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Les médias brésiliens font la promotion des généraux contre le président Bolsonaro
Par Miguel Andrade
Mondialisation.ca, 26 février 2019
wsws.org 25 février 2019
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La montée en puissance de la provocation américaine à la frontière vénézuélienne s’est accompagnée au Brésil d’une campagne médiatique concertée, à laquelle se sont joints l’opposition officielle du Parti des travailleurs (PT) et ses satellites de pseudo-gauche, pour présenter l’armée brésilienne comme une alternative politique à la «folie» et à «l’incompétence» du président fasciste Jair Bolsonaro.

L’argument central s’est articulé autour de la prétendue «retenue» et «indépendance» des militaires par rapport à la politique d’alignement américain proposée par Bolsonaro, surtout en ce qui concerne le voisin du nord du pays, le Venezuela, où les militaires seraient opposés aux opérations de l’impérialisme américain contre le gouvernement du président Nicolas Maduro.

Alors que le général Hamilton Mourão, le vice-président brésilien, a déclaré à plusieurs reprises que Maduro «doit se rendre compte qu’il doit partir» et que l’armée brésilienne manœuvre avec des éléments dissidents de l’armée vénézuélienne pour le faire tomber, les médias et les experts auto-proclamés «de gauche» qui prétendent s’opposer au gouvernement ont soutenu le récit selon lequel l’armée brésilienne était opposée à l’opération de changement de régime américaine.

Les médias capitalistes, le Parti des travailleurs (PT) et ses apologistes de pseudo-gauche s’alignent, étape par étape, sur la campagne du New York Times, du Washington Post et du Parti démocrate aux Etats-Unis sur «l’inaptitude» de Donald Trump, utilisant la large opposition à la politique de droite du président élu du Brésil pour pousser les chefs militaires plus «rationnels et fiables» à un contrôle croissant de l’Etat.

Cette campagne est remarquablement unanime dans les pages éditoriales et d’opinion des journaux et hebdomadaires les plus importants et les plus influents du pays – Veja, O Globo, O Estado de S. Paulo, Folha de S. Paulo etEl País – ainsi que dans les médias alternatifs pro-PT – Brasil247, Carta Capital, Revista Fórum et GGN. Leur argument central est que l’administration de Bolsonaro est une aberration produite par la stupidité des électeurs brésiliens empoisonnés par de «fausses nouvelles», et qu’elle doit être reprise par les «adultes dans la salle» – le vice-président, le général Mourão, et d’autres membres du personnel militaire nommé par Bolsonaro à son cabinet.

Dans tous les cas sans exception, les carrières à vie dans les forces de sécurité brésiliennes corrompues, meurtrières et pro-impérialistes sont considérées par les médias comme la garantie de leur fiabilité et de leur force.

L’escalade de cette campagne réactionnaire s’est manifestée dans la réaction unanime des médias et de l’opposition au cours des deux dernières semaines à une crise du cabinet causée par un rapport de Folha du 10 février, selon lequel Gustavo Bebianno,le secrétaire général présidentiel de Bolsonaro, un haut poste ministériel au Brésil, a peut-être conçu un plan pour faire passer de faux candidats afin de verser des fonds publics à des membres du Parti social libéral (LSP) de Bolsonaro.

Parmi les preuves présentées dans le rapport, il y avait le fait que les candidats qui ont reçu les fonds ont obtenu peu de votes par rapport à leurs dépenses électorales. C’est très douteux et conforme à la campagne menée par Folha pendant les élections, qui prétend que les électeurs ont été influencés de manière décisive par de fausses nouvelles faisant la promotion de Bolsonaro via Whatsapp. L’histoire des «fausses nouvelles» de Whatsapp a été utilisée de la manière la plus réactionnaire par le principal partisan de pseudo-gauche du PT, le Parti socialiste et libéral (PSOL), pour demander que le tribunal électoral brésilien interdise l’utilisation de l’application populaire des médias sociaux dans tout le pays pendant la période précédant les élections.

L’histoire de Folha sur Bebianno, publiée alors que Bolsonaro se remettait d’une opération chirurgicale liée à l’attentat contre sa vie durant la campagne, offrait un aperçu remarquable du fonctionnement interne des cercles dominants du pouvoir brésilien et de leur campagne de promotion de l’armée comme seule force politique légitime et capable dans le pays.

Alors que l’histoire a d’abord déclenché une fureur médiatique exigeant l’éviction de Bebianno, elle a été suivie d’une attaque contre Bebianno par le fils de Bolsonaro, Carlos Bolsonaro, membre du conseil municipal de Rio de Janeiro. Il a fait l’accusation selon laquelle Bebianno œuvrait pour faire tomber son père en prétendant que le président partageait la responsabilité du complot. En conséquence, la sympathie des médias et de l’opposition du PT-PSOL s’est immédiatement portée sur Bebianno.

