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Les Mayas pris entre l’Aléna et le maïs (Guatémala)
Par Nicolas Minetti
Mondialisation.ca, 17 janvier 2006
Foro Ciudadano et Risal (pour la traduction en espagnol) 17 janvier 2006
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Raúl Lugo est prêtre catholique dans la péninsule du Yucatán, au Mexique. Le contraste entre les magnifiques hôtels de Cancún, les constructions impressionnantes des mayas à Chichen Itzá ou à Tulum [ruines mayas] et la pauvreté des communautés paysannes de leurs descendants l’a motivé à chercher un chemin pastoral en dehors des lieux de cultes. Sur son parcours, il a découvert de nouvelles initiatives de production en même temps que la construction d’un espoir : la défense de l’identité maya face aux progrès de la culture occidentale et les conséquences de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) [1].

Quelles sont les conditions de vie des indigènes et des paysans du Yucatán ?

Il faudrait scinder la question en deux parties. La première est la réalité propre des peuples indigènes, qui n’est pas la même pour toutes les ethnies. Le Mexique est un des pays latino-américains qui présente le plus grand nombre d’ethnies : plus de cinquante. La région où je me trouve est habitée par une seule ethnie : celle connue sous le nom de « maya péninsulaire  ». Ici, il y a des problèmes qui sont les mêmes que pour les autres indigènes du pays, par exemple : la non-reconnaissance par les lois locales de l’existence même de l’ethnie, en dépit du fait que 60 % de la population parle maya et que l’espagnol n’est que leur seconde langue. En dépit de cela, il n’existe aucune sécurité juridique ni pour leurs coutumes, ni pour leur système d’administration de la justice, ni pour leur langue. C’est un grand combat pour ces peuples indiens actuellement que celui d’obtenir des droits spécifiques.

La seconde partie de la question est la réalité que ces indigènes partagent avec d’autres yucatecos [habitants du Yucatan] non indigènes mais qui vivent à la campagne. Là, le problème est essentiellement lié à la culture du maïs. Notre région est une région de terres très peu fertiles. On ne peut semer du maïs que sur une moitié du territoire. L’autre moitié a longtemps été utilisée presque exclusivement pour la culture d’une agave appelée henequén (une sorte de cactus, ressemblant à la yucca verte, d’autres variétés d’agave sont utilisées pour fabriquer la tequila). Avec le henequén (aussi connu sous le nom de fibre ou fil de sisal) on fabriquait les cordages des bateaux mais, depuis l’apparition du plastique, la culture s’est déplacée au niveau international, l’entreprise, qui était étatique, a fait faillite et les paysans sont restés sans ressource.

En revanche, la région où l’on cultive le maïs depuis longtemps s’en est bien sortie économiquement mais n’arrive cependant plus à couvrir les besoins de la population. Avec la signature du traité de libre-échange avec les Etats-Unis et la Canada (ALENA), le gouvernement mexicain a abandonné la politique de subsides et de divers avantages qu’il octroyait aux paysans comme par exemple des prix garantis pour le maïs.

La culture du maïs est-elle la seule affectée par le traité de libre-échange ?

Dans notre cas, c’est le seul produit dont on peut dire qu’il est absolument fondamental dans l’alimentation paysanne. Jusqu’à il y a un certain temps, on couvrait quasiment les besoins alimentaires, au moins dans la région. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Mais ce n’est pas parce qu’il n’y en a plus dans le pays. Dans d’autres régions du pays, le traité de libre-échange a affecté d’autres cultures, en particulier le haricot et le blé, que l’on cultive dans d’autres régions et qui sont aujourd’hui en déficit.

Et ces aliments, d’où viennent-ils à présent ?

Ils sont importés des Etats-Unis. Une partie du blé vient aussi du Canada parce que le traité a été signé entre ces trois pays. Le Mexique autorise l’entrée de céréales sans taxes douanières tout en cessant de soutenir les paysans alors que, dans ces pays et particulièrement aux Etats-Unis, ils continuent leur politique de subsides.

Quand l’ALENA a été signé, il était prévu que la pleine libéralisation des produits agricoles et de l’élevage aurait lieu en 2015. Le Mexique a accéléré ce processus à tel point que, dès 2002, nous n’avions pratiquement plus de protection pour aucune de nos céréales. Autrement dit, nous sommes devenus les plus orthodoxes du Traité de libre-échange.

