Les implications politiques des révélations sur la NSA

La crise qui a éclaté suite aux dernières révélations sur la NSA, l’agence de sécurité nationale américaine, découle de la peur profonde qui règne au sein de l’élite dirigeante quant aux conséquences politiques de ces révélations qui s’accumulent concernant son appareil mondial d’espionnage.

De manière prévisible, de hauts dirigeants du gouvernement Obama ont utilisé le prétexte du 11 septembre pour justifier les programmes et dénoncer ceux qui les ont dévoilés, avant tout l’ancien employé de la NSA devenu lanceur d’alertes, Edward Snowden. Leur véritable inquiétude n’est pas que des terroristes puissent savoir ce que fait le gouvernement américain, mais que le peuple américain ainsi que de larges couches de la population mondiale commencent à voir ce que fait le gouvernement américain.

Que reste-t-il de la base politique et idéologique de l’ordre capitaliste aux États-Unis? Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement américain a cherché à se présenter comme le dirigeant du «monde libre», le soi-disant champion des droits démocratiques et de la liberté individuelle.

Il est maintenant démasqué comme l’auteur d’une opération de type État policier à l’échelle mondiale impliquant la surveillance illégale des communications de centaines de millions de personnes. Grâce à ses vastes banques de données, le gouvernement américain peut déterminer les liens politiques et sociaux de pratiquement tout individu. C’est en violation flagrante des libertés fondamentales – d’expression, d’opinion politique et de droit à la vie privée – inscrites dans la constitution américaine et la charte des droits.

Le gouvernement Obama met en œuvre un «pivot vers l’Asie», une réorientation géostratégique visant à contenir l’influence grandissante de la Chine dans le Pacifique et au-delà. Il a systématiquement cité le soi-disant cyber-espionnage chinois pour justifier sa politique militariste agressive. La révélation la semaine dernière qu’il existe des «postes spéciaux d’écoutes» conjointement dirigés par la CIA et la NSA en Asie et partout dans le monde montre clairement que ce sont les États-Unis, et non la Chine, qui posent la principale menace aux droits démocratiques des peuples.

Et qu’en est-il de la «guerre à la terreur»? Les responsables américains continuent d’invoquer les événements toujours inexpliqués du 11 septembre 2001 pour justifier le moindre acte d’agression et la moindre attaque sur les droits démocratiques. Jeudi dernier, le secrétaire d’État américain John Kerry a soutenu, en réponse aux dernières révélations sur la NSA et sans offrir la moindre preuve, que «nous avons effectivement pu éviter des écrasements d’avions, des explosions de bâtiments, et des assassinats parce que nous avons pu prendre connaissance des plans à l’avance».

Kerry ment. Mais il parle pour un gouvernement et une classe politique qui ment continuellement et sans retenue.

Lors d’un témoignage devant le Congrès américain la semaine dernière, le directeur de la NSA, le général Keith Alexander, et le directeur du renseignement national, James Clapper, ont défendu de manière effrontée tous les programmes d’espionnage, insistant qu’ils sont tous essentiels à la lutte contre Al Qaïda et d’autres groupes terroristes. Ceux qui dévoilent les programmes d’espionnage, ont-ils soutenu, mettent en danger la «sécurité nationale», menacent des vies américaines et aident l’ennemi.

Mais du même souffle, Clapper a défendu la mise sous écoute des dirigeants de gouvernements alliés des États-Unis comme la chancelière allemande, Angela Merkel, pour un motif aucunement lié à la «guerre à la terreur». Il y a de nombreuses raisons stratégiques, a dit Clapper, pour lesquelles Washington doit savoir ce que pensent et disent les alliés des États-Unis.

Ces raisons, que Clapper n’a pas daigné développer, ont trait aux objectifs d’hégémonie mondiale de l’impérialisme américain.

Pas un seul membre du Congrès, qu’il soit démocrate ou républicain, n’a relevé les contradictions flagrantes entre ce que les deux chefs de l’espionnage ont dit à un moment donné et ce qu’ils ont dit l’instant suivant.

Le système politique dans son ensemble a été pris la main dans le sac en train de mener une vaste conspiration contre les droits démocratiques de la population. La mise en avant d’Obama, le premier président afro-américain, visait à donner une certaine couverture à la classe dirigeante tandis qu’elle poursuit ses politiques impopulaires. Le «candidat du changement», celui dont l’élection a été qualifiée de «transformatrice» par les organisations de la pseudo-gauche qui font la promotion du Parti démocrate, est allé bien plus loin que son prédécesseur, Georges W. Bush, dans la suppression des droits constitutionnels fondamentaux.

