Les Israéliens fêtent leur premier anniversaire du génocide à Gaza, tout en accélérant le nettoyage ethnique de la Cisjordanie
Alors qu’Israël se livre à un génocide contre les Palestiniens dans la bande de Gaza, ses soldats et ses colons mènent une nouvelle campagne de nettoyage ethnique en Cisjordanie, avant d’annexer toute la région.
Depuis un an, Israël a lancé une guerre assassine contre les Palestiniens de Cisjordanie.
Pendant que l’assaut génocidaire contre Gaza coûtait la vie à des dizaines de milliers de personnes, voire, selon certaines estimations, à des centaines de milliers, l’assaut en Cisjordanie s’est intensifié avec des déplacements forcés de population, une expansion sans précédent des colonies, des violences et des pogroms incessants perpétrés par les colons, la destruction de l’économie, des incarcérations massives et des offensives militaires contre les centres de résistance dans toute la Cisjordanie.
À ce jour, les forces israéliennes et les colons ont tué 743 Palestiniens, en ont blessé 5 250 et en ont déplacé 5 947. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité bien plus profonde, celle du vol des terres palestiniennes par les colons et donc de l’annexion rampante de la Cisjordanie par les Israéliens.
L’offensive israélienne en Cisjordanie n’est pas du tout un hasard et elle fait un tout avec le projet israélien pour Gaza. Elle fait partie du plan officiel d’Israël d’annexer la Cisjordanie et de saper toute possibilité d’un futur État palestinien.
Bien que ce plan israélien ait été appliqué tout au long des décennies d’occupation en Cisjordanie, certains observateurs prétendent que c’est le 7 octobre qui a poussé Israël à créer une nouvelle réalité politique en Cisjordanie, pour prendre le contrôle total et définitif de la Cisjordanie.
Des colons israéliens ont saccagé le village d’al-Mughayyir et incendié plusieurs maisons. (photo : Qassam Muaddi/Mondoweiss)
Un plan élaboré depuis des décennies
Après le 7 octobre, les pogroms des colons israéliens contre les communautés rurales et les villages palestiniens se sont systématisés jusqu’à devenir la principale forme de violence israélienne.
Des foules de colons israéliens ont attaqué des communautés palestiniennes dans la zone C de la Cisjordanie, qui représente plus de 60 % de la superficie de la Cisjordanie et se trouve sous le contrôle total de l’armée israélienne.
Les Palestiniens vivant dans la zone C ont lutté pour survivre aux restrictions de construction imposées par Israël, à l’accaparement constant des terres et aux démolitions de maisons.
En décembre, les colons avaient déjà vidé 20 communautés rurales bédouines palestiniennes de leurs habitants, en déplaçant de force des centaines de personnes.
Ces attaques se sont concentrées sur les collines du sud d’Hébron, où 250 résidents palestiniens du village de Zanouta ont été expulsés en une seule journée, et sur les pentes orientales du centre de la Cisjordanie surplombant la vallée du Jourdain, où presque toutes les familles bédouines ont été forcées de partir vers la périphérie des villages orientaux de Ramallah.
Selon Khalil Tafakji, un expert palestinien des colonies de peuplement israéliennes qui a dirigé pendant de nombreuses années l’unité des cartes de la Maison d’Orient à Jérusalem, « les colons ont certes profité de l’atmosphère médiatique et politique pour lancer les attaques qui ont suivi le 7 octobre, mais ils suivent une logique stratégique qui remonte à des décennies ».
« Nous pouvons nous en rendre compte en voyant où les attaques se sont concentrées », souligne Tafakji. « Les pentes orientales ont été débarrassées de toute présence palestinienne, séparant ainsi le cœur de la Cisjordanie de la vallée du Jourdain, qu’Israël veut annexer depuis des années.
Toutefois, les attaques des colons ont également ciblé des villes palestiniennes dans le centre et le nord de la Cisjordanie, transformant la vie des Palestiniens de la zone B – qui tombe sous le contrôle conjoint de l’Autorité palestinienne et de l’armée israélienne – en une vie de terreur et d’angoisse incessante, qui affecte gravement leurs moyens de subsistance.
