Les pourparlers de paix initiés par John Kerry: Parler de paix tout en préparant la guerre ?

Les prétendus « pourparlers de paix » initiés par John Kerry entre Israël et l’Autorité palestinienne sont du cinéma vide de sens qui fait partie d’un stratagème destiné à cacher et à dissimuler les véritables intentions des États-Unis et d’Israël au Moyen Orient. Lorsque le président états-unien Barak Obama s’est rendu en Israël, en mars 2013, les discussions de paix n’étaient même pas une priorité pour son administration.

Il a carrément dit au monde que le soi-disant « processus de paix » ne figurait pas à l’ordre du jour des discussions entre les gouvernements états-unien et israélien. D’où la grande question dans de nombreux esprits : pourquoi les discussions sont-elles devenues tout d’un coup une priorité pour le gouvernement des Etats-Unis ?

L’illusion des « pourparlers de paix »

L’objectif principal du prétendu processus de paix a toujours été de servir de distraction pompeuse. Initialement, les tractations israélo-palestiniennes ont été utilisées pour maintenir à distance le peuple palestinien et les Arabes. Les pourparlers de paix et les négociations ont acquis avec le temps une autre dimension, lorsqu’ils sont devenus un outil commode pour distraire l’opinion publique internationale et l’influencer en présentant Israël comme une entité raisonnable prête à faire des concessions pour la paix et la sécurité.

Sur ce dernier point du concept des « concessions israéliennes » aux Palestiniens, il y a un hic. Les concessions israéliennes n’existent que sur le plan théorique, si tant est que l’on considère comme légitimes les lubies illicites d’Israël. En réalité, il n’y a pas de concessions israéliennes, en particulier quand on évalue le conflit israélo-palestinien à l’aune de la loi internationale. Tel Aviv revendique illégalement la Cisjordanie toute entière, à laquelle il n’a aucun droit légal selon le droit international, comme son propre territoire. Les dirigeants israéliens présentent l’abaissement de leurs revendications territoriales sur la Cisjordanie, qu’ils se sont acharnés à annexer pendant les pourparlers de paix bidon, comme un certain type de concession aux Palestiniens.

Les soi-disant « colonies israéliennes » à Jérusalem Est et en Cisjordanie sont catégoriquement rejetées par les Nations Unies comme étant illégales. Elles sont une violation flagrante du droit international. Les colonies d’Israëlen Cisjordanie ont unanimement été identifiées comme un crime de guerre en vertu du Statut de Rome 1998 de la Cour pénale internationale par tous les juges de la CPI. Les Etats-Unis sont aussi complices, en cela que Washington a empêché que toute action internationale soit lancée contre Israël. Il faut appeler un chat un chat : ces colonies israéliennes en Cisjordanie ne sont rien moins que des colonies israéliennes de peuplement.

Il n’y a pas de concessions israéliennes, seulement des exigences

Il est cocasse d’entendre le Secrétaire d’Etat US John Kerry demander qu’Israël et l’AP fassent des « compromis raisonnables ». Pour dire les choses crûment, ce sont de fait les Palestiniens qui ont fait de véritables compromis et, par dessus tout, ce sont eux qui ont été forcés par le gouvernement US et par Israël à faire progressivement de plus en plus de concessions. En plus de la reconnaissance des à peu près 80% de Palestine qui sont délimités à l’intérieur des frontières 1967 d’Israël par les responsables palestiniens, environ 60% ou plus de l’espace territorial de Cisjordanie est occupé par des colonies israéliennes.

Le mur israélien de « Hafrada » (séparation), ou mur d’apartheid, a séparé Jérusalem Est et les terres les plus importantes d’un point de vue économique de leurs habitants et propriétaires palestiniens. Les Palestiniens ne sont même pas autorisés à gérer leurs propres ressources et leur eau est volée quotidiennement par les Israéliens. Malgré tout, les négociateurs palestiniens corrompus, qui n’ont aucun mandat populaire ou légal pour représenter le peuple palestinien, se sont montrés disposés à reconnaître et à garder en Cisjordanie (sur les meilleures terres) le gros des colonies israéliennes et de renoncer aux droits légaux, reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du peuple palestinien à retourner dans ses foyers occupés.

