de l’US AF sur la base de Diego Garcia. (Photo : Pictures From History/Universal Images Group © Getty Images)

La Grande-Bretagne a forcé la population à quitter les îles dans les années 1960 et 1970 pour y installer la base.

L’accord du Royaume-Uni avec Maurice permettrait à la Grande-Bretagne de louer la base pour 99 ans, puis de renouveler le bail par la suite.

Les Chagossiens auront la possibilité de se réinstaller uniquement sur les petites îles périphériques et de “se rendre” à Diego Garcia, probablement sous un contrôle strict étant donné que la présence militaire britannique et américaine occupe la majeure partie de ce minuscule territoire.

Quatre-vingt-dix-neuf ans et plus ne suffisent pas à certains conservateurs. Lord Bellingham, ancien ministre des Affaires étrangères, affirme que le simple bail de 99 ans “encouragerait les Chinois” et que le Royaume-Uni doit donc “opter pour une souveraineté sur l’île à perpétuité”.

Droit international

Ces députés se montrent aussi peu attachés au droit international que pour Gaza.

En 2017, les États membres des Nations unies ont voté pour solliciter un avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) sur le statut des îles. En février 2019, la Cour a conclu que la Grande-Bretagne a violé le droit international en créant le “Territoire britannique de l’océan Indien” (BIOT) en 1965.

La CIJ a déclaré

qu’“en raison de l’annexion illégale de l’archipel des Chagos et de son incorporation dans une nouvelle colonie, connue sous le nom de BIOT, le processus de décolonisation de l’île Maurice n’a pas été légalement achevé lorsque l’île Maurice a accédé à l’indépendance en 1968”.

La CIJ a ajouté que l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni “constitue un acte illégal engageant la responsabilité internationale de cet État”. Elle a déclaré que le Royaume-Uni doit mettre fin à son contrôle du territoire “aussi rapidement que possible”.

Deux ans plus tard, en 2021, le tribunal du droit maritime de l’ONU a également statué que la Grande-Bretagne ne jouit d’aucune souveraineté sur les îles.

Nigel Farage a récemment déclaré au Parlement que ses alliés de la nouvelle administration Trump

“ne comprennent pas pourquoi nous renoncerions à la souveraineté des îles sur un avis consultatif d’un tribunal plutôt opaque”.

En fait, l’unique fondement de la revendication de la Grande-Bretagne sur les îles tient au fait qu’elle les a acquises après les guerres napoléoniennes en 1814, et jamais restituées malgré des décennies d’opposition de la plupart de pays du monde.

Frappe préventive

L’accord passé par le gouvernement avec l’île Maurice est on ne peut plus clair : Whitehall craint que les instances juridiques internationales ne rendent à l’avenir des jugements encore plus sévères sur le contrôle illégal des îles par la Grande-Bretagne.

La ministre des Affaires étrangères, la baronne Jenny Chapman, a déclaré au Parlement le mois dernier qu’elle craint des “décisions de justice futures” contre le Royaume-Uni et a déclaré :

“Nous pensons que nous sommes en meilleure position aujourd’hui pour négocier qu’en attendant une décision contraignante”.

Son collègue du ministère des Affaires étrangères, Stephen Doughty, a été tout aussi direct. Il a déclaré que l’exploitation de la base par le Royaume-Uni est menacée parce que « les tribunaux rendent des jugements » et qu’« une décision juridiquement contraignante contre le Royaume-Uni semble inévitable ».

Voilà pourquoi le gouvernement affirme maintenant que « pour la première fois en 50 ans, la base jouira d’une sécurité juridique incontestée ».

En d’autres termes, Whitehall sait depuis des décennies opérer illégalement. Le mois dernier, Mme Chapman a déclaré sans détour aux députés que la décision de “création de la colonie” dans les années 1960 “n’est pas autorisée par le droit international”.

“Voilà où nous en sommes”, a-t-elle ajouté.

Les habitants des îles Chagos seront à nouveau les grands perdants de tout accord éventuel entre le Parti travailliste et Donald Trump.

Mark Curtis

 

Article original en anglais : The Chagos Islands Were never Britain’s to Give Away, Declassifieduk.org, le 10 février 2025.

Traduction : Spirit of Free Speech

Image en vedette : Diego Garcia, la plus grande des îles Chagos, abrite une base militaire britannique et américaine. (Photo © Alamy)

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Mark Curtis est le directeur de Declassified UK et l’auteur de cinq livres et de nombreux articles sur la politique étrangère britannique.



Articles Par : Mark Curtis

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