«Les mercenaires tirent sur les gens et s’en vont»

Blessé à Bagdad, un Irakien a porté plainte contre la société de sécurité Blackwater

Gravement blessé par des mercenaires de Blackwater à Bagdad en septembre dernier, Hassan Jaber Salman, a porté plainte contre la société privée de sécurité. Cet avocat irakien est venu à Genève apporter son témoignage à l’occasion du Conseil des droits de l’homme. Le 16 septembre 2007, Hassan Jaber Salman était au volant de sa voiture près du square Nisoor, à Bagdad, lorsque les sbires de la société de sécurité privée américaine Blackwater ont ouvert le feu de manière indiscriminée. Résultat: dix-sept civils irakiens morts et de nombreux blessés. Avec onze autres survivants de cet incident, l’avocat a porté plainte aux Etats-Unis contre la société Blackwater. Malgré une santé défaillante, un diabète et des balles encore logées dans le corps, Hassan Jaber Salman a fait un voyage exténuant de plus de 30 heures pour venir à Genève témoigner de son histoire devant le Conseil des droits de l’homme, le 4 juin dernier.

Tribune des droits humains: Le rapporteur spécial sur les droits de l’homme et les sociétés transnationales, John Ruggie, était présent lors de votre témoignage. Vous a-t-il parlé?

Hassan Jaber Salman: Oui, John Ruggie m’a souhaité la bienvenue et après mon discours, il m’a dit qu’en tant que citoyen américain, il s’excusait auprès de moi et de tous les autres qui ont été blessés. Il a également dit qu’il attendait avec impatience le jour où mon histoire sera entendue, que ce soit par le Congrès des Etats-Unis ou par un tribunal américain.

Quel message êtes-vous venus transmettre?

Je suis venu à Genève pour dire au monde ce qui s’est passé pour nous et pour obtenir la vérité sur toutes les violations commises par Blackwater. L’incident à Nisoor Square n’était pas isolé. Mon fils de 24 ans a également été grièvement blessé en 2005, alors qu’il était au volant de son minibus, sur la route de l’aéroport, derrière des jeeps militaires avec des Américains en armes. Nous ne savons pas avec certitude s’ils appartenaient à l’entreprise Blackwater.
Ils ont commencé à tirer sur lui sans raison, alors qu’il était au volant de son bus. Il a reçu deux balles dans la poitrine et, lors de l’opération chirurgicale, on lui a retiré deux côtes. Mon fils a encore besoin de plusieurs opérations. Mais il ne peut obtenir ce type de traitements en Irak.
Aucune explication n’a été donnée par les autorités américaines. C’est ainsi que ces sociétés de sécurité opèrent: ils tirent sur les gens et s’en vont.

Mais la première tâche de ces entreprises n’est-elle pas de protéger leurs clients?

Je suis d’accord. Sauf si en protégeant vos clients, vous tuez dix autres personnes. Ces entreprises sont en train de créer plus de problèmes en Irak qu’ils n’en résolvent. Car ils ne rendent pas le pays plus sûr pour les Irakiens. Ils le font uniquement pour les diplomates américains.
Ils ne se soucient pas si des Irakiens sont tués dans le cadre de leur mission. Parce que je suis avocat, j’ai entendu parler de nombreux cas de ce type. Nous discutons de ce problème avec mes collègues presque tous les jours, parce que de nombreux incidents sont commis par ces agents de sécurité.

Vous êtes entré en contact avec le Centre pour les droits constitutionnels à New York, pourquoi?

Je ne suis pas le seul cas soumis aux tribunaux américains à l’encontre des sociétés de sécurité travaillant en Irak. Les entre­prises privées impliquées à Abou Ghraib font déjà l’objet d’actions en justice. Ce qui m’a encouragé à le faire moi-même. Je suis honoré d’être le client d’un avocat américain, parce que je crois que la justice américaine est juste, équitable et indépendante

Comment pouvez-vous tellement faire confiance dans la justice des Etats-Unis, alors que vous avez été si maltraités par des Américains travaillant pour Washington?

Il n’y a pas un seul Irakien qui aime l’armée américaine. Mais les Irakiens font la distinction entre les citoyens américains et l’armée américaine. J’ai rencontré beaucoup de bons Américains en Irak qui m’ont présenté des excuses pour ce que leur armée est en train de faire. Nous pensons que les forces américaines devraient partir dès que possible, parce que l’armée américaine et les forces de la coalition ne sont plus les bienvenues dans notre pays. Et ce en raison de leur mauvaise attitude à l’égard du peuple irakien.

Quel est votre état de santé?

Je continue de souffrir. J’ai des balles et des éclats d’obus dans mon corps. Or, il n’y a pas d’hôpitaux en Irak qui peuvent me soigner. La plupart de nos médecins ont quitté le pays. J’ai maintenant le diabète. Je dois donc prendre des médicaments tous les jours. Ce qui est difficile à trouver en Irak. Malgré mon état, je continue de m’investir professionnellement et à travailler pour aider les autres.

Qu’en est-il des hôpitaux dans la zone verte? Ils sont censés être très bons.

Oui, mais je ne peux pas y aller sans autorisation. Trois fois, j’ai reçu la promesse des Américains de pouvoir m’y rendre. Mais j’attends toujours. Mon fils souffre plus que moi [il s’arrête pour essuyer des larmes]. Il a désespérément besoin d’être opéré. Mais nous ne savons pas quelle agence de sécurité a tiré sur lui.

Dans quel état sont les autres personnes blessées avec vous par Blackwater?

Ils ont tous de mauvaises blessures avec des balles dans leurs épaules, dans l’estomac. Un homme a perdu ses deux jambes. Il y avait aussi des enfants. L’un d’eux a été tué. Il avait 10 ans. C’est pour eux que je suis venu témoigner à Genève.    

Source: INFOSUD / Tribune des Droits humains du 8/6/08; Propos recueillis par Pamela Taylor.

La plainte contre Blackwater

La plainte civile intentée par le Centre pour les droits constitutionnels a été déposée dans le District de Colombie ­contre Blackwater Lodge and Training.
Selon cette plainte, Blackwater aurait violé la loi américaine et «créé et encouragé une culture de l’anarchie parmi ses employés, en les encourageant à agir pour les intérêts financiers de la société au détriment de la vie humaine.»
La plainte affirme également que Blackwater déploie régulièrement des tireurs lourdement armés dans les rues de Bagdad en sachant qu’au moins 25% d’entre eux utilisaient des stéroïdes ou autres substances altérant le jugement.

Voir en ligne: The Center for Constitutional Rights (en anglais)

Albert Stahel critique la décision de la justice militaire suisse concernant Blackwater

La justice militaire a mis fin aux poursuites contre un Suisse qui avait travaillé quatre mois en Irak pour la société de sécurité américaine Black­water.
Cette décision pourrait avoir des conséquences fâcheuses, déplore ­Albert Stahel, expert en stratégie de l’Académie militaire de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich: «Cette décision revient à donner carte blanche à Black­water pour le recrutement de mercenaires et elle encourage également d’autres organisations, qui ont éventuellement leur siège en Suisse, à aller travailler en Irak, ce qui révèle une réelle faille de la Loi militaire.» Albert Stahel demande une adaptation de la législation et plus de transparence vis-à-vis de ces sociétés. Pour lui, il va de soi que Blackwater est au service des Etats-Unis.

Source: Radio DRS 1, Heute Morgen du 8/7/08



Articles Par : Pamela Taylor

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