La vitesse fulgurante de ce changement a été entièrement basée sur une indication des ministres militaires visités par Bebianno après l’attaque de Carlos Bolsonaro. Folha et d’autres médias ont rapporté le 14 février que le général Augusto Heleno (chef du renseignement) et le général Fernando Azevedo (ministre de la défense) étaient intervenus avec Bolsonaro pour épargner Bebianno. Le lendemain, le plus ancien quotidien du pays, O Estado de S. Paulo publie un éditorial intitulé « Filhocracia » (le règne des fils), se plaignant du fait que Bolsonaro agissait sous l’influence de ses fils «non élus» et n’écoutait pas les généraux de son cabinet, supposés porte-étendards de la démocratie brésilienne.

Prenant le train en marche, le porte-parole du PT, Brasil247, a publié un article non signé très médiatisé – ce qui passe pour une déclaration du comité de rédaction sur le site Web – qui montre clairement l’alignement du PT sur les médias capitalistes. Il affirmait que «La presse conservatrice et progressiste est parvenue à un consensus sur le fait que le gouvernement du clan Bolsonaro, où la famille est au-dessus des ministres de l’Etat, est intenable. » Il a ensuite cité des experts partisans du PT qui s’alignaient sur la ligne de l’armée au sujet de «l’impréparation» de Bolsonaro.

Plus tard, alors que le PT, le PSOL et le PCdoB ont manœuvré avec la droite au Congrès pour que Bebianno témoigne devant un comité, le rédacteur en chef de Brasil247 Mauro Lopes a écrit un article décrivant Bebianno, soutenu par les militaires, comme une victime du «néofascisme bolssonariste», écrivant que ses partisans «avaient lancé une campagne de diffamation et des menaces aussi graves que celles qu’ils avait dirigées contre le PT.»

Entre-temps, le candidat présidentiel du PT pour 2018, Fernando Haddad, n’a laissé aucun doute sur le fait que cet alignement sur les généraux est dirigé par la direction du parti. Lors d’un rassemblement dans l’État du Ceará, dirigé par le PT, dont le gouverneur, Camilo Santana, fait campagne en faveur des propositions de l’État policier de Bolsonaro, y compris une extension de la définition du terrorisme aux manifestations, Haddad a déclaré à la presse: «La crise avec le secrétaire général a inquiété tout le monde, la presse et les militaires», ajoutant: «La question est, qui est adulte dans la salle». Le choix de ces mots, faisant écho à la description des généraux aujourd’hui limogés à la Maison-Blanche de Trump, ne laissait aucun doute quant à Haddad et à l’orientation du PT vers les militaires.

Un article de Cid Benjamin du PSOL dans Revista Fórum au plus fort de la crise a également révélé à quel point son parti est engagé dans l’opération. Il a écrit que «face à la fête de la stupidité des ministres de Bolsonaro tous les deux jours, Mourão s’est construit une image de raison.» Il a ajouté que cette image était due au fait que Mourão avait «accordé une audience à la CUT» – le plus grand syndicat du pays, contrôlé par le PT – et avait «rencontré l’Autorité palestinienne, un camouflet pour Bolsonaro» en raison de la politique pro-Israël de Bolsonaro. Il a conclu en indiquant que le PSOL est prêt à aider à renforcer l’image du général. «Il ne manquait plus qu’à l’inviter à prendre un café», a écrit Guilherme Boulos, candidat à la présidence de la PSOL en 2018.

Dans une tentative de démonstration de force, Bolsonaro a décidé lundi dernier de congédier Bebianno, non sans avoir d’abord été acculé par les ministres militaires, enhardis par la campagne médiatique réactionnaire, qui l’a contraint à nommer le général Floriano Peixoto, député de Bebianno, comme nouveau secrétaire général de la présidence.

Il n’y a rien de progressiste dans l’association du PT avec les médias capitalistes discrédités et l’armée contre Bolssonaro le fascisant. Cela lui donne la capacité de se dépeindre comme la victime d’un complot. Il tente de renforcer son attrait fascisant et personnaliste, tout en faisant participer ses fils au gouvernement, comme Trump lui-même. Cette orientation politique fait l’objet de discussions avec de puissants bailleurs de fonds et dirigeants d’extrême droite à l’étranger, notamment Steve Bannon, avec qui un autre fils de Bolsonaro, sénateur de l’État de São Paulo, Flávio Bolsonaro, entretient un contact étroit.

Il est significatif que, dans le sillage du limogeage de Bebianno, Bolsonaro ait cherché à donner un ton populiste en se présentant comme s’opposant à la dureté de la réforme des pensions proposée par son équipe économique. Il a également demandé à la Cour suprême de rejeter l’allégation du ministre de l’Économie de l’ancien président Michel Temer selon laquelle la grève des camionneurs de l’an dernier «a conspiré contre le bien-être public», qui est l’allégation centrale d’une poursuite judiciaire qui pourrait entraîner des accusations criminelles contre les camionneurs.

L’objectif du PT est de camoufler les enjeux du virage à droite pris par le système politique brésilien depuis la réélection de Dilma Rousseff du PT en 2014. Ce virage à droite, tant sous le PT que sous Bolsonaro, vise à imposer une restructuration massive des relations de classe, d’abord et avant tout par la dite «réforme des retraites» – une mesure que Fernando Haddad lui-même a menée comme maire de São Paulo en 2016 – et une réorientation vers l’impérialisme américain en se distanciant de la Chine.

Miguel Andrade

Article paru en anglais, WSWS, le 25 février 2019

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