Les plans de match nord-américains et la Convention sur le génocide

Les États-Unis et le Canada ont tous deux des lois strictes contre le crime de génocide telles que requises par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l’ONU adoptée en 1948. Toutefois, malgré les menaces continues aux peuples indigènes survivants et le génocide des Irakiens, la Convention n’est pas invoquée et en Amérique du Nord les lois contre le génocide ne sont pas appliquées dans nos propres sociétés [1].

Au Canada, les principes du droit international sont gravés dans la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Le pouvoir accru d’un gouvernement conservateur révèle une faille inhérente au système légal. Le Canada appuie officiellement les lois contre la torture et le génocide avec la réserve suivante : en vertu de cette loi, le consentement du procureur général du Canada est requis afin de déposer des accusations et d’entamer des poursuites judiciaires [2]. En pratique, l’application des lois contre le génocide et la torture nécessitent le même mécanisme. Le consentement du procureur général est requis afin que s’engagent des poursuites pour crimes contre l’humanité et peut l’être pour que des accusations soient déposées contre quiconque n’a pas la citoyenneté canadienne [3].

Dans plusieurs tentatives visant à accuser George W. Bush de torture, un crime de guerre et contre l’humanité en vertu du droit canadien, la loi ne s’est pas appliquée. Lors de la visite de Bush en octobre dernier, le procureur général n’a pas donné la permission d’engager des poursuites. Il serait par ailleurs intervenu dans une accusation portée en vertu du Code criminel [4]. Malgré cette douloureuse évidence on ignore jusqu’où les pays développés iront pour favoriser leurs intérêts en faisant fi des lois. Au canada, les poursuites contre les pires crimes connus de l’humanité sont laissées à la discrétion du gouvernement.

Considérons le génocide au Cambodge, lequel faisait face à une importante famine ainsi qu’à la destruction de sa production alimentaire en raison des campagnes de bombardement des États-Unis. Pol Pot [soutenu par les États-Unis NDLR] y a répondu en sacrifiant des portions de la population qu’il considérait expansible : l’opposition politique, les intellectuels, les citoyens de profession libérale, etc. Le monde entier a reconnu qu’il s’agissait d’un crime terrible et inacceptable. En Amérique du Nord, alors que l’on accorde moins de valeur à des groupes complètement différents, un procureur général appliquerait-il les lois contre le génocide dans des circonstances similaires ou le triage de pans entiers de la population est-il déjà évident dans les statistiques relatives aux Premières nations?

Le procureur général est également le ministre de la Justice, membre du Cabinet du premier ministre et membre du Parlement en tant que représentant de son comté. Sous un gouvernement conservateur, il n’y a pas eu de poursuites en vertu des politiques relatives à la complicité dans la torture (les cas d’Omar Khader et la restitution de prisonniers afghans aux armées afghane et étasunienne). Le fait d’appliquer ou non la loi peut être interprété comme un choix politique.

Les rapports sur le Canada rédigés par des organisations au Comité contre la torture des Nations Unies, lors de la 48e Session le 21 mai, reconnaissent une faille dans la loi. Les présentations par le Center for Constitutional Rights, le Centre canadien pour la justice internationale, Lawyers against the War, la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et Lawyers Rights Watch Canada [5] suggèrent de changer la loi canadienne en ce qui concerne l’application des lois contre la torture. Aucune d’entre elles n’aborde les implications de la Convention sur le génocide, ce qui constitue une étape ultérieure des atrocités.

En accordant au procureur général la discrétion d’appliquer la loi, le gouvernement d’un parti politique au pouvoir peut décider si la Convention sur le génocide existe ou non [6]. Sur le plan philosophique, la loi actuelle devient l’expression d’un groupe qui ne fait rien de mal en ne reconnaissant pas une évidence. La difficulté est qu’historiquement, c’est souvent l’État qui initie le crime de génocide envers un peuple. Il est fréquent qu’un parti politique dans son ensemble amène les électeurs à sanctionner ou commettre des actes criminels. Les dangers sont également présents dans un programme de la presse, des programmes politiques ou des politiques économiques ou de « sécurité ». Ils peuvent tous exprimer l’accord de la majorité et pourtant être criminels.