Lorsque le premier scandale important de la NSA a éclaté sous Bush, le programme démasqué (connu sous le nom de «Programme de surveillance des terroristes») était d’une ampleur beaucoup plus limitée que plusieurs des programmes dévoilés au cours des cinq derniers mois par Snowden. L’article du New York Times de décembre 2005 détaillait un programme, mis en place après le 11 septembre 2001, qui impliquait la surveillance sans mandat de «centaines, voire milliers» de courriels et d’appels téléphoniques d’individus à l’intérieur des États-Unis qui communiquaient avec des supposés terroristes outre-mer.

En réponse à ces révélations, Bush s’était senti obligé d’insister qu’aucune surveillance des communications n’avait pris place à l’intérieur du pays sans mandat. Même avant sa divulgation publique, le programme était suffisamment controversé pour créer des fissures au sein même du gouvernement Bush, y compris la révolte interne en 2004 du procureur général John Ashcroft et de son adjoint, James Comey.

Avec la pleine collaboration du Parti démocrate, le gouvernement Bush a opéré un changement tactique suite aux révélations sur la NSA. Le Programme de surveillance des terroristes a pris fin en 2007 et le gouvernement a dit à la population que l’espionnage sans mandat était terminé. Toutefois, dans le dos du peuple, on mettait en place les fondations de programmes d’espionnage bien plus vastes.

Le Congrès a adopté la loi FISA de 2008 pour accorder une immunité rétroactive aux compagnies de télécommunications et modifier la Loi sur la surveillance extérieure (Foreign Intelligence Surveillance Act) afin de fournir une couverture pseudo-légale aux programmes d’espionnage. Alors candidat présidentiel, Barack Obama, qui devait prendre le pouvoir six mois plus tard, faisait partie de ceux à avoir voté en faveur du projet de loi.

Le chef de la NSA sous Bush, Michael Hayden, devait noter plusieurs années plus tard que sous Obama, et avec la nouvelle loi en place, «la NSA s’est fait donner des pouvoirs pour faire plus de choses que j’étais autorisé à faire avec l’autorisation spéciale du président Bush».

L’une des révélations les plus importantes de la semaine dernière, et possiblement la plus importante de Snowden à ce point-ci, est l’existence d’un programme de la NSA qui récolte secrètement en masse toutes les communications de Google et de Yahoo. Les communications personnelles de millions de citoyens américains, et d’une portion importante du reste du monde, sont surveillées, fouillées et stockées par la NSA sans mandat ni même un semblant de contrôle judiciaire.

Tout cela est ouvertement inconstitutionnel. Obama lui-même est coupable d’infractions clairement passibles de destitution, non seulement l’espionnage, mais aussi l’assassinat extrajudiciaire de citoyens américains et d’autres crimes. Toutefois, pas un membre de l’establishment politique ne suggère de mettre fin aux programmes de la NSA ou de traduire les responsables en justice.

Les législateurs discutent encore d’une façon de fournir un semblant de «transparence» aux activités illégales, Kerry y allant de la suggestion qu’un effort soit entrepris pour «tirer au clair pour la population» ce qui se passe. C’est absurde. Les gens sont choqués, outrés et effrayés justement parce qu’ils ont appris ce qui se passe.

L’effondrement des droits démocratiques aux États-Unis reflète un gouffre social profond et insurmontable entre une aristocratie financière parasitaire et les travailleurs, la grande majorité de la population. Ceux qui dictent les politiques du gouvernement voient partout autour d’eux des ennemis, potentiels et réels.

Sur la base de la spéculation et de la fraude, une mince couche a accumulé des richesses sans précédent. L’inégalité sociale est plus grande que jamais. La semaine dernière par exemple, au milieu de profits records pour les entreprises et d’un flux continu d’argent de la Réserve fédérale vers Wall Street, l’aide alimentaire de base aux États-Unis, le coupon alimentaire, a été fortement réduite, touchant plus de 47 millions de personnes. De plus importantes coupes sont à venir.

La capacité de la classe dirigeante de garder le contrôle par ses structures idéologiques et politiques traditionnelles est en train de s’effriter. L’apparition d’individus tels que Snowden et Manning reflète en soi des changements qui prennent place de manière plus large. Ce qui prend naissance au sein de larges couches de la population c’est un sentiment de dégoût et d’hostilité envers tout le système, un sentiment pré-révolutionnaire.

Joseph Kishore



Articles Par : Joseph Kishore

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