«Les négociations au Proche-Orient n’aboutiront pas»

Entretien avec Julien Salingue.

Alors que les négociations entre Palestiniens, Israéliens et l’émissaire américain pour une reprise du dialogue semblent patiner, Libération.fr a interrogé Julien Salingue, enseignant à l’université Paris 8, sur l’état des discussions.

L'émissaire américain pour le Proche-Orient George Mitchell (g) s'entretient avec le président 

L’émissaire américain pour le Proche-Orient George Mitchell (g) s’entretient avec le président israélien Shimon Peres, le 13 septembre 2009 à Jérusalem (AFP Jim Hollander)

En visite depuis dimanche au Proche-Orient, l’émissaire américain George Mitchell s’efforce d’arracher aux Israéliens et aux Palestiniens un accord permettant une reprise du dialogue, toujours bloqué par le contentieux de la colonisation.

Il bute jusqu’à présent sur le refus israélien d’un arrêt de la colonisation en Cisjordanie occupée, alors que la partie palestinienne maintient l’exigence d’un gel complet des constructions. Ses efforts devraient se poursuivre à New York, où Mahmoud Abbas et Benjamin Netanyahu doivent assister la semaine prochaine à l’Assemblée générale de l’ONU.

Libération.fr a interrogé Julien Salingue, enseignant et doctorant au département de sciences politiques de l’université Paris 8 de Saint-Denis.

Dans ces négociations menées par George Mitchell, quelle est l’attitude des Israéliens et des Palestiniens?

Par rapport au précédent volet de négociations, le nouveau gouvernement israélien a été élu sur un mandat de fermeté. L’Autorité palestinienne, quant à elle, est de plus en plus contestée et critiquée. On se rend compte par exemple que ses forces de sécurité sont aux ordres du général Dayton [le coordinateur américain chargé de la sécurité, ndlr]. L’un des partenaires apparaît donc peu légitime. L’autre est sur une ligne dure, et l’a démontré en multipliant les annonces sur les colonies.

Quelle est la ligne américaine?

Barack Obama est de plus en plus contesté pour des raisons de politique intérieure, à propos de sa réforme du système de santé. Cela l’affaiblit alors qu’il affichait des positions de fermeté vis-à-vis de Netanyahu. Certains membres de son administration, comme Dennis Ross ou Hillary Clinton, sont réputés être pro-israélien. Il est donc peu probable qu’Obama aille au conflit avec eux. Il n’est pas suffisamment solide dans sa politique domestique pour prendre le risque d’être trop exigeant vis-à-vis d’Israël.

Les Etats-Unis auraient-ils un moyen de pression sur Israël?

L’arme financière, puisqu’ils prêtent près de trois milliards de dollars par an. La dernière et seule fois que les Etats-Unis ont menacé de suspendre les aides, cela avait débouché sur la chute du gouvernement israélien et le début du processus d’Oslo.

A quoi peut donc parvenir George Mitchell, l’émissaire américain dans la région?

Il doit obtenir à tout prix une rencontre tripartite sous patronage américain lors de la prochaine Assemblée générale de l’ONU. Néanmoins, le niveau d’exigence du plan Mitchell aujourd’hui est relativement bas. C’est moins ambitieux que ce qu’Obama avait annoncé après son élection. Face la situation en Afghanistan et les faibles chances de retrait en Irak, le président américain doit donner un signe sur le plan de la politique extérieure pour se placer en conformité avec son discours.

Benjamin Netanyahu, le premier ministre israélien, est-il réellement prêt à des concessions?

La question des colonies est utilisée intelligemment par Netanyahu. On a l’impression que la discussion ne porte que sur ça, alors qu’il est en fait prêt à faire un geste, par exemple un gel de la colonisation. Cela apparaîtrait même comme une concession de sa part. Mais l’essentiel n’est pas là. Il ne bougera pas sur Jérusalem, qui restera la capitale une et indivisible d’Israël, de même sur le fait qu’Israël restera l’Etat du peuple juif.

Cette ligne n’est pas contestée en Israël?

Elle est quasiment uniquement discutée à l’intérieur du Likoud, puisque la droite du parti dénonce les futurs compromis. Par ailleurs, on remarque un relatif désintérêt de la population israélienne quant à ces négociations. Tout est fait de mieux en mieux pour qu’elle n’ait plus de contacts avec les Palestiniens. Pour la population, ce statu quo sur le terrain n’est pas désagréable. Il n’y a pas la pression de l’Intifada ou d’attentats suicide tous les trois jours. En fait, les Israéliens sont plus préoccupés par la crise économique.

Comment l’Autorité palestinienne aborde-t-elle ces discussions?

Elle serait prête à aller discuter sur la base d’un gel partiel de la colonisation. Il y a eu une rencontre secrète avec Shimon Peres à ce sujet, et le plan du Premier ministre Fayyad ne formule aucune exigence à ce propos.

Pourquoi cette stratégie?

Les dirigeants de l’Autorité ne sont plus élus depuis un an. Ils ne devraient pas tarder à annoncer les prochaines élections, sous la contrainte. Ils ont donc besoin de démontrer qu’il est utile de voter pour Abbas, que son programme a un contenu. En même temps, Mahmoud Abbas sait que s’il fait trop de concessions, il sera affaibli par rapport au Hamas. Pragmatiquement, les dirigeants palestiniens ont besoin d’avancées économiques, comme un allègement sur le bouclage économique sur la Cisjordanie.

Peut-on espérer de réelles avancées durant ces négociations?

L’annonce de l’ouverture d’un processus menant à un Etat palestinien d’ici deux ans, c’est juste de l’affichage. Sur le terrain, un Etat politiquement viable exigerait un démantèlement des principaux blocs de colonies. Un éventuel Etat palestinien reste donc virtuel. Etant données le peu de pression des Etats-Unis et la composition du gouvernement israélien, penser qu’on peut arriver à un accord, c’est se faire des illusions. Tout accord sera voué à être refusé par la population palestinienne.

Pour moi, le Fatah est en phase de décomposition. Cela peut être un bien car cela peut permettre à des acteurs exclus de la scène politique d’être plus entendus sur la scène internationale. Je pense aux militants associatifs, politiques, d’ONG…

Mais le grand absent, c’est le Hamas. Tout le monde semble considérer que c’est possible d’arriver à une solution négociée en excluant le vainqueur des dernières élections. L’autre absent, c’est la bande de Gaza. A aucun moment, la question de son blocus n’est évoquée. Sur le moyen terme, cette situation fait le jeu du Hamas.



Articles Par : Sylvain Mouillard

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]