Les Jeux de Londres – L’entrée des religions dans le Stade olympique

Les Jeux olympiques, restaurés en 1896 par Pierre de Coubertin, se revendiquent des jeux nés en Grèce en 776 avant J.-C. Les exploits sportifs, toutefois, existaient déjà dans le monde ancien. En Chine, des moines bouddhistes y développent jujitsu, boxe et lutte. Balle, saut, acrobatie, poids et même combat de taureaux sont cultivés en Perse, en Inde et au Proche-Orient. Mais les premièrs jeux olympiques veulent surtout manifester l’excellence corporelle de la jeunesse. Consacrées à Zeus, ce dieu en assure la pureté morale.

Rappelant cette histoire olympique, Soeur Joan L. Roccasalvo, une théologienne de la beauté et des arts sacrés, note que la bonne forme physique a, depuis longtemps, été aussi une préoccupation de l’Église catholique. Les Pères anciens liaient forme physique et forme spirituelle. Au XIIIe siècle, un Thomas d’Aquin, neurologue en son temps, soutient que l’exercice donne au cerveau le sang et l’oxygène qui permettent de penser plus clairement et davantage en profondeur.

De saint Paul à Jean-Paul II – de la course de la vie vers le podium éternel jusqu’à la messe en montagne pour sauver la jeunesse de Pologne – l’Église a toujours su voir dans l’effort, la discipline et le renoncement une école de perfection et une saine distraction contre les mauvaises tentations. Pourtant, en l’an 393, rappelle une note de l’Episcopal Church, Théodose le Grand, empereur romain converti à la foi chrétienne, voyant un danger à combiner le sport et la religion, interdit les Olympiques.

Or, les JO de Londres allaient voir affluer, avec athlètes et reporters, maints dignitaires et représentants des religions du monde. Près de 200 aumôniers. Des centres de prières partout. Un havre oecuménique au Village olympique. Officiellement non confessionnels, les JO modernes ont développé, il est vrai, un culte, une mystique et un rituel quasi religieux. Mais, sous couvert d’excellence athlétique, les divinités de l’État et de la nation y rivalisent également avec les dieux du commerce. Que vient donc y faire la religion ? 

Paix et réconciliation dans le monde

Benoît XVI a invité les catholiques à prier pour que, « selon la volonté de Dieu, les Jeux de Londres soient une vraie expérience de fraternité entre les peuples de la Terre ». Lui-même prie, a-t-il dit, pour que, « dans l’esprit de la trêve olympique, la bonne volonté engendrée par cet événement sportif international porte des fruits, en promouvant la paix et la réconciliation dans le monde ». (Cette trêve instituée au ixe siècle avant J.-C. a été reprise par le CIO pour préserver les intérêts des athlètes et du sport, et encourager la recherche de solutions pacifiques et diplomatiques aux conflits.)

Malgré les controverses dans l’attribution des JO et leur tenue, ces jeux ont connu aussi des progrès. En Grèce antique, les femmes en étaient exclues ; elles sont aujourd’hui parmi les athlètes exemplaires. De même, les Jeux sont ouverts à tous les pays, non plus aux seules sociétés occidentales, alors que P. de Coubertin, comme le note D. S. Schiffer dans le Nouvel Obs, ne voyait guère de place, au milieu de « la race blanche, d’essence supérieure », pour toutes les autres races, qui devaient plutôt y faire « allégeance » !

Par contre, le Comité international olympique n’a pas résolu le conflit à la fois religieux et politique du « voile » islamique. « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique », statue la Charte des Jeux olympiques. Les femmes qui le portent le revendiquent comme signe religieux, protestent des groupes féministes. C’est une manifestation politique, ajoutent d’autres.

En matière d’égalité entre les femmes et les hommes, les religions qui participent aux Jeux de Londres n’ont elles-mêmes qu’un bilan mitigé à brandir. Au Village olympique, certes, le centre oecuménique n’affiche aucun symbole religieux. Et l’équipe multiconfessionnelle qui accueille les athlètes compte un monseigneur catholique, une révérende anglicane et un croyant musulman. Mais dans chacune de ces confessions, la question des femmes est encore source de division plus que de rapprochement.

Les athlètes, il est vrai, fraternisent. La compétition entre eux vise à faire un vainqueur et aucun vaincu. Mais tous n’ont pas une égale récompense professionnelle et sociale dans les années qui suivent leurs exploits. Et parmi leurs partisans, plusieurs resteront partagés entre la fierté et le triomphalisme, entre l’encouragement et l’affliction. Et, même à Londres, l’idéal olympique aura été terni par la cupidité et l’intolérance d’une organisation qui s’en est de plus en plus éloignée.

On avait oublié depuis les Jeux de Berlin, en 1936, que le grand événement sert parfois aussi à glorifier des tyrannies et à en masquer les crimes. On voit en 2012 que le spectacle grandiose de Londres, également voué à la paix, distrait l’opinion internationale de la guerre dévastatrice en voie d’exploser au Moyen-Orient.

Ce serait une guerre de religion, dit-on, qui déchire les populations de la Syrie. Mais si leur dieu et leurs héritages y sont évoqués, d’autres divinités s’y profilent aussi.

Les religions présentes à la 27e édition des Jeux olympiques n’ont plus rien à craindre du Zeus des divinités grecques. Elles y prient un Dieu unique qu’elles offrent pacifiquement à tous, bien que sa « mort » ait été déclarée depuis longtemps par des philosophes modernes. Un autre dieu occupe les grands spectacles de l’époque. Elles ont oublié son nom, mais il ne manque pas d’adorateurs. Le Veau d’or.


Jean-Claude Leclerc
enseigne le journalisme à l’Université de Montréal.



Articles Par : Jean-Claude Leclerc

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