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Les manœuvres de déstabilisation contre un peuple emprisonné continuent
Par Silvia Cattori
Mondialisation.ca, 16 novembre 2007
Silvia Cattori.net 16 novembre 2007
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https://www.mondialisation.ca/les-man-uvres-de-d-stabilisation-contre-un-peuple-emprisonn-continuent/7341

Qui sont les responsables des sept morts et une centaine de blessés* lors du grand rassemblement de gens venus manifester leur attachement sincère à la mémoire de Yasser Arafat pour le troisième anniversaire de sa mort ?

Les Palestiniens de Gaza, déjà victimes innocentes du terrible blocus que leur impose Israël, ne sont-ils pas également victimes d’une «  stratégie de la tension », pris en otage par ces autorités palestiniennes qui collaborent avec l’occupant ?

Que s’est-il réellement passé à Gaza en ce 12 novembre ?

Pour le président Abbas, et Mohammed Dahlan – l’homme soutenu par le Mossad et la CIA qui incarne plus que tout autre la corruption et la violence – ces morts et blessés sont des « crimes haineux » commis par le Hamas, qui voulait selon eux «  empêcher les manifestants de se rendre à ce rassemblement ».

Les médias en général, cela n’est pas surprenant, ont répété sans examen la version officielle du Fatah.

De notre enquête, auprès de témoins qui ne se situent ni dans un camp ni dans l’autre et demandent à rester dans l’anonymat pour des raisons compréhensibles, il ressort que ce ne sont pas les policiers du Hamas qui ont été à l’origine des incidents qui ont causé tant de victimes. Ce sont les tirs de membres armés du Fatah, qui ont d’abord tué trois membres de la Force exécutive du Hamas, parmi eux un officier qui a reçu une balle en pleine tête.

Premièrement. Les policiers du Hamas chargés d’assurer la sécurité de la population de Gaza avaient été informés que des membres armés du Fatah se préparaient à créer des troubles. Ils ont mis en place des postes de contrôle pour avoir un œil sur les gens armés. Ils n’auraient à aucun moment empêché la foule de se rendre à Gaza ville.

Deuxièmement. Il y avait parmi les manifestants des provocateurs armés. Les premiers tirs, en direction des policiers du Hamas, sont partis de l’arme d’un membre du Fatah posté sur le toit de l’université de Al-Azhar. Des affrontements entre les deux camps ont alors éclaté. Des policiers du Hamas, assaillis par des tirs et des jets de pierres, insultés aux cris de « Shia » (ce qui veut dire chiites, alors qu’ils sont sunnites, et aussi dire «  vendus à l’Iran », ce qui est également faux) ont riposté.

Troisièmement. Il n’y avait pas « plus d’un million de manifestants » comme les médias officiels de M. Abbas l’affirment. Il y avait 100’000 à 200’000 personnes au plus ; ce qui est déjà un chiffre énorme.

La version selon laquelle ce sont des provocateurs affiliés au Fatah qui ont fomenté ces incidents et entraîné mort d’hommes, dans l’unique but de créer des troubles pour discréditer et affaiblir les autorités du Hamas, semble être plausible.

Pourquoi incriminer systématiquement les gens du Hamas – des gens qui voudraient aider leur peuple à sortir de l’enfer mais ne le peuvent pas car le monde les prive de tous moyens – si ce n’est pour les acculer à la reddition ?

Ne devrions-nous pas d’abord blâmer les autorités de Ramallah, dirigées par M. Abbas, qui s’associent à l’occupant pour durcir les conditions de vie des habitants de Gaza emprisonnés par Israël ?

Cela n’est pas un secret. Depuis l’installation de leur gouvernement, les autorités du Hamas ont dû faire face à des actes de sabotages organisés par les services secrets du Mossad et de la CIA et réalisés grâce à la collaboration de Mohammed Dahlan et de ses escadrons de la mort.

Depuis la mise en déroute de Dahlan, ce sont les services secrets de M. Abbas, dirigés par M. Terawi, en relation étroite avec les services israéliens du Shin Beth, qui se chargent de mettre en œuvre la « stratégie de la tension », c’est-à-dire, créer des incidents, des actes de sabotages criminels, destinés à en finir avec les autorités du Hamas.

