Les pratiques racistes et violentes de la police israélienne sont au cœur de l’apartheid
Un rapport d’Amnesty International montre comment la police israélienne protège le suprémacisme juif contre toute contestation de la part de la minorité palestinienne du pays

La police a procédé à des arrestations massives contre l’importante minorité de citoyens palestiniens d’Israël après les manifestations qui ont secoué le pays en mai, dans le contexte de l’attaque israélienne de onze jours contre Gaza. Des agents ont battu des manifestants et les ont dans certains cas torturés au cours de leur détention, a-t-on rapporté. La police n’a pas non plus protégé la minorité palestinienne contre les attaques planifiées des extrémistes juifs d’extrême droiteagissant tels des justiciers.
Tel est le verdict accablant d’un rapport d’Amnesty International publié fin juin. Selon ses conclusions, la police israélienne considère la minorité palestinienne du pays, qui représente un cinquième de la population, comme un ennemi plutôt que comme un groupe de citoyens jouissant du droit de manifester.
Le rapport fait écho à ce que les dirigeants palestiniens en Israël et les groupes locaux de défense des droits de l’homme affirment depuis longtemps : les pratiques de la police à l’égard de la communauté palestinienne en Israël sont par défaut racistes et violentes. Elles reflètent les mêmes valeurs de suprémacisme juif que le traitement brutal infligé par l’armée israélienne aux Palestiniens vivant sous occupation.
Cette image d’une police qui ferme les yeux sur des violences juives planifiées fait écho à des scènes observées au moment des manifestations
Le contraste entre la façon dont la police a réagi aux protestations des citoyens palestiniens et aux déclarations de soutien de leurs dirigeants d’une part, et d’autre part à l’incitation à la violence commise par les dirigeants juifs israéliens ainsi qu’aux réactions violentes de l’extrême droite juive, est en effet frappant.
Plus de 2 150 arrestations ont eu lieu à la suite des violences intercommunautaires du mois de mai. Mais selon les rapports cités par Amnesty, plus de 90 % des personnes arrêtées étaient des Palestiniens – des citoyens d’Israël ou des habitants de Jérusalem-Est occupée.
La plupart d’entre eux sont mis en cause pour des faits sans relation avec des attaques contre des personnes ou des biens, malgré la manière dont leurs manifestations ont été présentées dans une large mesure par la police et les médias israéliens. Les manifestants palestiniens ont plutôt été inculpés pour des infractions telles qu’« outrage ou violence contre des policiers » ou « participation à un rassemblement illégal », des faits liés à la répression policière à laquelle la minorité palestinienne est confrontée.
Une « salle de torture »
Amnesty cite des exemples répétés d’agressions policières non provoquées contre des manifestants pacifiques dans des villes telles que Nazareth et Haïfa. Cette situation contraste avec l’indulgence dont la police continue de faire preuve à l’égard des provocations de l’extrême droite juive, comme la marche organisée le 15 juin dans les quartiers palestiniens de Jérusalem-Est occupée, au cours de laquelle les participants ont scandé « Mort aux Arabes ! » et « Que votre village brûle ! ».
Amnesty a également recueilli des témoignages selon lesquels des policiers israéliens ont battu des détenus ligotés au poste de police de Nazareth, après avoir aménagé ce que le groupe local de défense des droits juridiques Adalah a décritcomme une « salle de torture » improvisée.
Un manifestant à Haïfa semble également avoir été attaché à une chaise et privé de sommeil pendant neuf jours, des techniques de torture bien connues des Palestiniens dans les territoires occupés.
En revanche, la police israélienne a été alertée en temps réel au sujet de messages publiés dans des groupes juifs d’extrême droite faisant état de plans précis visant à ravager des commerces « arabes » et à agresserdes citoyens palestiniens dans la rue. Pourtant, la police a ignoré ces avertissements ou a été lente à réagir. En outre, une enquête menée par Haaretzlaisse entendre que la police s’est ensuite gardée d’utiliser les images filmées pour identifier ces groupes de justiciers juifs et qu’elle a donc procédé à peu d’arrestations.
Cette image d’une police qui ferme les yeux sur des violences juives planifiées fait écho à des scènes observées au moment des manifestations. Sur certaines images, on peut voir des policiers laisser des voyous juifs armés – dont beaucoup ont été transportés en bus depuis des colonies – déambuler librement dans des quartiers palestiniens malgré un couvre-feu dans la ville de Lod. On a même vu des policiers et des juifs d’extrême droite mener ce qui ressemblait à des « opérations » conjointes, lors desquelles la police lançait des grenades paralysantes tandis que les extrémistes juifs jetaient des pierres.
Les responsables politiques juifs qui se sont livrés à des incitations à la violencecontre la minorité palestinienne – de l’ancien président d’Israël Reuven Rivlin au maire de Lod Yair Revivo, en passant par le législateur d’extrême droite Itamar Ben-Gvir –, n’ont pas été inquiétés.
Accusés d’« actes terroristes »
À la place, la police a organisé ce qui s’est apparenté à un raid provocateur et totalement inutile des forces spéciales au domicile d’un dirigeant communautaire palestinien, Kamal al-Khatib, dans le but de l’arrêter. Le dirigeant adjoint de la branche nord du Mouvement islamique a été accusé de soutenir le terrorisme après avoir exprimé sa fierté devant la « solidarité » de la minorité avec la population de Gaza et de Jérusalem-Est occupée.
À la fin du mois de juin, apparemment trop tard pour que cela soit mentionné dans le rapport d’Amnesty, les pratiques racistes de la police israélienne ont pris une nouvelle voie.