L’une des villes les plus durement touchées, al-Mughayyir, se trouve presque à mi-chemin entre Ramallah et Naplouse. Il s’agit d’une communauté palestinienne de taille moyenne de quelque 4 500 habitants, avec des rues et des trottoirs pavés, de nouveaux immeubles de plusieurs étages à côté de vieilles maisons de paysans, des supermarchés et deux écoles. Al-Mughayyir est entouré d’oliveraies sur des terres appartenant aux familles de la ville.
En avril, Al-Mughayyir a subi l’une des plus violentes attaques de colons en Cisjordanie au cours de l’année écoulée. Après qu’un jeune colon a été retrouvé mort au fond d’une vallée située entre al-Mughayyir et la ville voisine de Douma, des colons israéliens se sont rassemblés à l’extérieur de la ville pour se venger.
« C’était un vendredi, et nous étions en pleine prière lorsque la nouvelle s’est répandue que des colons se rassemblaient dans des bus le long de la route israélienne à l’extérieur de la ville », a déclaré, à Mondoweiss, Fayez Abu Alia, un agriculteur résidant Mughayyir. « Nous avons donc interrompu la prière et nous nous sommes précipités sur les lieux ».
« Les colons marchaient entre les oliveraies en direction de la ville, certains d’entre eux portant des armes à feu, et ont commencé à lancer des cocktails Molotov et des pierres sur les maisons », a expliqué Abu Alia. « Certains colons avaient de longs couteaux et ils sont entrés dans les étables qui se trouvaient sur le chemin de la ville pour éventrer les chèvres et les moutons ».
L’attaque a duré des heures, pendant lesquelles un groupe de jeunes hommes a été coincé sur un toit. L’un d’entre eux, Jihad Abu Alia, a été tué par une balle tirée par un colon. Plusieurs maisons ont été incendiées par des colons et, selon les habitants, l’armée israélienne a empêché les camions de pompiers d’atteindre Mughayyir pendant toute la durée de l’attaque.
« Depuis l’attaque, il est impossible d’accéder aux oliveraies situées dans la plaine près de la route israélienne », ajoute Fayez Abu Alia. « Les colons de la colonie voisine de Shilo et des trois avant-postes autour d’al-Mughayyir nous surveillent, et s’ils voient quelqu’un s’approcher de la plaine, ils appellent l’armée, qui arrive et nous force à partir. Nous ne pouvons pas rester sur notre terre plus de 90 minutes ».
La plaine en question est la terre agricole la plus importante de la ville, où se trouve une grande partie des oliveraies des familles ; et comme elle est située à l’est d’al-Mughayyir, les habitants ne peuvent plus sortir de la ville et des quelques petits jardins du tour.
Selon Fayez Abu Alia, la production d’huile d’olive est passée d’une moyenne annuelle de 80 cuves de 16 litres à seulement cinq l’année dernière, les attaques des colons ayant commencé dès le mois d’octobre, alors que la récolte battait son plein. Il craint que ce ne soit pareil cette année.
Khalil Tafakji estime que le harcèlement constant, par les colons, des villages et des villes qui, comme al-Mughayyir, se succèdent le long de la ligne orientale du centre de la Cisjordanie « est la continuation de la même logique » qui vise à séparer la Cisjordanie de la vallée du Jourdain.
« Il y a aussi les collines du sud d’Hébron, considérées par Israël comme une zone tampon à l’extrémité sud de la Cisjordanie », ajoute Tafakji. « Il y a aussi le sud et l’ouest de Naplouse ».
« La région de l’ouest de Naplouse est très proche d’Israël proprement dit et c’est là que le bloc de colonies d’Ariel est construit », explique Tafakji. « Le projet est de couper la Cisjordanie en une moitié nord et une moitié sud au sud de Naplouse, et c’est la raison pour laquelle les colons ont multiplié les avant-postes et les attaques meurtrières dans la même zone après le 7 octobre ».
Les zones situées au sud et à l’ouest de Naplouse ont également connu une nette augmentation des attaques de colons, en particulier dans les villes de Huwwara, Libban, Qusra et Burqa, où les colons israéliens ont aussi multiplié les avant-postes sur les terres palestiniennes.
L’armée israélienne a mené des travaux d’infrastructure autour de Naplouse pour offrir de nouvelles routes et des gares routières aux colons.