Les mots scandés « Chiites assassins » ne sont pas des cris spontanés. Ce slogan a été imaginé, et utilisé maintes fois ces derniers mois, par des gens du Fatah. Ce slogan, qui vise à dresser l’une contre l’autre deux appartenances religieuses, ne fait que reprendre la propagande d’Israël.

L’Iran est depuis quelques années le pays qu’Israël veut voir écrasé comme l’Irak. Dire «  Shia », c’est la pire des insultes à Gaza où la résistance musulmane incarne la dignité de ce peuple qui ne se soumet pas.

Dire « Shia » c’est dire « Iraniens ». Or les Palestiniens se battent pour leur nation et rien d’autre. Toute personne sensée sait parfaitement que le Hamas est un mouvement de la résistance palestinienne qui ne dépend de personne.

Abbas et ses amis au pouvoir en Israël cherchent à introduire une fracture fondée sur quelque chose qui n’a jamais existé auparavant. Cet usage de la religion à des fins politiques pour tenter de diviser les citoyens Arabes et les jeter les uns contre les autres, l’Irak en est un exemple parlant.

Vouloir faire croire que le Hamas, qui est un mouvement national, est une organisation « vendue, qui ne fait qu’un avec l’Iran » est ahurissant !

Cette propagande peut, toutefois, dans une certaine mesure, avoir une prise sur des gens peu cultivés ou très affaiblis par les difficultés dues au blocus, qui n’en peuvent plus, qui ont perdu tout espoir en l’humain et toute maitrise de leur destin.

Devant cette foule immense qui a déferlé sur la ville de Gaza le 12 novembre, le Fatah a crié victoire. De quelle victoire s’agit-il ?

De la victoire du fort sur le faible. De la manipulation de gens sans défense par des pouvoirs étatiques censés les protéger.

C’était en effet surprenant de voir autant de Palestiniens se rassembler sous le drapeau de ceux qui se sont aujourd’hui associés à Israël pour rendre la vie de la population de Gaza encore plus dure qu’elle n’était. Avaient-ils oublié que leurs représentants auprès de l’ONU avaient bloqué une résolution du Conseil de sécurité qui voulait alléger leurs souffrances ?

Il convient d’interpréter correctement ce qui se trame au sujet de Gaza.

Gaza va devoir continuer de souffrir et d’expier, après tout ce qu’on lui a déjà fait subir d’horreur, aussi longtemps qu’elle ne s’avouera pas vaincue.

Qui sont ces gens qui ont suivi les mots d’ordre du Fatah au pouvoir à Ramallah ?

Ce ne sont pas, comme par le passé, des gens motivés par un idéal commun qui sont descendus dans la rue le 12 novembre.

Ce sont des gens désespérés, en majorité motivés par la faim, motivés par la peur, par les difficultés écrasantes, qui ont massivement pris le chemin de ce rassemblement. Des gens épuisés, découragés, rongés par la peur des avions israéliens et la peur du lendemain.

Ce sont des gens qui aspirent à une vie décente, que les dirigeants du Fatah ont incité à crier des slogans comme « Shia » qui n’ont aucun rapport avec leur réalité, alors que tout dans leur quotidien crie misère.

Il y avait parmi eux des dizaines de milliers d’employés qui ont continué de recevoir leur salaire de la part du Fatah pour avoir renoncé, en juin 2007, de travailler avec les autorités élues du Hamas. Ce renoncement, contre un salaire qui tombe chaque mois, a été interprété par les gens du Fatah, comme une allégeance à leur parti. [1]

Voilà quelques extraits des témoignages que nous avons recueillis.

« La majorité de ces gens qui reçoivent un salaire du Fatah (salaires pris sur les financements de l’Union européenne) se sentent obligés d’aller manifester s’ils ne veulent pas que le salaire que ce parti leur verse, en remerciement de leur allégeance, soit coupé. Ils n’ont pas envie de finir comme la plupart d’entre nous, qui sont devenus des fantômes en quelques mois, et ne sont plus en mesure d’offrir une vie décente à leurs enfants »

« On a perdu le sens de l’humain. On ne se sent plus comme des gens normaux. On se fait peur. C’est quelque chose de très douloureux de voir que nous sommes devenus ce qu’Israël a voulu que l’on soit : déshumanisés. Je ne sais pas si vous pouvez comprendre vraiment ce que cela veut dire »

