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Les informations du « photojournaliste Mani », pour Le Monde
Par Mère Agnès-Mariam de la Croix
Mondialisation.ca, 30 janvier 2012
30 janvier 2012
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/les-informations-du-photojournaliste-mani-pour-le-monde/28974

Chers tous,

J’ai reçu d’un très cher ami un article du Monde du 28.01.12 intitulé « Il est 16h30, un massacre a eu lieu à Nasihine… » Me demandant « comment l’interprétez-vous ». Et ajoute : « Je trouve toutes ces informations très tristes ».

Pour répondre à cette interrogation j’ai fait mon enquête depuis le matin. Je n’ai reçu de réponse définitive que la nuit vers 21 heures. La raison est que la région en question est totalement coupée d’accès par les bandes armées. Personne ne peut y pénétrer. Il a fallu retrouver la famille des victimes.

Le quartier Nazihin est quartier mixte alaouite-sunnite, comme le dit l’article, limitrophe au quartier de Zahra, entièrement alaouite, que nous connaissons bien pour l’avoir visité deux fois avec des journalistes indépendants.

Le quartier de Nâzihîn est bloqué depuis 20 jours. Les bandes armées ont réussi à le soustraire totalement aux forces de l’ordre. Ils ont forcé la cinquantaine de familles alaouites à émigrer en brûlant leurs maisons ou en les menaçant des pires exactions. Cette version contredit celle que rapporte le journal Le Monde qui, avec les médias mainstream, a tendance à toujours cacher les malfaiteurs.

Que s’est-il donc passé ?

Le jeudi dernier une grande explosion a été entendue dans le quartier. D’aucuns pensent qu’il s’agit d’un accident pour mauvaise manipulation des charges explosives artisanales fabriquées par les insurgés. Toujours est-il que l’explosion a provoqué un incendie et a tué sur le coup quelques personnes adultes. Des hommes armés se seraient introduits ensuite dans l’immeuble pour achever les survivants .

Un massacre de 12 personnes innocentes.

De qui s’agit-i ? Qui a perpétré un crime aussi ignoble.

Il s’agit de la famille de Abdel Ghani Bahader. Qui est-il ?

Il est le frère de Ghazouan Bahader, chauffeur du bureau du Gouverneur de Homs. C’est ce dernier qui témoigne.

« Nous sommes une famille sunnite dont les membres sont fonctionnaires de l’Etat. Moi et mon frère nous nous sommes toujours tenus éloignés des manifestations. Nous voulons être neutres. Ni avec les uns ni avec les autres. Cela n’a pas empêché les insurgés d’attaquer plusieurs fois ma voiture lorsque j’allais à mon travail à la Municipalité, me soupconnant d’être pro-régime.

Depuis trois jours, la secrétaire du Gouverneur de Homs a entendu Abdel Ghani lui dire qu’il cherchait à déménager de Nâzihîn à Bab Sbah, près de chez moi. Elle est surprise, puisqu’elle croyait Bab Sbah plus dangereux que Nâzihîn, Abdel Ghani répond qu’il avait été sollicité par les bandes armées pour entrer dans l’Armée Libre de la Syrie. Mais il a refusé et désormais c’est du harcèlement menaçant.

Abdel Ghani n’a pas eu le temps de déménager. Les bandes armées ont réalisés avec sa famille une opération de dissuasion exemplaire : quiconque parmi les sunnites résiste aux ordres des membres de l’Armée Libre de Syrie aura son sort semblable à ce collabo du régime.« 

Comme d’habitude les bandes armées qui ont perpétré le massacre l’ont mis à contribution pour accuser le régime. En l’absence des observateurs arabes le Gouvernement demande à n’importe quelle instance humanitaire de venir faire son enquête à Homs pour dêméler les circonstances du drame. Ghazouan, le frère de Abdel Ghani, est prêt à répondre à vos questions.

Un détail digne d’attention. Dans l’article du Monde il est question du dispensaire de Karm Zeitoun. D’après les riverains, il y a une impossibilité physique de se déplacer de jour comme de nuit du quartier Nâzihîn au dispensaire de Karm Zeitoun. C’est extrêment dangereux.

Une fois qu’ils ont capturé un quartier les insurgés ne le quittent plus. Aussi tout ce qui est relaté d’un va-et-vient au dispensaire est de la fumisterie. Les victimes n’ont jamais été dans un dispensaire. La preuve : les corps ne sont pas préparés comme on le fait dans un dispensaire mais comme on le fait dans un milieu civil musulman. ils sont à même le sol et non pas sur des civières comme cela aurait dû être le cas si un dispensaire les avait accueillis. De plus, où sont les voisins pour pleurer les victimes comme cela se passe spontanément en Orient ? On ne voit que le photographe et un autre personnage, seuls, dans un décor de théâtre. L’opération est un de ces coups montés contre lesquels nous nous élevons à juste titre car il utilise les civils non protégés comme chair à canons pour une finalité de propagande.
Les bandes armées ont caché les corps et refusent de les laisser examiner par les médecins légistes pour établir les causes des décès.

Conclusion : C’est une preuve de plus de l’implacable cruauté de la désinformation médiatique qui tourne, à base de chair humaine fraîchement sacrifiée pour pouvoir en attribuer la responsabilité au régime. En quête d’évidences pour accabler une dictature, on suscite et instrumentalise la mort des civils pour en faire « matière » à reportage. La chair vive sacrifiée sert lâchement de matière à une campagne médiatique tendancieuse. Dommage pour Le Monde de s’enfoncer encore davantage dans la couverture de ce qui devient un crime contre l’humanité.