Un gouvernement de colons
Pour soutenir et encourager les attaques des colons pendant l’année, le gouvernement israélien a renforcé le mouvement des colons en Cisjordanie. En octobre et novembre, le ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, a posté des vidéos de lui sur X où il distribuait des armes à feu à des Israéliens, y compris, semble-t-il, à des colons de Cisjordanie.
Un rapport de la commission de sécurité de la Knesset indique que les colons israéliens de Cisjordanie possèdent 160 000 armes et que ce nombre va passer à 165 000 d’ici à la fin de 2024.
En juin, le ministre israélien des finances, Bezalel Smotrich, qui détient les pouvoirs administratifs sur la Cisjordanie, a déclaré lors d’une réunion avec des colons qu’il travaillait à un plan visant à transférer les pouvoirs administratifs en Cisjordanie de l’armée d’occupation à une division spéciale qu’il a créée au sein du ministère des finances et qui est gérée par des employés civils du gouvernement.
« Cette division est entièrement dirigée par des colons, et elle a reçu des pouvoirs étendus, une force de police spéciale, des drones de surveillance et un budget spécial », a déclaré Jamal Jumaa, coordinateur de la campagne populaire Stop The Wall, à Mondoweiss.
« Il s’agit d’une nouvelle phase du projet colonial israélien pour consolider l’annexion de la Cisjordanie et repousser les Palestiniens dans des espaces urbains isolés et surpeuplés dans les zones A et B », explique Jamal Jumaa. « Dans ces zones, la surpopulation et la détérioration des conditions de vie pousseraient les Palestiniens à quitter le pays d’eux-mêmes ».
« Cette stratégie est claire depuis plus de vingt ans, mais il semble qu’après le 7 octobre, Israël ait décidé d’intensifier son offensive en Cisjordanie. Il veut maintenant la contrôler et l’annexer définitivement ».
Des Palestiniens inspectent les conséquences d’une frappe aérienne israélienne meurtrière dans le camp de réfugiés de Tulkarem, qui a tué 20 personnes, le 4 octobre 2024. (photo : mohammed nasser/apa images)
La campagne militaire israélienne au service de l’expansion des colonies
Simultanément, Israël a intensifié son offensive militaire sur les camps et les villes de réfugiés de Cisjordanie, en particulier dans les villes du nord de Jénine, Tulkarem, Tubas et Naplouse, où des groupes de résistance locaux se sont développés depuis la fin de l’année 2021.
La semaine dernière, le 3 octobre, Israël a largué un gros missile sur le camp de réfugiés de Tulkarem. La frappe a tué 20 Palestiniens, dont une famille entière de six personnes, y compris deux enfants âgés de 5 et 7 ans. L’armée israélienne a déclaré que la frappe visait un « commandant local du Hamas » présumé, Zahi Oufi.
C’est la première fois en plus de 20 ans que l’armée israélienne lance une frappe aérienne aussi meurtrière en Cisjordanie. C’était la dernière d’une série de raids ravageurs où l’armée a détruit au bulldozer des routes et des infrastructures civiles dans les camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie.
Dans le camp de réfugiés de Tulkarem, toutes les rues sont détruites et les canalisations d’égout éventrées. Les maisons situées le long des ruelles étroites sont pour la plupart endommagées, criblées d’impacts de balles avec des portes manquantes et parfois des murs entiers.
« Depuis le 7 octobre, nous n’avons plus un instant de calme et encore moins de sécurité » ; a déclaré, en septembre, à Mondoweiss, Nehaya al-Jundi, directrice d’une association locale pour la réhabilitation des enfants handicapés dans le camp de réfugiés de Nur Shams à Tulkarem ».
« Notre centre de Nur Shams a fait l’objet de six descentes de soldats de l’occupation, qui ont à chaque fois détruit tout ce qu’il contenait », a déclaré al-Jundi. « À chaque raid, les gens sont sortis de chez eux pour être interrogés par l’armée ».
« Ils volent ce qu’il y a dans les maisons et terrorisent les familles », a-t-elle ajouté. « C’est devenu notre réalité quotidienne ».
