Les minarets et la démocratie

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La Suisse a voté pour l’interdiction des minarets. Photo : Agence France-Presse

C’est parti ! L’éternel débat sur la religion et la démocratie est relancée. Le 29 novembre 2009 un référendum en Suisse a décidé : sur le territoire suisse – pas de minarets. Le peuple a parlé et la décision de la majorité (plus de 57%) doit être respectée. C’est la loi de la démocratie, la loi de la souveraineté du peuple. On ne cesse de l’évoquer dans les médias occidentaux et de le rappeler surtout aux pays non-occidentaux.

Mais que faire si le peuple vote autrement que ne le souhaite la minorité qui se considère comme détentrice de la vérité ? Eh bien, il faut l’obliger à corriger sa volonté. Comme le peuple n’est, au dire d’un haut fonctionnaire d’antan, qu’un troupeau sans queue que chaque démagogue peut manipuler, son encadrement s’avère nécessaire. Car, ne l’oublions pas : même Hitler avait adhéré au pouvoir par le biais des urnes. N’est-ce pas la preuve que le bon peuple est apte de se laisser séduire par de dangereux démagogues ? Or, ce n’était pas son dernier pêché.  En Irlande, le 12 juin 2008, il avait osé voter « non » à la Charte européenne. Mais cette fois on a trouvé un moyen efficace pour l’amener à la raison. Bruxelles lui a fait savoir que le référendum sera répété autant de fois jusqu’il voterait comme il faut. Le message a été compris et, la crise financière internationale aidant, le résultat du référendum répété le 2 octobre 2009 était  « oui ». Ainsi l’Union européenne avait été sauvé et le néolibéralisme avec. La démocratie a fonctionné. Certes pas celle du peuple mais celle qui se fait au nom du peuple, par des professionnels lesquels du haut de leur tour d’ivoire croient voir mieux et plus loin que ceux en bas de l’échelle sociale. Enfin, n’est-il pas dit que tout pouvoir vient de Dieu ?

Justement et c’est une raison supplémentaire pour l’encouragement de la construction des établissements religieux. Plus il y en a, mieux c’est. Clochers et minarets, pêle-mêle ? Pourquoi pas ? On ne va pas renoncer à la multi culturalité à cause du paysage ! Enfin, les paysages ont toujours changé au cours de l’Histoire. Les clochers et les minarets ont remplacé les temples de l’Antiquité pour se faire la concurrence, s’alternant dans certaines régions selon la loi du plus fort ou, par force de circonstances, coexistant, comme, par exemple, dans les Balkans. Là, ils s’y côtoient. Quant au paysage, il est loin d’en souffrir. Au contraire, il s’est même embelli à cause de ce métissage. En effet, on peut très bien vivre côté-à-côté pourvu que le pouvoir (religieux ou temporel) ne cultive pas les animosités.

Mais le pouvoir a une autre logique. La religion est un moyen idéal pour la manipulation des esprits. Elle peut les calmer et faciliter aux brebis d’accepter leur destin sans broncher mais aussi les agiter arrivant même à transformer les agneaux en loups. Les religions monothéistes surtout sont passées maîtres dans la matière et cette vocation historique, elles ne cessent d’appliquer. Il n’y a qu’un seul Dieu prétendent les religions monothéistes et, sur ce point, elles sont d’accord. Mais les façons de le vénérer sont différentes. Ceci crée la concurrence e car il faut non seulement gagner l’amour de Dieu mais aussi sauvegarder les âmes et avec elles leur contribution matérielle à l’institution qui les représente et la hiérarchie qui les dirige. Comme c’est à travers le rite que se reconnaissent les adeptes, les tentatives d’une communauté religieuse de pêcher les âmes dans la chasse-gardée de l’autre en propageant le culte sait se muer en agissements tout autres que pacifiques.

En effet, le clash des civilisations, dont la religion est l’émanation, a bel et bien lieu. En autorisant la construction des minarets en plein cœur de l’Europe ne va pas-t-on le renforcer ? Le bon peuple suisse qui ne connaît pas de guerres depuis presque deux siècles, s’alarme. Minarets et clochers côté à côté sa risque d’avoir des conséquences tout autre que réjouissantes. Les fous de Dieu, bien que minorité insignifiante, sont au devant de la scène et avec eux la discrimination non seulement religieuse, mais aussi sexuelle. Les sanctions draconiennes issues du début du Moyen-âge, voire même avant, et que l’on n’hésite pas à appliquer aussi aux enfants, annoncent la déshumanisation spirituelle du monde. Qui peut savoir si le militantisme d’une minorité religieuse ne serait pas suivi bientôt par la majorité des coreligionnaires? L’instinct populaire conseille : Il vaut mieux ne pas laisser entrer le loup dans la bergerie. Donc pas de minarets.