Et donc, en 2002, lors de la crise de la production des produits agricoles, les mouvements sociaux paysans ont fait pression pour que, au moment de la révision du traité commercial en 2004, on retire le chapitre sur l’agriculture et l’élevage, qu’on le renégocie et qu’on prenne en compte les asymétries qui existaient déjà au début mais qui se sont accentuées avec la politique de subsides des Etats-Unis. Le moment de cette renégociation est passé et le Mexique n’a pas levé le petit doigt pour aboutir à un quelconque changement.

Comment cela affecte-t-il la diversité des variétés de maïs ? Y en a-t-il en danger d’extinction ?

Oui. Nous avons organisé dans la région, un évènement annuel que nous appelons « La fête du maïs criollo ». En tant que région productrice, nous sommes assez peu importants parce que presque toute notre production est destinée à la consommation interne alors que dans des états voisins, comme par exemple celui de Oaxaca, en plus d’être le berceau de différentes variétés, ils ont une production assez importante qui leur permet d’exporter vers d’autres régions du pays. Ce sont ces régions qui ont été le plus touchées par l’introduction du maïs transgénique qui a contaminé une grande partie des semailles de Oaxaca qui, étant la région d’origine du maïs, doit faire face au risque de voir disparaître ses variétés.

Nous, nous travaillons dans des coins reculés de la région maya où ils se sont attachés à conserver la pureté de plusieurs variétés de maïs. Mais, sur ce même territoire maya, certaines personnes ne connaissent pas la variété de maïs cultivée à l’autre bout de l’état. Donc, la fête du maïs a aidé à ce que les communautés puissent y apporter leurs semences et puissent les échanger. Il y a plusieurs types d’échanges : il y a l’échange semence contre semence, il y a celui permettant de compléter la production quand, dans une certaine région, il y a eu des pertes, et il y en a un autre permettant d’éviter la contamination, c’est-à-dire un échange au cours duquel il faut qu’il y ait une certaine garantie de la part du village qui propose son maïs que celui-ci n’a pas été contaminé par aucun autre type de semence.

Il est arrivé que des indigènes s’étonnent du nombre de variétés existantes. Il y a même une université spécialisée dans les thèmes agricoles qui a affirmé que du fait que la région maya du Yucatan soit peu importante en matière de commerce et de distribution de céréales , elle était extrêmement intéressante pour ses différentes variétés de maïs.

En quoi consiste ton travail avec les communautés mayas ?

Nous avons fondé, il y a dix ans, une école d’agriculture biologique. Nous étions un groupe de prêtres qui travaillions dans des communautés rurales et nous nous sommes rendu compte du fait que ces communautés « expulsaient » des gens, favorisant l’exode vers Cancún et d’autres sites touristiques proches ou directement vers les Etats-Unis. C’est pour cela que nous avons décidé de mettre en place un projet, pas seulement d’études, d’investigation ou religieux mais aussi un projet productif.

Nous avons rencontré un groupe de paysans dans le sud de l’état qui avait développé un travail très intéressant pendant quatre ans qui s’appelait « Des arbres pour le peuple ». Ils ont étudié les possibilités de revenir aux techniques agricoles des anciens mayas, intégrant de manière intéressante des éléments d’une agriculture durable et respectueuse de l’environnement. Ils n’avaient plus de financement. Ils avaient fait un travail de pratique collective mais ils étaient plus ou moins isolés. Nous leur avons demandé de réunir une équipe et nous, de notre côté, nous nous sommes engagés à trouver des financements des paroisses, pour que pour qu’ils aillent voir nos groupes de paysans. Nous sommes ensuite passés à une étape de formation un peu plus formelle que du simple conseil en matière agricole et nous avons fondé l’école d’agriculture écologique « Rocío del Cielo » [Rosée du ciel].

Le programme de l’école s’étend sur une année complète, couvrant ainsi toutes les étapes productives. Les paysans et les paysannes résident dans une sorte d’internat du mardi au vendredi, qui dispose d’installations et de champs. En association avec les universités du Yucatán et de Chapingo, nous avons créé un programme agricole (semences, milpa -plantation de maïs -, légumes, arbres de coupe), d’élevage (porcs, vaches, poissons, abeilles, volaille, etc.) et social (organisation sociale paysanne pour pouvoir faire face aux problèmes : depuis la commercialisation jusqu’à la sauvegarde des traditions indigènes, de la médecine traditionnelle, de la spiritualité de la terre, etc.).

