Les médias et l’establishment politique canadiens approuvent l’assassinat illégal du général iranien Soleimani

Au cours des deux semaines qui ont suivi la violation par Washington de la souveraineté de l’Irak pour assassiner le général Qassem Soleimani des Gardiens de la révolution iranienne (GRI), d’importants médias d’entreprise canadiens et des figures de proue de l’establishment politique ont exprimé leur appui à de tels actes de terrorisme d’État. Dans la mesure où des critiques ont été formulées, elles ont tourné autour de la question de savoir si l’assassinat de Soleimani était une erreur tactique susceptible de miner la position de l’impérialisme américain au Moyen-Orient.

Fournissant un soutien implicite à la frappe de drone américaine, le ministère des Affaires étrangères du Canada a réagi quelques heures seulement après le meurtre illégal du 3 janvier en publiant une déclaration dénonçant l’«agression» iranienne et appelant à la «désescalade».

Le premier ministre Justin Trudeau a par la suite évité les apparitions dans les médias pendant plusieurs jours, puis a fait remarquer qu’il aurait préféré que le Canada soit informé à l’avance de la frappe, étant donné le grand nombre de soldats canadiens qui travaillent aux côtés de l’armée américaine en Irak.

Lorsque, le 8 janvier, un journaliste a de nouveau sollicité l’opinion de son gouvernement sur l’assassinat, qui était illégal en vertu du droit américain et international, Trudeau est allé encore plus loin en accordant le soutien de son gouvernement. «Le Canada est depuis longtemps conscient de la menace que constituent les GRI pour la sécurité régionale et mondiale», a déclaré Trudeau. «Les Américains ont pris une décision fondée sur leur évaluation de la menace. Les États-Unis devaient évaluer la menace et ils l’ont fait».

Le gouvernement libéral Trudeau a également salué la décision prise mardi par les grandes puissances impérialistes européennes – l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne – de déposer une plainte pour non-respect par l’Iran de l’accord nucléaire de 2015. Cette mesure met les puissances européennes sur la voie accélérée de 60 jours pour se joindre aux États-Unis afin d’imposer et de surveiller les sanctions économiques paralysantes contre l’Iran, bien que Téhéran, comme vérifié par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et tous les autres signataires de l’accord, ait pleinement respecté ses termes jusqu’à ce que Washington se retire avec l’intention avouée de le saboter.

«Le Canada appuie fermement l’engagement diplomatique de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni pour presser l’Iran de respecter ses engagements en vertu de l’accord, notamment en activant le mécanisme de règlement des différends», a déclaré le ministre des Affaires étrangères François-Philippe Champagne dans une déclaration.

Les principaux médias ont approuvé avec enthousiasme l’assassinat ciblé commandé par Trump. Dans un article d’opinion intitulé carrément «Donald Trump a raison sur l’Iran», le chroniqueur du Globe and Mail Konrad Yakabuski a écrit au sujet de Soleimani: «À un moment donné, il fallait l’arrêter. La vraie question est de savoir pourquoi cela n’est pas arrivé plus tôt.»

En ce qui concerne la justification donnée par Trump pour l’attaque, Yakabuski a pratiquement soutenu que Washington devrait avoir un chèque en blanc pour éliminer toute figure militaire ou politique qui se mettrait en travers de ses intérêts. «Même en mettant de côté la menace d’une attaque imminente sur des cibles américaines planifiée par le Général Soleimani évoqué par l’administration Trump pour justifier le moment de l’attaque de la semaine dernière», a-t-il écrit, «il ne fait aucun doute que le stratège militaire supérieur de l’Iran avait beaucoup de sang américain sur les mains… Il a alimenté une guerre civile au Yémen, soutenu le régime de boucherie de Bashar al-Assad en Syrie, financé et armé une milice chiite en Irak et le Hezbollah au Liban … Finalement, quelqu’un à Washington a dû arrêter le Général Soleimani et mis en garde les théocrates en charge à Téhéran. Cela aurait dû être fait il y a des années.»

Le cynisme stupéfiant de ces commentaires, qui se reflète surtout dans leur silence délibéré sur les crimes horribles de l’impérialisme américain et de ses alliés au Moyen-Orient au cours du dernier quart de siècle, ne peut être compris que si l’on apprécie la profonde participation du Canada à la campagne de Washington visant à établir une domination illimitée sur la plus importante région exportatrice de pétrole au monde.

Yakabuski dépeint Soleimani comme le génie maléfique responsable de tirer les ficelles en coulisse dans chaque crise majeure au Moyen-Orient au cours des deux dernières décennies. Cela lui permet de dissimuler la réalité selon laquelle l’impérialisme américain, avec l’aide efficace de son allié canadien, porte la responsabilité de millions de morts et de la destruction de sociétés entières, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par la Libye, la Syrie et le Yémen.

Yakabuski a également déclaré qu’il approuvait la provocation de Trump, qui a abrogé unilatéralement l’accord nucléaire iranien en mai 2018. Répétant les mensonges de Trump et du secrétaire d’État américain Mike Pompeo et ignorant délibérément les menaces de guerre de Washington contre l’Iran et l’envoi massif d’armes à ses alliés régionaux comme les Saoudiens et Israël, Yakabuski a déclaré: «Au lieu d’encourager l’Iran à abandonner ses activités terroristes au Moyen-Orient, le régime sectaire de Téhéran a utilisé la manne qu’il a empochée grâce à la levée des sanctions pour semer un chaos encore plus grand».