Les lois contre le génocide sont primaires. Si une majorité souhaite se débarrasser d’une minorité, cela constitue un crime et, bien au-delà de la jurisprudence, un affront à l’humanité. Entre les exigences du droit primaire et le besoin de demeurer au pouvoir d’un parti politique, il y a un gouffre.

La capacité du Canada à éviter l’application de la Convention sur le génocide n’est pas conforme à l’exigence de la Convention voulant que les signataires « mettent en œuvre les dispositions de la présente Convention […] » (Article V). ). Si la décision d’appliquer la Convention est laissée au pouvoir discrétionnaire d’un individu au lieu d’être assurée en vertu de la loi, elle peut constituer une dérogation à la Convention [7].

Le Canada a contrevenu à la Convention sur le génocide particulièrement en rédigeant les moyens de l’appliquer. La lacune pouvant permettre qu’un génocide passe inaperçu aux yeux du droit est utilisée plus ouvertement par les États-Unis.

Les Déclarations et réserves des États-Unis exigent le consentement du pays pour toute affaire relative au génocide impliquant les États-Unis [8]. Cela annule la probabilité que le gouvernement étasunien se poursuive pour ce crime [9]. Dans le Code criminel étasunien, la loi contre le génocide contient sa propre lacune. Dans l’affaire de Bertram Sacks et les autres de Voices in the Wilderness, qui ont contrevenu aux sanctions en amenant des fournitures médicales aux enfants irakiens [10], le juge a conclu que la Convention sur le génocide ne s’appliquait pas en vertu du droit étasunien. En appliquant la section 1092 prévoyant les « recours exclusifs » à la section 1091, la loi sur le génocide, le juge a statué contre l’application de la Convention, plaçant ainsi les États-Unis en violation de l’application efficace des règles de cette dernière. La décision a été largement ignorée des médias nationaux et des autorités académiques.

Depuis 60 ans, les tribunaux étasuniens font abstraction de la Convention sur le génocide. Ils ont refusé d’accepter une défense à la Nuremberg lorsqu’elle a été évoquée par des manifestants antinucléaire ou des campagnes antiguerre. Le procès des activistes antidrone, les « Hancock 38 », constitue une exception. En novembre 2001 un juge de Syracuse NY a renversé une décision et admis les principes de Nuremberg [12], mais a tout de même déclaré les accusés coupables [13].

Les gouvernements étasunien et canadien ne parviennent pas à appliquer la loi à ces crimes inacceptables pour l’humanité. On se retient d’aborder les poursuites pour génocide de la République fédérative socialiste de Yougoslavie contre les pays de l’OTAN, un procès sans issue sur le génocide en Irak ou les accusations de génocide concernant la Palestine, l’Afghanistan ou la Libye. Les gouvernements nord-américains sont toujours incapables d’envisager la destruction des peuples indigènes dans le contexte de la Convention. Les atrocités relatives à la torture sont plus faciles à traiter. Puisque l’on n’acquiert pas d’information valide par la torture, son utilisation première pourrait être de terroriser le plus d’innocents, de civils possible, en les distrayant des crimes bien plus répandus et mettant leur vie en danger.

C’est pour cette raison que la question de l’utilisation de la torture fait surface sous des gouvernements de droite appuyant des intérêts du secteur privé annihilant des peuples entiers. Le manque de respect du Canada conservateur pour les lois contre la torture se voit clairement dans la non-application des lois régissant les droits humains fondamentaux. La « Séance d’information au Comité de l’ONU contre la torture, 48e Session » de Lawyers Against the War (Avocats contre la guerre) démontre nettement comment, lors de la visite de George W. Bush au Canada, les autorités canadiennes ont évité d’appliquer les lois contre la torture incluses dans le Code criminel, dans plusieurs Conventions de Genève et autres traités internationaux. De plus, le gouvernement n’a rien fait pour Omar Khader, reconnu comme victime de torture par la Cour suprême. Par ailleurs, les problèmes du gouvernement conservateur concernant la restitution de prisonniers afghans impliquant un risque de torture ne sont toujours pas résolus.