Ils forment des coopératives ou ce sont des agriculteurs « individuels » ?

Après sept ans, alors que sept groupes de plus ou moins 25 paysans chacun ont déjà été formés, certains d’entre eux continuent à travailler sur leurs parcelles individuelles mais d’autres ont voulu dépasser le stade de l’agriculture de subsistance et pouvoir commercialiser leurs excédents. Pour ce faire ils ont monté un projet de « Fermes écologiques intégrales ».

L’idée, c’est qu’un groupe de familles, avec au moins un ancien élève à sa tête, mette en place le projet qui consiste à transformer la ferme écologique intégrale en un centre de formation technique et de production dans lequel les personnes formées dans notre école partagent leurs connaissances avec d’autres paysans pour que toutes les techniques utilisées soient respectueuses de l’environnement et pour que tous les produits soient biologiques.

Comment assurent-ils la distribution de ces produits ?

L’expérience a débuté il y a trois ans. Après la première année de production, nous avons lancé un programme appelé « Panier de légumes biologiques  ». Nous avons trouvé en ville un certain nombre de familles qui étaient prêtes à s’associer au projet sur le modèle du commerce équitable. Concrètement, cela veut dire que les personnes vont payer plus cher que dans un supermarché mais pour des légumes de bien meilleure qualité. Ils s’engagent en outre à payer à l’avance et à assumer les risques du travail avec le producteur. En contrepartie, les producteurs s’engagent à leur fournir un panier de légumes biologiques d’au moins 7 kilos par semaine et à assurer la relation directe avec le consommateur de telle manière que, deux fois par an, celui-ci puisse visiter la ferme pour connaître l’endroit. Il peut aussi y emmener ses enfants puisqu’il y a un programme de formation écologique qui leur est destiné. De cette façon, la famille de consommateurs qui participe au projet reste liée concrètement à une ferme, reçoit ses produits chaque semaine et établit un autre type de relation avec les producteurs.

Cela est-il viable du point de vue économique pour les personnes impliquées ?

Oui, car on suppose que la famille, pour ce qui est des légumes, prend (sur sa production) ce dont elle a besoin pour vivre, et que ces paniers sont composés des excédents. Ce ne sont pas des fermes très grandes : chacune d’entre elles produit cinq paniers par semaine, pas plus. Les producteurs doivent garantir 35 kilos de légumes pour leurs cinq familles clientes. Ils récoltent le lundi après-midi et le mardi matin, ils apportent leurs produits à un endroit de la ville de Mérida où les gens se rendent pour laisser un panier vide et en prendre un plein. Et cela toutes les semaines. Les acheteurs paient trois mois à l’avance, ce qui garantit le revenu des paysans en cas de problème, par exemple pendant la saison des cyclones, quand la récolte est impossible.

Partager le risque…

Partager le risque en matière de production est un des axes de l’initiative afin d’arriver à établir une nouvelle relation entre les producteurs et les consommateurs.

Combien y a-t-il de fermes de ce genre qui fonctionnent ?

Il y en a cinq qui existent depuis deux ans et, en décembre passé, nous en avons inauguré dix autres mais qui sont autour des cinq premières ce qui fait que celles-ci restent des centres de formation. Les fermes peuvent regrouper trois familles où travaillent des hommes et des femmes.

En plus des légumes biologiques, que produisent-elles d’autre ?

L’année passée, nous avons organisé un marché de la dinde biologique. Comme tout le monde mange de la dinde, nous avons annoncé que nous allions vendre des dindes qui n’avaient jamais mangé d’aliments traités chimiquement et qui donc ont besoin d’un an ou un an et demi pour arriver à 7 ou 8 kilos.

Dans le cas contraire, cela prend combien de temps ?

