Les méga-accords de commerce et d’investissement détruisent les marchés locaux

Bulletin de veille des supermarchés d’Asie, no. 3, août 2016

Éditorial : Les méga-accords de commerce et d’investissement détruisent les marchés locaux

La multiplication des accords bilatéraux et multilatéraux en matière de commerce et d’investissement dans la région Asie-Pacifique contribue à mettre en place un système d’approvisionnement mondial pour les détaillants. Mais ces nouveaux accords acordent également aux détaillants étrangers l’accès aux pays-hôtes et facilitent l’intégration verticale en agriculture. Nombre de ces nouveaux accords multilatéraux, tels que le Partenariat transpacifique (TPP) et le Partenariat économique global régional (RCEP), servent les intérêts de l’agrobusiness et des grands détaillants.

L’industrie alimentaire mondiale est extrêmement concentrée : une poignée de grandes entreprises domine les chaînes d’approvisionnement alimentaire, depuis les grandes exploitations en monoculture jusqu’aux supermarchés. Ceci permet aux chaînes de détail d’étrangler les producteurs locaux en se fournissant auprès de centres de production bon marché au prix le plus bas. En revanche, les politiques d’approvisionnement local permettent aux gouvernements d’acheter des produits agricoles aux agriculteurs locaux, offrent des prix garantis et conservent des stocks et des systèmes de distribution, ce qui sert l’intérêt général. Mais dans le cadre des nouveaux accords de libre-échange, ce genre de mesures sera interdit.

L’un des autres dangers présentés par les méga-accords commerciaux comme le TPP et le RCEP est la proposition qu’on y trouve de permettre aux investisseurs étrangers de poursuivre les gouvernements devant les tribunaux internationaux ; c’est ce qu’on appelle le mécanisme de règlement des différends investisseur-État (ISDS en anglais). Les investisseurs peuvent attaquer en justice et réclamer des montants de compensation illimités et des intérêts composés. Si ces propositions sont acceptées, les mécanismes de l’ISDS autoriseraient les investisseurs étrangers à déposer plainte contre les gouvernements-membres du TPP ou du RCEP qui choisiraient de mettre en place des réglementations désavantageant les investisseurs étrangers, en réduisant par exemple leurs bénéfices. Cette mesure s’appliquerait même quand les pays essaient de protéger l’intérêt public, en adoptant par exemple une taxe sur les sodas ou sur le sucre pour améliorer la santé publique (comme l’ont fait récemment le Chili, le Mexique et l’Afrique du Sud, et comme aimeraient le faire les pays d’Asie.)

Ce numéro du bulletin de veille des supermarchés d’Asie met l’accent sur les conséquences des accords de commerce et d’investissement sur les agriculteurs, les pêcheurs et les vendeurs de rue. Nous commençons avec une déclaration de La Vía Campesina sur le commerce, les marchés et le développement, faite à l’occasion de la quatorzième session de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) qui s’est tenue du 17 au 22 juillet 2016 à Nairobi, au Kenya. Nous examinerons ensuite comment la ville vietnamienne de Hanoï a criminalisé les vendeurs de rue, déjà menacés par l’expansion des détaillants étrangers qu’ont entraînée les nouvelles réglementations commerciales. Nous parlerons ensuite de l’expérience d’une organisation thaïlandaise de sécurité sanitaire des aliments qui poursuit le gouvernement thaïlandais pour ne pas avoir réussi à garantir la sécurité sanitaire des fruits et légumes vendus en supermarché.


Déclaration de La Vía Campesina sur le commerce, les marchés et le développement

Sur la planète, plus de 80 % des petits paysans évoluent dans les marchés alimentaires locaux et nationaux et la plupart d’entre eux commercent informellement. C’est dans ces marchés hautement diversifiés que transitent la plus grande partie des aliments consommés dans le monde. Ces marchés fonctionnent à l’intérieur d’espaces territoriaux qui vont du local au transfrontalier au régional et ils se trouvent dans des milieux ruraux, périurbains et urbains.