Une poignée de citoyens palestiniens soupçonnés d’avoir attaqué des juifs ont été inculpés pour des « actes de terrorisme », dans certains cas sans aucune preuve physique ou ADN les reliant à ces crimes. Dans plusieurs cas, les accusés ont été inculpés sur la base d’aveux formulés à l’issue d’un interrogatoire prolongé effectué par le Shin Bet, un service secret israélien.
Des activistes manifestent contre l’occupation israélienne près de Sheikh Jarrah, le 11 juin 2021 (AFP)
Le système judiciaire israélien traite les violences intercommunautaires comme des actes terroristes lorsque cela implique des citoyens palestiniens et comme des questions ordinaires de maintien de l’ordre – si tant est que les affaires soient traitées – lorsque cela implique des juifs israéliens.
Cette distinction est soulignée par la décision de placer des citoyens palestiniens d’Israël en détention administrative, un procédé qui permet de les emprisonner sans inculpation et d’empêcher les avocats de consulter les prétendues preuves censées accabler leurs clients. Cette mesure draconienne – dont une nouvelle application a été approuvée fin juin par le ministre de la Défense Benny Gantz – est habituellement réservée aux Palestiniens vivant sous l’occupation et non aux citoyens israéliens.
« Régler les comptes »
Dans son rapport, Amnesty a relevé des déclarations publiques de commandants de la police israélienne indiquant que la stratégie actuelle de répression sévère avait réellement pour but de « régler les comptes ». Et c’est en partie vrai.
Il y a près de vingt ans, une enquête publique menée par une commission judiciaire a conclu que la police israélienne traitait les citoyens palestiniens comme « l’ennemi ». Rien n’a changé depuis. La police estime que sa mission principale est de protéger les privilèges de la majorité juive en écrasant et en soumettant la minorité palestinienne en tant que communauté subordonnée au sein d’un État juif autoproclamé.
Il y a près de vingt ans, une enquête publique menée par une commission judiciaire a conclu que la police israélienne traitait les citoyens palestiniens comme « l’ennemi ». Rien n’a changé depuis
La flambée des protestations survenue en mai, qui a pris la police au dépourvu, a été un signe implicite de son échec dans ce rôle. La police a interprété les manifestations comme une humiliation publique à la suite de laquelle sa force de « dissuasion » devait être rétablie de toute urgence.
Les responsables politiques israéliens – notamment le ministre de la Sécurité intérieure de l’époque Amir Ohana – et l’extrême droite juive ont observé les manifestations sous un angle similaire. Ils soutenaient alors que la police était freinée par des subtilités juridiques et qu’il appartenait aux citoyens juifs de prêter main forte à la police en rendant justice eux-mêmes.
Pourtant, le « règlement de comptes » avec la minorité palestinienne porte sur une question distincte. Les observateurs extérieurs tels qu’Amnesty ont tendance à ne remarquer les pratiques policières racistes d’Israël qu’en cas de recours direct à la violence contre des citoyens palestiniens. Mais la discrimination que subit la minorité palestinienne de la part de la police est bien plus vaste.
Depuis des années, la minorité descend massivement dans les rues pour protester non seulement contre la répression violente de la dissidence par la police, mais aussi contre la quasi-absence de maintien de l’ordre au sein de la communauté palestinienne en Israël dans le cadre de la lutte contre la criminalité.
La répression sévère de ces dernières semaines contraste fortement avec l’inaction de la police alors qu’une vague de criminalité balaie les communautés palestiniennes et que chaque année constitue un nouveau record de morts violentes. Des gangs criminels palestiniens et juifs profitent du vide policier dans les villes et villages palestiniens, conscients de leur liberté d’opérer tant que la violence reste « entre Arabes ».
Même pendant les mesures de confinement liées au COVID-19, les chefs communautaires palestiniens ont maintenu la pression avec des opérations escargot de plusieurs dizaines de voitures sur les axes les plus fréquentés d’Israël dans le but d’attirer l’attention sur les priorités racistes d’Israël en matière de maintien de l’ordre.
Ces événements ont été à l’origine d’une autre forme d’humiliation pour la police. Chose inhabituelle, les commandants ont été contraints de se replier et essuyé des critiques et des condamnations incessantes pour leur incapacité à lutter contre la criminalité dans les communautés palestiniennes. Ce problème est même devenu l’un des principaux thèmes abordés par les partis palestiniens lors de la récente salve d’élections en Israël.
Désormais, la police tient sa vengeance. « Vous voulez plus de police ? On va vous en donner. Vous nous en direz des nouvelles ! » : tel semble être le nouveau message envoyé au cours des arrestations de masse.
Un suprémacisme juif
La réalité est que ces deux approches policières à l’égard des citoyens palestiniens – les pratiques violentes contre la dissidence et l’absence de maintien de l’ordre contre la criminalité – prennent racine dans une seule et même idéologie horrible, à savoir le suprémacisme juif.
Ce même suprémacisme a été mis en évidence dans un rapport publié en début d’année par le groupe israélien de défense des droits de l’homme B’Tselem. Ce rapport a établi un précédent dans la communauté des droits de l’homme en identifiant explicitement Israël comme un État d’apartheid qui traite les Palestiniens comme des êtres inférieurs, que ce soit dans les territoires occupés ou en Israël, et les juifs comme des êtres supérieurs, que ce soit en Israël ou dans les colonies illégales.
Le nouveau rapport d’Amnesty est le dernier instantané en date d’une société où tout suit cette logique d’apartheid, y compris le maintien de l’ordre. Cela ne devrait surprendre personne, dans la mesure où l’apartheid est par définition systématique.