« Normalement, autrefois, quand les gens allaient manifester, c’était pour montrer leur opposition aux occupants, aux oppresseurs. Aujourd’hui, nous allons manifester pour que nos bourreaux, qui étranglent Gaza et nous affament, nous récompensent pour notre trahison. On a perdu toute notre dignité, parce qu’on a trop peur de demain, parce qu’on a trop peur de finir comme notre voisin qui, lui, s’est vu couper son salaire  »

« Les gens qui comptent des malades parmi les leurs, que le manque de médicaments condamnent à une mort certaine, se sentent vraiment perdus. Si on ouvre la frontière de Rafah, je suis persuadé que les gens vont se précipiter comme un troupeau, pour s’enfuir hors de cette prison horrible »

« Je suis persuadé que, si les gens avaient une vie digne, une vie qui leur permettait d’avoir un salaire, sans être soumis à des conditions, ils ne seraient jamais allés en masse à ce cortège organisé par le Fatah. Jamais le Fatah n’aurait pu dire que c’est l’expression « d’un plébiscite ». Ces gens ont rallié le Fatah car le Fatah leur assure un salaire, une protection. Moi je ne suis ni du Fatah ni du Hamas ; je ne reçois rien de personne. Combien de temps pourrais-je continuer de ne pas tendre ma main au Fatah ? »

« Je suis persuadé que si le Hamas avait de quoi offrir un peu d’argent aux gens qui sont dans la misère la plus crue, si le Hamas avait pu leur donner du travail, ces gens n’auraient pas perdu leur dignité et le Fatah n’aurait jamais eu aucun soutien. Les gens ont déjà trop souffert des gens du Fatah. Le soutien que vous avez vu aujourd’hui ne va pas durer. Les gens en ont assez de se voir pris au piège de ce parti Fatah, de se sentir leurs otages, sous leur chantage »

« On va devoir continuer de s’enfoncer dans l’horreur. Après la mascarade d’Annapolis, M. Ehud Barack va sans doute nous attaquer avec le soutien de M. Abbas »

« Mon cœur se déchire quand je vois mon voisin qui a dix enfant, une femme malade. Mon cœur saigne quand je le vois marcher dans la rue. On dirait qu’il porte des montagnes sur ses épaules. Mon cœur pleure quand je croise ces gens hier fiers, forts, indomptables, qui prennent de plus en plus des allures de fantômes. Et je me dis que, s’il n’y a pas un miracle, ces gens sont définitivement perdus »

Et les enfants, là au milieu, qui constituent la moitié de la population de Gaza, qui vivent dans ces familles écrasées par la pauvreté, qui s’en soucie ?

« Ils se rendent compte de ce qui se passe. Ils sentent qu’il y a quelque chose qui n’est pas normal. Mais ils ne peuvent pas savoir ce qui les attend d’encore plus déroutant. On éprouve une grande peine pour les enfants ; leur avenir est très sombre, les jeunes étudient, terminent leur études et ensuite ils sont au chômage et ils souffrent de ne pouvoir aider leurs familles »

Pourquoi, au-dehors, dans nos pays européens, acceptons-nous ce chantage « de la faim » exercé sur une population exsangue et qui subit les affres de l’occupation militaire la plus impitoyable ?

Cela est-il acceptable ?

Il est facile de conduire à perdre toute dignité des gens que les mesures de boycott ont détruits, qui n’ont pas un « shequel » (monnaie israélienne) en poche et ne savent plus comment nourrir leurs enfants, les habiller, payer leurs loyers, les factures de gaz et d’électricité.

Il est facile de les pousser insensiblement, à se battre entre eux comme des rats, pour un morceau de pain, pour échapper à la catastrophe qu’on organise le plus cyniquement du monde.

Ces gens sont désespérés. Et, dans leur désespoir, ils ne peuvent pas comprendre comment il est possible que l’humanité puisse rester sans réagir et les abandonner de la sorte

* le nombre des blessés varie : certains ont parlé de 70, d’autres, 80, d’autres 130

[1] 40’000 personnes ont refusé de se plier aux ordres d’Abbas, à cet humiliant chantage de devoir boycotter le Hamas. Abbas les a punies en coupant leurs salaires en juin 2007

Silvia Cattori est journaliste indépendante en Suisse.

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