Tulkarem et Jénine ont été d’importants supports pour les groupes locaux de résistance palestinienne armée, composés principalement de jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui défient l’armée israélienne lorsqu’elle pénètre dans leur quartier.
Israël a lancé au moins deux grandes agressions militaires contre ces villes avant le 7 octobre.
Cependant, depuis le 7 octobre, les raids israéliens sont devenus plus fréquents, ont duré plus longtemps (plusieurs jours) et ont causé plus de destructions et de dévastations. Surtout, les raids sont devenus beaucoup plus meurtriers que les années précédentes.
Les résidents affirment qu’Israël cherche à réduire la population des camps afin de tarir le soutien social aux groupes de résistance.
« Depuis le mois d’août, les forces israéliennes ont arrêté des centaines de personnes et les ont interrogées sur le terrain », a déclaré Muhammad Abu Eid, un habitant de la ville de Tulkarem, à Mondoweiss. « Ceux qui ont été libérés ont reçu l’ordre de quitter le camp jusqu’à la fin du raid ».
« À leur retour dans les camps, beaucoup de ces personnes ont découvert que leurs maisons avaient été endommagées », a-t-il ajouté. « Elles ont dû louer des appartements dans la ville avec l’aide de l’UNRWA, de l’Autorité palestinienne et d’autres organisations non gouvernementales ».
Abu Eid est membre de l’association Jadayel, une organisation locale qui distribue de l’aide humanitaire aux résidents du camp. « Il semble que l’occupation tente de vider les camps, mais la plupart des gens ont choisi de rester et de réparer leurs maisons », explique-t-il. « Nous et d’autres associations essayons de les aider en leur fournissant des colis alimentaires et des couvertures, mais ce n’est pas suffisant ».
Selon Jamal Jumaa, l’escalade militaire dans le nord de la Cisjordanie est liée au projet de colonisation.
« Cela fait partie du plan final d’Israël pour la Cisjordanie après le 7 octobre », explique-t-il.
Jamal Jumaa estime que pour réaliser son projet d’annexion complète, « Israël doit briser l’esprit de résistance et écraser ses expressions concrètes ».
« C’est ce qui s’est passé il y a 20 ans lors de la deuxième Intifada », précise-t-il. « En 2002, Ariel Sharon a lancé une vaste opération contre les villes de Cisjordanie qui a écrasé les formations armées palestiniennes et causé d’importants dégâts aux infrastructures palestiniennes.
La même année, Israël a commencé à construire le mur d’annexion, soi disant pour la « sécurité » et pour combattre la résistance palestinienne, mais en réalité pour encercler les zones B et C, et couper les zones urbaines palestiniennes les unes des autres. « Tout cela a tracé les grandes lignes d’un projet d’expansion des colonies qui s’est déroulé sous les yeux du monde entier au cours des deux dernières décennies », explique Jumaa.
Jumaa estime que la campagne militaire actuelle en Cisjordanie poursuit le même but que le mur d’annexion, 20 ans plus tôt. « La campagne militaire est simplement une nouvelle étape du projet de colonisation d’Israël », déclare-t-il.
Alors qu’Israël est engagé dans une guerre sans fin sur plusieurs fronts, à la recherche d’une victoire égarée dans les décombres de Gaza et les collines du Sud-Liban, alors qu’il se dirige vers une guerre totale avec l’Iran, il poursuit sans relâche son offensive contre les trois millions de Palestiniens de Cisjordanie.
Quant aux Palestiniens de Cisjordanie, ils continuent de lutter pour survivre à l’assaut criminel d’Israël, sans savoir ce que l’avenir leur réserve.
Qassam Muaddi
Article original en anglais : Les Israéliens fêtent leur premier anniversaire du génocide à Gaza, tout en accélérant le nettoyage ethnique de la Cisjordanie, Mondoweiss , le 7 octobre 2024.
Traduction : Dominique Muselet pour Chronique de Palestine
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Qassam Muaddi est un journaliste palestinien basé à Ramallah. Il couvre l’actualité palestinienne : événements politiques, mouvements sociaux, questions culturelles … Il écrit pour les quotidiens libanais Assafir et Al Akhbar, les sites Middle East Eye, Mondoweiss et The New Arab, ainsi que pour les journaux électroniques palestiniens Metras et Quds News Network. Son compte twitter.