Mère Agnès-Maryam de la Croix

Dans la cour du centre de santé de Karam Al-Zaltoun sont étendus les corps de la famille syrienne massacrée.
Dans la cour du centre de santé de Karam Al-Zaltoun sont étendus les corps de la famille syrienne massacrée.MANI POUR « LE MONDE »

HOMS ENVOYÉ SPÉCIAL – Voici le récit du photojournaliste Mani, présent à Homs le jour du massacre du 26 janvier :

« A 16 h 30, Abou Bilal, un opposant syrien me fait part de l’appel téléphonique qu’il vient de recevoir : un massacre a eu lieu dans le quartier de Nasihine. On parle de 12 personnes dont plusieurs enfants exécutés dans leur maison. Je viens tout juste de rentrer après une journée éprouvante dans une petite structure médicale de fortune installée dans un quartier contrôlé par l’opposition, débordée par l’afflux de blessés graves et de morts, tous civils, victimes des snipers loyalistes et de bombardements. Une heure et demi après la nouvelle du massacre, à 18 heures, une première vidéo est mise en ligne sur YouTube qui montre les corps de la famille assassinée.

Des tirs de snipers ne cessent de claquer dans les alentours. On entend des tirs nourris de mitrailleuses, ainsi que plusieurs explosions venant des positions des forces du régime. La nuit est tombée et plusieurs groupes de soldats de l’Armée libre de Syrie (ALS) partent dans des véhicules banalisés pour contre-attaquer. Le groupe des opposants chargés de l’information sont rivés à leurs ordinateurs pourtransmettre tous les documents récoltés dans la journée.

Il est 19 heures lorsque j’aperçois un responsable de l’ALS, Abou Layl. Il propose de me conduire au centre de santé où ont été transportées les victimes du massacre. Quatre opposants, dont trois soldats de l’ALS, se joignent à nous. Nous grimpons à bord d’une voiture qui parcourt à grande vitesse des ruelles obscures. Nous éteignons tous les feux du véhicule dès que nous nous approchons d’un barrage tenu par les forces loyalistes. J’apostrophe un soldat qui continue deconsulter l’écran lumineux de son portable. Aucune lumière ne doit nous trahir. Un des soldats à l’avant de la voiture masque de sa main la montre lumineuse du tableau de bord tandis que nous traversons une première avenue dangereuse : l’avenue Wadi, rebaptisée « Charia Al-Maout », « avenue de la mort ». Plié en deux sur mon siège, j’entends les prières psalmodiées par mon voisin de gauche. A peine arrivé de l’autre côté de l’avenue, on entend le claquement d’une balle qui nous était destinée.

Le conducteur rallume les codes et poursuit sa route en zigzaguant dans les ruelles. Quelques centaines de mètres plus loin, on éteint à nouveau tous les feux. Abou Layl demande au conducteur de ralentir car dans le noir complet, nous risquons l’accident. Nous empruntons une nouvelle avenue dangereuse, puis nous bifurquons. Obscurité, lumière, à droite, à gauche, tout droit, nous arrivons enfin au centre de santé de Karam Al-Zaitoun. Là, dans la cour, une foule entoure les cadavres de la famille suppliciée : cinq corps d’enfants en bas âge sont alignés entre le cadavre de leur père et celui de cinq femmes de la famille. Une petite fille a la moitié du crâne emportée, vraisemblablement par un tir à bout portant. Un petit garçon a aussi pris une balle derrière la tête et la balle est sortie par l’orbite gauche. Un infirmier desserre les linceuls de trois enfants pour me montrer leurs gorges tranchées. Je photographie les corps.

Voir le portfolio : Après la tuerie au centre de santé de Karam Al-Zaitoun

J’entre ensuite dans la salle des soins et on me conduit auprès des deux seuls enfants qui ont survécu au massacre. Ali, trois ans, tremble et gémit d’effroi. Ghazal, une petite fille de quatre mois, cesse de pleurer quand on l’embrasse. Elle a survécu avec une balle dans la jambe.

Un voisin du bâtiment où vivait la famille, un homme âgé d’une soixantaine d’années, raconte. Lorsque les habitants de ce quartier ont compris qu’un massacre était en cours dans la rue Al-Ansar. Trois d’entre eux, dont le narrateur, ont décidé de rejoindre la maison visée en perçant des trous dans les murs des maisons contiguës. Il assure avoir pu voir, à travers des ouvertures pratiquées dans les murs, le massacre des enfants. Il déclare que les assaillants étaient sept hommes en uniforme militaire, appartenant aux forces loyalistes. Il affirme enfin que ces hommes ont pu quitter les lieux couverts par des tirs nourris provenant de positions de l’armée avant de monter dans un véhicule blindé et de disparaître.

Les onze personnes tuées appartenaient à la famille Bahadour, installée dans deux appartements voisins. Deux autres membres de cette famille ont échappé au massacre car ils étaient absents au moment du drame. La rue Al-Ansar, théâtre de la tuerie, est un lieu où cohabite une population mixte d’alaouites – une dissidence du chiisme dont est issue la famille du président Bachar Al-Assad – et de sunnites. Les alaouites sont majoritaires et la zone, tenue par les barrages du régime, se trouve à proximité du quartier Zahra, peuplé d’alaouites, acquis au régime. Le sexagénaire assure que des menaces ont été proférées contre les sunnites de la rue pour qu’ils quittent les lieux, et qu’ils sont pris pour cible aux barrages pour lesterroriser et provoquer leur exode.

Sur le chemin du retour, nous avons failli percuter une voiture dans un virage alors que nous circulions à nouveau tous feux éteints. Enfin, au passage de la dernière avenue contrôlée par les forces loyalistes, un tireur embusqué a tiré une dernière fois sur notre véhicule. »

Mani

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