Le Globe, longtemps considéré comme le porte-parole des sections les plus puissantes de l’élite financière de Bay Street au Canada, a également publié un commentaire de Hugh Segal appuyant l’assassinat de Soleimani. Ancien chef de cabinet du premier ministre progressiste-conservateur Brian Mulroney et personnalité influente dans les milieux politiques, Segal a dénoncé Soleimani comme étant «le commandant suprême le plus puissant et le plus malveillant des forces terroristes et par procuration de l’Iran». Il a ensuite exhorté le gouvernement canadien à accélérer les préparatifs de guerre avec l’Iran en organisant une réunion ministérielle de l’OTAN pour déclarer que l’alliance militaire interpréterait toute attaque iranienne contre le personnel militaire américain comme une violation de l’article 5 de l’OTAN, qui exige que les 28 États membres appuient les opérations militaires d’un membre si celui-ci est attaqué.

«Une réunion ministérielle élargie pour souligner la réalité de l’article 5 serait largement constructive», a déclaré Segal. «Après tout, ce serait une voie sérieuse vers la retenue que de faire comprendre parfaitement que l’OTAN considérerait une attaque claire contre les États-Unis, leur peuple, leurs forces ou leur pays – qu’elle soit cinétique, cybernétique ou par le biais d’un mandataire terroriste – comme un acte d’agression contre tous les membres de l’OTAN».

Les commentaires de Segal indiquent clairement que la classe dirigeante canadienne se prépare à se joindre aux États-Unis dans un assaut militaire contre l’Iran si la campagne de «pression maximale» de Washington sur Téhéran devait provoquer une guerre totale. Un tel conflit engloutirait rapidement tout le Moyen-Orient et risquerait d’entrainer les autres grandes puissances.

Le gouvernement Trudeau est déjà en plein programme de réarmement massif, achetant de nouvelles flottes de navires et d’avions de guerre et mettant en œuvre des plans visant à augmenter les dépenses militaires de plus de 70 % d’ici 2026.

Le silence collectif de l’élite dirigeante canadienne sur l’illégalité de l’assassinat par l’administration Trump d’un dirigeant étranger dans un pays tiers – un acte qui était manifestement à la fois un acte de guerre et un crime de guerre – souligne que dans la poursuite de ses ambitions impérialistes prédatrices mondiales, il ne permettra pas que des subtilités juridiques, et encore moins des scrupules moraux, se mettent en travers de son chemin.

Malgré l’image soigneusement chorégraphiée du Canada en tant que «nation de maintien de la paix» attachée au droit international et à la diplomatie, le mépris de l’élite dirigeante pour les principes juridiques lorsqu’il s’agit de faire respecter ses intérêts en matière de politique étrangère agressive n’est pas nouveau. En 2003, lorsque les États-Unis, au mépris flagrant de l’ONU et du droit international, ont envahi l’Irak en invoquant de fausses allégations d’«armes de destruction massive», le premier ministre Jean Chrétien a écarté les questions de la légalité des actions de Washington en déclarant que ces questions seraient soumises au débat des historiens à venir. Bien que Chrétien n’ait pas déployé de troupes canadiennes pour se joindre à l’invasion, le Canada a joué un rôle de soutien en coulisse et a assumé une part accrue du fardeau militaire en Afghanistan pour faciliter le déploiement d’un plus grand nombre de troupes américaines en Irak.

Les critiques prudentes émises par certains milieux au sujet de l’assassinat de Soleimani par les États-Unis n’ont rien à voir avec l’opposition à la guerre ni avec les préoccupations relatives aux implications juridiques et politiques de l’adoption par le plus puissant pays impérialiste du monde du terrorisme d’État comme politique officielle du gouvernement. Ces craintes reflètent plutôt, tout comme les commentaires des principaux démocrates américains, les inquiétudes d’une partie de l’élite dirigeante selon laquelle Trump a agi trop hâtivement et n’a pas de stratégie plus large pour la consolidation de l’hégémonie américaine sur le Moyen-Orient, riche en énergie et qui se trouve dans une région géostratégique cruciale.

Le National Post de droite a résumé cela dans un éditorial intitulé «Soleimani a mérité ce qu’il a eu, mais nous verrons ce qui arrivera ensuite.» «La question au cœur de l’attaque contre le général iranien Qassem Soleimani n’est pas une question de légalité ou de justification», a affirmé le Post. «Le monde est incontestablement mieux sans lui. La question clé est de savoir s’il est plus sûr. Nous avons déjà été dans cette situation, et l’issue n’est pas de bon augure: en 2003, l’administration de George W. Bush a entrepris de rendre le monde plus « sûr » en renversant Saddam Hussein.»

Le point de vue du Post est clair. Le manque de prévoyance et l’imprudence de Trump risquent de déstabiliser davantage une région qui est au centre des intérêts géopolitiques et économiques de l’impérialisme américain et canadien. Ce qu’ils veulent, c’est une stratégie diplomatique, économique et militaire plus réfléchie et plus complète pour repousser l’influence de l’Iran et renforcer le contrôle impérialiste américain sur le Moyen-Orient face à ses principaux rivaux stratégiques, soit la Russie et la Chine.

Roger Jordan

 

Article paru en anglais, WSWS, le 17 janvier 2020



Articles Par : Roger Jordan

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