Israël ne veut pas d’un authentique règlement négocié avec les Palestiniens. Il veut simplement que les Palestiniens soient une sorte de population du « quart-monde ». L’établissement de davantage de colonies en Cisjordanie est devenue une priorité nationale pour le gouvernement de Benjamin Netanyahu. Mis à part l’annexion des meilleures terres de Cisjordanie, Tel Aviv veut dicter ses conditions pour la création d’un « bantoustan palestinien » qui sera constitué de plusieurs enclaves disjointes essentiellement contrôlées par Israël, par procuration, et qui manqueront de réelle légitimité, de réelle indépendance politique et de réelles capacités économiques.

L’Autorité palestinienne obéit aux ordres de Washington et de Tel Aviv

Depuis les Accords d’Oslo, l’occupation de la Cisjordanie n’a été confiée qu’à des collaborateurs palestiniens. L’Autorité palestinienne et son chef, Mahmoud Abbas, n’ont pas de mandat populaire. Il ne fait aucun doute que l’AP en faillite morale et illégitime est fondamentalement un client des Etats-Unis et d’Israël qui régente les Palestiniens pour le compte de Washington et de Tel Aviv. Depuis la victoire électorale du Hamas et la défaite du Fatah en janvier 2006 lors des élections générales palestiniennes, les Etats-Unis et Israël ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour appuyer Mahmoud Abbas et sa faction Fatah à Ramallah, tout en écrasant inversement tout semblant de participation démocratique véritable dans les Territoires palestiniens. Depuis, il n’y a pas eu de nouvelles élections et Abbas dirige par décret, comme un quasi dictateur soutenu par les Etats-Unis, l’Union européenne, Israël et les monarchies arabes dictatoriales. Et il a annulé les élections présidentielles et parlementaires.

Il ne faut se faire aucune illusion ; l’AP a choisi de participer aux pourparlers. Tous ses fonds et son autorité viennent des Etats-Unis et d’Israël, sans lesquels elle s’effondre. Lorsque des protestations ont éclaté en Cisjordanie contre l’AP, Abbas a envoyé des émissaires de Ramallah pour voir les responsables états-uniens et israéliens et leur demander de lui envoyer une bouée de sauvetage. Il n’est pas soutenu par le peuple mais par la force brute et l’occupation israélienne. Via la promesse israélienne de libérer plusieurs prisonniers palestiniens détenus depuis des décennies dans les prisons israéliennes, les Etats-Unis et Israël créent même une couverture pour que l’AP justifie son entrée dans des pourparlers de paix fictifs initiés par le Secrétaire d’Etat Kerry.

Le retour de l’ultra-sioniste Martin Indyk

Il suffit d’examiner quel fonctionnaire états-unien supervise les pourparlers pour se faire une idée de la duplicité. L’ultra-sioniste Martin Indyk, ancien lobbyiste en chef à l’AIPAC (American Israël Public Affairs Committee) à qui le Président Clinton a fini par accorder la citoyenneté états-unienne pour qu’il s’occupe de la politique étrangère du pays au Moyen-Orient, fera office de médiateur entre Israël et l’Autorité palestinienne en tant que prétendu envoyé spécial de paix de Washington. Indyk a été lié à chaque tentacule du lobby sioniste à l’intérieur et à l’extérieur des Etats-Unis, du Washington Institute for Near East Policy (WINEP), qui est le bras de l’AIPAC pour la recherche, au Brookings Institution’s Saban Center for Middle East Policy, qui a fortement influencé la politique étrangère du Printemps arabe depuis le Qatar. Selon un discours qu’a donné Indyk, à la première convention de l’ « organisation pro-israélienne » selon les propres termes de J Street, en 2009, il a fait le choix d’émigrer aux États-Unis pour s’assurer que la politique étrangère états-unienne serve les intérêts d’Israël. Indyk fut également ambassadeur des États-Unis en Israël à deux reprises, il fut un architecte de la politique américaine de répression de l’Iraq et de l’Iran, un pom-pom boy et un partisan des guerres d’Israël contre les Palestiniens à Gaza et au Liban. Indyk est maintenant en charge des pourparlers de paix en tant que membre de l’Administration Obama.