Le besoin d’éviter la Convention remonte au début de l’histoire des Amériques. Au Canada, bien que les programmes et les pratiques placent les tribus aborigènes dans une relation particulière avec l’État, laquelle les met en danger, la loi contre le génocide n’est pas un outil de justice sociale à leur disposition. Réduite au silence, la Convention n’est pas un outil de prévention ou de protection de l’environnement contre les intérêts des minières ou de l’industrie nucléaire ou toute autre puissance sans respect pour la vie sur les territoires habitables. Le gouvernement a retardé son appui à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones au 12 novembre 2010. Le député Irwin Cottler a noté (Calgary Herald [14]) que le petit budget servant à faire appliquer la loi en vertu des Crimes contre l’humanité et des cimes de guerre n’a pas changé depuis 1998. Le programme politique conservateur réduit graduellement la protection légale des peuples.

Le premier moyen de défense contre le génocide repose sur des communautés saines et puisque les gouvernements représentent l’intérêt du secteur privé, ils maintiennent des économies ne servant qu’une partie de la population. C’est pour cette raison que les intérêts fondamentalement privés visent à diviser les communautés.

Dans les mains des peuples, ce que l’on nomme communément la Convention sur le génocide deviendrait plutôt la Convention contre le génocide.

Article original en anglais :


HUMAN RIGHTS: North American « Game Plans » and the Convention on Genocide
– John Bart Gerald – 2012-05-23

Traduction par Julie Lévesque pour Mondialisation.ca

Notes

1 En novembre 2011 George W. Bush et Tony Blair ont été reconnus coupables de génocide et d’autres crimes contre l’humanité par le Tribunal des crimes de guerre de Kuala Lumpur, un tribunal populaire réuni en Malaisie.

2 “Procedures and Offences” 9. (3, 4).), Crimes Against Humanity and War Crimes Act (S.C. 2000, c.24).

3 Section 7 (7) selon les procureurs de la Couronne, p.10, « The Case of George W. Bush and Canada’s Violation of its obligations under the Convention against Torture » (L’affaire George W. Bush et la violation par le Canada de ses obligations en vertu de la Convention contre la torture), Center for Constitutional Rights and Canadian Centre for International Justice, UN Committee against Torture.

4 “Canada Briefing to the Committee against Torture, 48th Session May 2012: Canada’s failure to bar or prosecute George W. Bush for torture from Lawyers against the War” [ http://www2.ohchr.org/english/bodies/cat/cats48.htm], UN Committee against Torture. “The Case of George W. Bush and Canada’s Violation of its obligations under the Convention against Torture,” Center for Constitutional Rights and Canadian Centre for International Justice, UN Committee against Torture. 

5 United Nations Committee against Torture, 48th Session.

6 Durant l’enquête des crimes du Watergate du président Nixon, le procureur général des États-Unis Elliott Richardson a reçu l’ordre de congédier l’enquêteur en chef Archibald Cox. Richardson a refusé et Nixon a congédié les deux hommes.

7 En signant et en ratifiant la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, le Canada a souscrit à l’Article V lequel stipule : « Les Parties contractantes s’engagent à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la présente Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III. »

8 Reservations #1.

9 J’ai déjà fait cette remarque. “Foreword” by J.B. Gerald, Common Rights & Expectations, UN Texts,  Ottawa, Gerald and Maas, 1996.

1          0  Ref. [ http://www.nightslantern.ca/2011buletin.htm#jan15 ].

1          1  Sacks vs OFAC, USDT, et al   (CO4-108JLR).

1          2  Nightslantern, Nov.8, 2011  [ http://www.nightslantern.ca/2011bulletin.htm#nov8sy ].

1          3  Nightslantern, Dec. 5, 2011  [http://www.nightslantern.ca/2011bulletin.htm#dec5 ].

1          4  “War Criminals aren’t being brought to justice,” Irwin Cottler, May 9, 2012,  The Calgary Herald.



Articles Par : John Bart Gerald

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