On peut y arriver en trois mois. Mais bien entendu ces dindes, outre le fait qu’on nous les vend surgelées, n’ont aucun goût alors que celles que nous produisons sont connues sous le nom de « dinde élevée dans la cour  » parce que c’est là qu’on leur donne des graines, des herbes ou les restes des repas. Elles ne reçoivent donc aucun aliment artificiel pour leur croissance. Nous en profitons et nous les vendons presque au double du prix mais les gens les recherchent. Les gens les attendent même parce qu’ils apprennent à connaître le projet des fermes et cherchent des moyens de le soutenir. Ils emportent en plus une dinde qui a beaucoup plus de saveur que d’autres.

En outre, nous voudrions faire un marché du miel écologique au printemps. Nous avons des abeilles natives, adaptées à la région et qui n’ont pas de dard. Elles produisent un miel assez concentré qui a de nombreuses vertus médicinales.

Comment le peuple maya de la péninsule [du Yucatan] a-t-il fait face au traité de libre-échange ? Comment fait-il face à cette nouvelle réalité qui lui enlève ses moyens de subsistance ancestraux ? L’expérience des zapatistes du Chiapas a-t-elle fait des émules ?

Dans le cas des mayas de la péninsule, il y a un problème. Leur processus d’auto-identification en tant qu’indigènes n’a pas été aussi rapide que dans le cas des zapatistes.

Ils ne sont pas indigènes ?

Ce sont des indigènes, ils ont leur propre langue, leurs traditions mais la majorité d’entre eux n’enseignent déjà plus leur langue à leurs enfants par exemple. Le soulèvement zapatiste est venu réellement bousculer un peu la question de l’identité parce que, il y a encore vingt ans de cela, pour un indigène, l’idéal était que son fils fasse des études et quitte son environnement, cesse de parler maya, se métisse. Il n’existait pas d’auto-valorisation en conséquence de siècles de mépris et d’humiliations. Mais à partir de l’expérience zapatiste les choses ont changé de manière notable, puisque maintenant il y a par exemple des cercles de discussion sur leur propre identité. Nous avons participé à quelques ateliers avec eux, des ateliers dont la prétention à terme est de permettre aux gens d’avoir des arguments pour leur propre identification et cela a provoqué, libéré une discussion sur un sujet qui n’était jamais abordé auparavant.

Dans ce sens, certaines choses ont fait du chemin. Par exemple, les zapatistes ont proposé des modifications de la Constitution après être arrivé à un accord avec le gouvernement fédéral. Celui-ci a trahi les accords, il a fait une réforme différente [2] et c’est alors que les zapatistes ont entamé leur projet d’autonomie [3]. Les mayas du Yucatan, par exemple, sont à présent face à une situation intéressante parce que le parlement local veut légiférer pour la première fois sur des questions ayant trait aux droits des indigènes. La première chose qui devrait être reconnue dans la Constitution est qu’il y a des mayas, parce qu’ils n’existent pas légalement parlant. Ils veulent faire une loi particulière mais les mayas ont déjà dit : « Nous, nous ne voulons pas d’une loi faite par vous  ». Et « nous ne voulons d’aucune loi tant qu’ils ne répareront pas le mal qu’ils ont fait avec les zapatistes avec la réforme fédérale ». Je note donc, avec ce type de positions, que le phénomène zapatiste a un écho assez important, y compris au sein des mayas du Yucatán. Tout cela en lien avec les droits des peuples indiens.

Maintenant, les autres conséquences de la globalisation économique ont été dévastatrices. Notre projet, même s’il paraît très joli, ne touche qu’une petite partie de la population et le processus d’émigration ne s’est pas arrêté, loin de là.

NOTES:

[1] [NDLR] L’Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1993 par les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, est entré en vigueur le premier janvier 1994. TLCAN, en espagnol ; NAFTA en anglais.
Consultez le dossier « ALENA » sur RISAL.

[2] [NDLR] Loi sur les droits et la culture indigène approuvée par le Congrès mexicain en avril 2001, rejetée par les zapatistes et les principales organisations indigènes.

[3] [NDLR] Consultez le dossier « L’autonomie zapatiste  » sur RISAL.

 

RISAL – Réseau d’information et de solidarité avec l’Amérique latine
URL:
http://risal.collectifs.net/

Source : Foro Ciudadano (www.forociudadano.com), 14 septembre 2005.

Traduction : Anne Vereecken, pour RISAL (www.risal.collectifs.net).

 
 

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