Tout aussi peu recommandables qu’Indyk sont les négociateurs israéliens et de l’AP assis à la table avec lui. Du côté israélien, Tsipi Livni, une criminelle de guerre notoire qui a été obligée d’annuler un voyage au Royaume-Uni fin 2009 parce qu’un mandat d’arrêt l’y attendait. Assis à côté d’elle, l’homme de l’AP, que Livni connaît très bien, et qui lui a un jour déclaré qu’il « voterait pour elle » si il était israélien. Cet homme, Saeb Erekat, est quelqu’un qu’aucun Palestinien ne prend au sérieux ni ne respecte. Tout au long de sa carrière, Erekat n’a fait que ramper devant les responsables états-uniens et israéliens ; il a dit que le sénateur John McCain avait un « véritable engagement pour la paix » après que McCain en 2008 a fait savoir qu’il n’en avait rien à faire des Palestiniens ; Erekat a même appelé le Premier ministre Ariel Sharon – l’officiel israélien responsable du massacre de Sabra et Shatila dans les camps de réfugiés palestiniens de Beyrouth – « son ami », et à de nombreuses occasions, il s’est ridiculement confondu en excuses devant les Israéliens parce que les négociations que Tel Aviv elle-même avait saboté n’avaient pas réussi.

Les pourparlers de paix et l’équation régionale

Le calendrier des pourparlers israélo-palestiniens est lié aux plans américains et israéliens de sauvetage de leur statut régional en déclin au Moyen-Orient et leurs alliés. Au plan régional, les événements impliquant l’Egypte, la Syrie, le Qatar et les Frères Musulmans ont en outre eu un grand impact sur les Palestiniens et Israël. Abbas a même fait une visite à Beyrouth au début juillet 2013 pour demander aux réfugiés palestiniens au Liban de rester neutres dans les affrontements ayant lieu en Syrie et au Liban.

Entre temps, dans la Bande de Gaza, l’isolement du Hamas s’est accru. Il a semblé, pendant un temps, que son gouvernement à Gaza allait gagner les faveurs des autres pays arabes au détriment de Mahmoud Abbas et ses laquais à Ramallah. Les événements en Syrie et en Egypte ont cependant nui au Hamas. Bien que ce ne soit pas tout à fait correct, il convient de citer ce qu’a joyeusement dit l’ancien ambassadeur israélien en Egypte, Eli Shaked, au sujet du Hamas alors que les Frères Musulmans étaient évincés en Egypte début juillet 2013 : « Le Hamas a perdu l’Iran, il a perdu la Syrie et il est en train de perdre l’Egypte. Il est beaucoup plus isolé. » Malgré les souffrances des Gazaouis, l’isolement du Hamas a aussi fait plaisir à Abbas et à son régime à Ramallah, qui se sont empressés de féliciter le Général Al-Sisi et l’armée égyptienne pour avoir chassé les Frères Musulmans du pouvoir au Caire. Aujourd’hui, une vague militaire de terreur a commencé contre les Palestiniens en Egypte.

Le très impopulaire Abbas est lui-même confronté à une possible rébellion en Cisjordanie. Une crise politique s’est développée dans son fief tandis que son Autorité palestinienne dégénérée risque l’effondrement avec la montée du chômage, la stagnation économique à la hausse, l’impopularité grandissante et sa répression croissante. Le régime de Ramallah a vu une vague de purges politiques et de démissions de fonctionnaires cherchant à se distancier d’Abbas alors que la situation en Cisjordanie devient des plus catastrophiques.