Le peuple a dit et sa volonté doit être respectée. C’est ce qu’exigent toutes les constitutions démocratiques.  Mais comme les temps ont changé, ce n’est pas au peuple der trancher. Ceux qui sont au dessus de lui, soit dans le pays, soit à l’étranger sont d’autre avis. Le principe de la tolérance religieuse, en tant que droit international, a plus de poids. L’ignorer, c’est s’attirer des ennuis, car on ne vit plus isolés dans des patelins alpins mais dans un village global ou la circulation des idées, des marchandises et voire même des personnes sont garantis. Tant pis si dans certains pays du Moyen-Orient on n’est pas tolérant en matière de religion, qu’on écrase les droits humains ou prend en otage des ressortissants (la Suisse en fait justement l’expérience). Il faut faire une fois de plus preuve de miséricorde sinon qui sait que pourrait se passer si à cause de l’attachement de la Suisse à la démocratie, l’interdiction de la construction des minarets sera appliquée ? Les pétrodollars pourraient finir ailleurs que dans les banques helvétiques. Pis, les avoirs existants pourraient être retirés. Même l’approvisionnement de la Suisse en pétrole pourrait être perturbé. Le chef libyen Mouammar el Kadhafi s’en était déjà engagé. On ne touche pas impunément au fiston du roi des rois, des cheikhs et des sultans traditionnels africains à cause de la plainte de servants malmenés. Et puis, si par vote populaire on remettrait les symboles religieux en question, ceci pourrait donner le vent en poupe à ceux qui, dans le monde, veulent interdire la dissémination des mouvements religieux chrétiens ayant leur base financière ou juridique en Amérique et que l’on continue de traiter de sectes. Pourtant certaines d’entre elles prêchent les valeurs de l’enrichissement personnel comme faisant plaisir à Dieu. Il faut croire… en la croissance, surtout en Afrique ou ne croissent que deux  choses – le pillage des matières premières et la pauvreté.

Certainement, le monde, mieux dire la communauté internationale, ne peut pas se laisser ridiculiser par un référendum organisé par des partis de l’extrême-droite suisse. Ceci reviendrait à la légalisation de la xénophobie et porterait atteinte aux principes de la mondialisation. Donc il faut faire le contraire. Au lieu de mettre les minarets au ban, ne serait-il pas mieux de les autoriser ? Et si jamais un conflit entre communautés éclaterait au point de déstabiliser le pays, il y aura toujours des forces (de paix, bien sûr) prêtes à intervenir, même de façon préventive.

Mais pour prévenir la prévention, ne serait-il pas mieux de se prémunir ? Par le biais du dialogue, par exemple. Cette bonne vieille idée est assidûment discutée au sein des forums de tout niveau. Autour de la table ronde des conférences on arrive toujours à s’entendre. Mais en dehors de la salle, ca va mal. Donc, tout est à reprendre. On le fait avec l’endurance de Sisyphe, mais le résultat reste toujours le même. Conférences, campagnes, colloques, workshops, papiers, livres, études, journaux, discours (très beaux), voire des sermons, mais où en est la communication ?

Elle est en court-circuit apparemment. Impossible de dialoguer entre des systèmes de pensées religieux dont les dogmes réduisent la foi à l’application stricte du rite et des traditions. Si pour les hautes sphères les rites sont un outil de manipulation (qu’elles savent très bien adapter aux besoins des circonstances, voire même les sacrifier pour la politique du jour), pour le menu peuple c’était – et ca reste – une question d’identification collective, au souvenir d’un passé idéalisé des temps où il semblait que le monde était encore en ordre. Pourtant toutes les religions (même polythéistes) sont porteuses de messages métaphoriques qu’il faut apprendre à décoder afin de pouvoir saisir leur esprit. Si des efforts seraient fait dans ce sens partout dans le monde les manifestations extérieures des religions reviendraient à leur place, à celle d’une tradition qui unit sans faire pression, qui réjouit parce qu’elle n’entraîne aucune sanction et qui permet la communication avec les autres en s’influençant mutuellement. Dans ce sens, chaque religion peut contribuer à enrichir l’esprit humain et lui permettre de trouver le chemin de son engagement pour l’amélioration de la condition sociale. D’autre part, elle lui tendra l’occasion de parvenir à une évolution spirituelle qui va au-delà des symboles des cultes. Une fois parvenu à ce stade, la question des clochers et des minarets pourrait avoir une toute autre signification, celle de la complémentarité au lieu de la concurrence, celle de la confiance au lieu de la méfiance. Si on avait agi dans ce sens à temps, le référendum sur la question des minarets en Suisse aurait pu avoir une issue différente. Mais comme ceci n’a pas été le cas, il faut, au lieu de désespérer, se mettre au travail afin de parvenir à une ouverture des esprits à tous les niveaux et parmi toutes les cultures et les religions, car sans esprit ouvert pas de dialogue, pas de communication, pas de compréhension mutuelle, pas de solidarité dans la lutte contre l’ennemi commun qui déstabilise la société et pas de résultats de vote populaire qui leur seraient favorables.

Vladislav Marjanović est historien et journaliste à Vienne en Autriche.



Articles Par : Vladislav Marjanović

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