Ces marchés sont directement liés aux systèmes alimentaires locaux, nationaux et/ou régionaux : leurs aliments sont produits, transformés, échangés et consommés dans un espace donné où la valeur ajoutée y est retenue et partagée, tout en contribuant à la création d’emplois. Ils peuvent fonctionner selon des arrangements structurés ou informels qui offrent une plus grande flexibilité aux petits producteurs ; ils imposent moins de barrières à l’entrée et permettent plus de contrôle sur les prix et les conditions du marché. Ces marchés remplissent de multiples fonctions au-delà de l’échange de marchandises et sont des espaces d’interaction sociale et d’échange de connaissances. Ce sont les marchés les plus importants, notamment pour les femmes paysannes, eu égard à l’inclusion et à l’accès, et ils contribuent grandement à la réalisation de notre droit à l’alimentation et à la nutrition.

Les systèmes de récolte de données ignorent souvent les marchés informels malgré leur grande importance. Ainsi, ces marchés ne sont même pas pris en compte dans les processus de définition des politiques publiques. Puisque la plupart des femmes paysannes vendent leurs produits sur les marchés informels, leur contribution essentielle aux systèmes alimentaires, y compris la distribution d’aliments, et à la croissance économique est largement ignorée au moment d’établir les politiques relatives au commerce et au développement. Et ces femmes sont confrontées à des barrières socio-économiques spécifiques dans l’accès aux ressources et aux opportunités de commercialisation, ce qui les marginalise et viole leurs droits encore plus. Étant donné l’importance de la sécurité alimentaire et des moyens de subsistance des petits paysans, les politiques et les investissements publics devraient être orientés pour renforcer, accroître et protéger les marchés locaux et nationaux approvisionnés par les paysans.

Lire le texte complet de la déclaration… 


Vietnam : Les vendeurs de rue sont bannis des trottoirs de Hanoï

GRAIN

Les vendeurs de rue font  partie intégrante du paysage à Hanoï ; on les rencontre partout dans la ville. Selon une étude de la chambre de Commerce de Hanoï, quelque 5.000 vendeurs de légumes et 9.000 vendeurs de fruits sont présents dans le vieux quartier de la ville. Parmi eux, 93 pour cent sont des femmes et entre 70 et 80 pour cent viennent des provinces avoisinantes.  Ces vendeurs de rue fournissent des services qui ont une vraie valeur pour les habitants, en leur vendant divers produits, depuis les fruits et légumes frais au pho, un plat de pâtes vietnamien typique, prêt à déguster.

En juillet 2008, le gouvernement de la ville de Hanoï a commencé à interdire aux vendeurs de 62 rues d’exercer leur métier. Les autorités prétendaient que cette mesure était nécessaire pour “embellir” la ville, réduire les problèmes de circulation et améliorer la propreté urbaine et l’hygiène alimentaire.  Cette interdiction fait que les vendeurs opèrent dans une semi-légalité et sont soumis à des sanctions. Toutefois le gouvernement de la ville n’a pas réussi à mettre en place d’alternative pour ces vendeurs qui perdent leur emploi, quoique cette vente de rue ait créé d’innombrables emplois et clairement contribué à la stabilité sociale. De plus, un grand nombre d’habitants d’Hanoï dépendent des vendeurs de rues pour leur fournir des aliments de saison.

Il semble donc que cette réglementation soit malavisée et difficile à appliquer. Les vendeurs continuent à travailler, même s’ils sont obligés de s’adapter en étant plus mobiles pour éviter la répression. Cette loi qui interdit la vente de rue fait partie d’une vague de transformations économiques qui sont le résultat du libre-échange et de l’arrivée des chaînes de restauration rapide internationales.  Ce genre de loi est utilisé dans le monde entier contre les petits commerçants, notamment à Lagos, au Nigeria, où il provoque des effets dévastateurs et suscite la résistance de la population.

Version anglaise



Articles Par : Grain

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