Les preuves montent que l’Etat était au courant des préparatifs de l’attentat de Berlin

Anis Amria, le Tunisien de 24 ans qui aurait conduit le camion qui a tué lundi douze personnes et fait 50 blessés sur le marché de Noël de Berlin, été abattu dans la nuit de 22 au 23 décembre par la police à Milan.

Les enquêteurs auraient trouvé ses papiers d’identité, son téléphone portable et ses empreintes digitales à l’intérieur du camion qui a servi à perpétrer l’horrible attentat. L’Etat islamique a publié une vidéo, probablement enregistrée il y a quelques semaines déjà, dans laquelle Amria prête allégeance à l’organisation terroriste et lance un appel à « abattre les infidèles. »

L’événement reste confus, et les circonstances dans lesquelles il s’est déroulé soulèvent de nombreuses questions. A présent, on sait que les services de sécurité savaient parfaitement qu’Amria planifiait des attaques terroristes. Il avait été en prison en Italie, puis arrêté en Allemagne et surveillé pendant plusieurs mois. Les conditions légales pour le détenir étaient réunies, mais les autorités ont refusé de le faire.

De plus, vu comment on se sert de cet événement pour affaiblir la chancelière Angela Merkel et faire virer la politique allemande encore plus à droite, ce serait une erreur que de ne pas envisager une possible implication de sections de l’Etat – si ce n’est en dirigeant l’attentat, alors en créant les conditions permettant à Amria d’agir.

L’Allemagne a une longue tradition de provocations politiques. En 1933, les nazis ont organisé l’incendie du Reichstag, puis déclaré qu’un communiste néerlandais malvoyant était l’unique responsable. Le but était d’écraser le Parti communiste et de faire voter la Loi d’habilitation (Ermächtigungsgesetz) sanctionnant la dictature de Hitler.

Les services secrets ont aussi joué un rôle dans la démission du chancelier Willy Brandt en 1974. Tout en sachant déjà que son conseiller Günter Guillaume était un espion des services secrets de la République démocratique allemande, ils ont permis à Brandt, qui ne se doutait de rien, de prendre ses vacances avec Guillaume afin de le discréditer totalement.

Cet attentat s’est produit sur fond de conflits aigus au sein de la classe dirigeante allemande. Depuis sa brève ouverture des frontières allemande l’année dernière, au plus fort de la crise des réfugiés, on dénonce âprement Merkel, y compris au sein de son propre parti.

Ces forces ont vite réagi à l’attentat en exigeant un changement brutal de politique. Le sang des victimes n’avait pas encore séché que le dirigeant de l’Union chrétienne sociale bavaroise, Horst Seehofer, proclamait que « la politique en matière d’immigration et de sécurité » devait à présent être « repensée et réajustée. »

L’extrême-droite a réagi encore plus agressivement. Le représentant de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), Marcus Pretzell, a écrit sur Twitter : « Ce sont les morts de Merkel ! » Quelques heures à peine après l’attentat, le professeur de droite de l’université Humboldt, Jörg Baberowski, a réclamé la démission du ministre de l’intérieur Thomas de Maizière, un proche de Merkel.

En octobre 2015, le Welt am Sonntag a publié un article intitulé « Les autorités de sécurité attendent impatiemment le feu vert de Merkel », qui fait état d’une « résistance massive » à la politique de Merkel sur les réfugiés parmi les services secrets et le renseignement. Le Welt cite un document qui circulerait dans le milieu du renseignement, et qui insiste qu’il faut stopper les réfugiés à la frontière, même si Merkel ordonne le contraire.

Ce que l’on sait sur l’attaque à l’heure actuelle suggère aussi une implication de l’Etat.

Dans le Süddeutsche Zeitung, Heribert Prantl soulignait vendredi que les services d’immigration, les procureurs et l’appareil judiciaire auraient facilement pu arrêter Amria qui avait tenté de s’armer illégalement, au nez des services secrets et de la police.

Selon Prantl, on aurait pu imposer à Amria de strictes règles de séjour en le classifiant en tant que « danger pour la sécurité », puis l’arrêter s’il n’observait pas ces restrictions. Or, cela n’a pas été fait. Prantl écrit : « Les autorités qui le surveillaient ont-elles assumé les risques qu’il présentait parce qu’elles espéraient obtenir des renseignements en le surveillant ? N’ont-elles rien dit aux autres autorités parce qu’elle voulait garder les informations pour elle-même ? »

Avant l’arrivée d’Amria en Allemagne, il avait fait quatre ans de prison en Sicile pour vol, où de toute évidence il s’est tourné vers l’extrémisme islamique. La police pénitentiaire a envoyé un rapport détaillé sur sa « radicalisation et sa volonté de pratiquer le terrorisme islamiste. »

Amria a toutefois pu échapper à la déportation et partir en Allemagne au milieu de 2015. Selon le Süddeutsche Zeitung, les autorités italiennes n’auraient pas transféré ces données en temps utile au Système d’information européen. Les autorités italiennes contestent ce point.