Parler de paix tout en préparant la guerre ?

Il est ironique que les Etats-Unis et Israël, deux des trois parties impliquées dans les pourparlers de paix, aient menacé d’attaquer la Syrie, le Liban ou l’Iran. Peut-être que l’annonce de la reprise des discussions entre Israël et l’AP a été faite juste au moment où les Etats-Unis et Israël ont fait pression sur l’Union européenne pour désigner comme organisation terroriste la branche militaire du Hezbollah ; non que l’Union européenne ait des relations avec la branche militaire du Hezbollah ou sache quoique ce soit sur elle. La décision de l’Union européenne est clairement une décision politique qui est réellement liée à l’échec américain à imposer un changement de régime en Syrie, où le Hezbollah est intervenu et les forces anti-gouvernementales financées par l’étranger ont été mises en déroute.

D’un point de vue historique, les pourparlers israélo-palestiniens ont toujours eu pour objectif de soulager la pression liée aux plans guerriers américains. Washington et Tel Aviv pourraient envisager un certain type de confrontation avec le Hezbollah ou même avec son protecteur l’Iran. Le piteux état de l’image internationale d’Israël pourrait même se dissiper davantage si une nouvelle confrontation avec le Hezbollah prendrait la forme d’une autre guerre israélienne contre le Liban.

Netanyahou a aussi recommencé à menacer d’attaquer unilatéralement l’Iran, ce qui serait impossible pour Israël sans l’implication des États-Unis. En plus de fournir une couverture pour les colonies israéliennes en Cisjordanie et une pression internationale amoindrie sur Tel Aviv, la reprise des discussions israéliennes avec l’AP pourrait servir à présenter le gouvernement de Netanyahou comme désirant sincèrement la paix avant qu’il ne soit impliqué dans une forme d’aventurisme. En outre, l’étiquette terroriste de l’Union Européenne sur le Hezbollah pourrait être utilisée par les États-Unis et les Israéliens pour justifier une telle confrontation comme faisant partie de la lutte contre le terrorisme.

Quelles que soient les raisons derrière la reprise des négociations futiles entre Tel Aviv et l’AP, le gouvernement des Etats-Unis et Israël ne sont pas intéressés par une solution juste. Ni les discussions, ni les négociations, ni le gouvernement américain, comme négociateur, ne sont sincères. L’administration Obama poursuit simplement ses propres intérêts dans un Moyen-Orient élargi.

Livni, la représentante israélienne aux pourparlers, a donné elle-même le tempo pour l’issue des discussions en déclarant que le peuple ne devrait pas être « optimiste ». Washington et Tel Aviv ne laisseront même pas les Palestiniens créer leur propre pays indépendant en mettant fin à l’occupation israélienne de Jérusalem Est, de la Bande de Gaza et de la Cisjordanie.

Alors que le peuple palestinien sans ressource subit une dépossession territoriale, les pourparlers de paix bidon ne servent qu’à créer un écran de fumée pour que Tel Aviv colonise systématiquement ce qui reste de la patrie palestinienne comme Lebensraum israélien, ou « espace vital ». Il n’y a pas d’autre façon de le formuler.

Mahdi Darius Nazemroaya est sociologue, auteur primé et analyste géopolitique. Cet article, en anglais, est paru initialement sur Rt.com le 9 août 2013.



Articles Par : Mahdi Darius Nazemroaya

A propos :

An award-winning author and geopolitical analyst, Mahdi Darius Nazemroaya is the author of The Globalization of NATO (Clarity Press) and a forthcoming book The War on Libya and the Re-Colonization of Africa. He has also contributed to several other books ranging from cultural critique to international relations. He is a Sociologist and Research Associate at the Centre for Research on Globalization (CRG), a contributor at the Strategic Culture Foundation (SCF), Moscow, and a member of the Scientific Committee of Geopolitica, Italy.

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