En Allemagne, Amria a immédiatement rejoint le groupe islamiste du prédicateur Abou Walaa. Selon le Süddeutsche Zeitung, les renseignements allemands avaient placé un mouchard dans ce groupe et connaissaient bien ses activités. Ils savaient que certains de ses membres s’apprêtaient à se battre pour l’Etat islamique ou à commettre des attentats en Allemagne.

Selon un membre des services, Amria a fait partie de ce groupe et participé à des exercices. Il aurait évoqué sans cesse sa volonté de commettre des attentats.

Peu après ce signalement, deux policiers ont stoppé Amria le 30 juillet 2016 pour un contrôle d’identité à Friedrichshafen. En vertu du rejet de sa demande d’asile, Amria devait quitter le territoire et n’était pas autorisé à séjourner en dehors de Rhénanie-du-Nord/Westphalie. Mais la police l’a seulement détenu un jour à Ravensburg avant de le relâcher, sous prétexte qu’elle ne pouvait le déporter faute de documents.

A cette date, le renseignement intérieur savait aussi grâce aux écoutes et à la surveillance des chats Internet qu’Amria planifiait quelque chose de dangereux. Selon la Bayerischer Rundfunk, une mention existait dès mars dernier dans son fichier d’un risques terroristes, selon laquelle Amria cherchait à recruter des gens partout en Allemagne « pour perpétrer avec lui des attaques à motivation islamiste. »

Et pourtant, le procureur fédéral qui avait repris en mars 2016 l’enquête sur le groupe d’Abou Walaa, transféra l’affaire contre Amria aux autorités de Berlin. Les autorités berlinoises ont survillé Amria 24h sur 24, mais en septembre dernier, mystérieusement, cette surveillance a été interrompue.

Bien que sa relation avec le groupe d’Abou Walaa ait été bien documentée, et que les services de sécurité marocains aient averti en septembre et en octobre leurs collègues allemands qu’Amria planifiait un attentat, ces derniers n’ont rien fait.

La réaction des autorités à l’attentat pose davantage de questions. Immédiatement, la police a interpellé un réfugié pakistanais innocent sur la base d’un seul témoignage douteux. On l’a présenté comme étant fortement suspecté, dans l’absence totale de preuves, que ce soit de sang ou de résidus de tir, qui l’auraient relié au crime.

Ce n’est qu’après la publication de rapports par la presse qu’on avait trouvé les papiers d’identité d’Amria dans le camion que les enquêteurs reconnurent que le réfugié était innocent, et qu’ils recherchèrent Amri. Vendredi, suite à une nouvelle inspection du camion, il s’avéra qu’on avait aussi trouvé le téléphone portable d’Amri.

L’explication officielle de la découverte tardive des papiers d’identité est loufoque. Paraît-il qu’il a fallu mener d’autres enquêtes d’abord, avant de pouvoir inspecter la cabine du camion.

Cette histoire est encore décrédibilisée par le tweet de l’un des politiciens d’extrême droite les plus connus d’Allemagne, le fondateur de Pegida, Lutz Bachmann. Deux heures à peine après l’attentat, il écrivait, « Info interne venant de la direction de la police de Berlin : l’auteur (de l’attaque) est un musulman tunisien. »

Si ce n’est pas du pur hasard, ceci prouve que les enquêteurs avaient déjà su plus tôt qui était responsable de l’attentat et que c’était l’extrême droite, en plus, que l’on a informée d’abord.

Les liens étroits qui existent en Allemagne entre les services secrets et l’extrême-droite sont bien documentés. De nombreux éléments laissent croire que les groupes d’extrême-droite et les autorités publiques étaient impliqués dans l’attentat de l’Oktoberfest en 1980. Dans les années 1990 et 2000, le groupe terroriste d’extrême-droite NSU a commis au moins dix meurtres sous le nez des autorités. Dans les deux cas, on mobilisa de considérables ressources et une bonne dose d’énergie criminelle pour dissimuler ces liens.

Le soutien, du moins indirect, par Berlin des milices islamistes en Libye et en Syrie a aussi renforcé les liens entre le gouvernement allemand et ces milices, dont les membres ont souvent pu se déplacer librement entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

Christoph Vandreier

Article original, WSWS, paru le 24 décembre 2016



Articles Par : Christoph Vandreier

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