Les Racines Escamotées de l’Europe

Lettre ouverte au pape Benoît XVI

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Le samedi 24 mars 2007 Benoît XVI a fait un discours particulièrement critique et alarmant, sur la construction européenne, à l’occasion du cinquantième anniversaire des Traités de Rome. Un discours dans lequel il donne suite à son intransigeante volonté de voir mentionnée la référence aux racines chrétiennes de l’Europe dans la nouvelle Constitution.

Le pape commence par préciser que durant ces 50 ans, le continent européen a parcouru un long chemin qui a conduit à la réconciliation des deux poumons, l’Orient et l’Occident, « unis par une histoire commune mais arbitrairement séparés par un rideau d’injustice » !..

Accusant l’Europe d’oublier son identité forgée par le christianisme, de commettre une sorte « d’apostasie », terme particulièrement dur de la part d’un pape, « apostasie de soi-même, plus encore que de Dieu », il se lance dans une énumération de mises en garde révélatrices, signalant : le déclin démographique ; l’acheminement sur une voie qui pourra porter l’Europe à disparaître de l’histoire ; le processus même de l’unification, qui n’est plus partagé par tous ; les chapitres du projet européen écrits sans tenir compte de l’attente des citoyens ; la maison européenne qui ne peut être construite si l’on oublie l’identité propre du continent ; soulignant l’identité historique et morale avant d’être géographique, économique ou politique ; une identité constituée par un ensemble de valeurs universelles que le christianisme a contribué à forger, acquérant ainsi un rôle historique et fondateur dans les débats de l’Europe . Ces valeurs, constituant l’âme du continent, doivent rester dans l’Europe du troisième millénaire, précise-t-il , puis critique le pragmatisme qui finit par nier aux chrétiens le droit même d’intervenir comme tels dans le débats public ; insiste sur la sauvegarde, dans l’espace européen, du droit à l’objection de conscience, chaque fois que les droits humains fondamentaux seront violés et, pour terminer, met en garde de la mentalité « d’être assiégé, d’être une minorité » !

Autrement dit : en reniant sa chrétienté, l’Europe commettrait un péché mortel. D’un autre côté, encore plus de moyens pour cerner la présence de l’Islam et des musulmans en Europe…

A la suite du discours : un message pour Berlin, dans lequel les évêques demandent, précisément, une référence explicite à l’héritage chrétien du continent, car « l’Eglise catholique doit accompagner, sur un mode critique parfois, la construction européenne ». Un message de Mgr Dominique Mambarti, accuse le Parlement européen « d’attaques contre l’Eglise ». Même tonalité exprimée par Romano Prodi, qui a confié qu’il regrette lui-même l’absence de référence aux racines chrétiennes européennes, en précisant que : « Ce qui me préoccupe le plus dans la défense sereine et tranquille de nos propres valeurs est la mentalité d’être assiégé, d’être une minorité, que je vois également dans le monde chrétien »… De son coté, Angéla Merkel, protestante et fille de pasteur, promet de rouvrir le débat sur ce sujet afin qu’il soit fait mention des racines chrétiennes de l’Europe dans le projet de la nouvelle Constitution, – ce que la France et la Hollande avaient déjà refusé.

Nul besoin de faire une analyse de texte pour voir l’étendu d’une inébranlable volonté, concertée d’ailleurs, pour imposer la mention de l’identité chrétienne et éloigner l’apport de l’Islam. Nul besoin d’être exégète pour voir à quel point toutes ces données s’éloignent de la vérité historique, ou pour placer ce discours dans l’ensemble de cette lignée de textes et d’attitudes au cours desquels Benoît XVI, tout comme son prédécesseur, insiste à éradiquer l’Islam et la civilisation islamique de l’Europe ! Ce qui représente d’ailleurs une mise en pratique des décrets de Vatican II, qui imposa l’évangélisation du monde !

Avec tout le respect dû aux connaissances théologiques et culturelles du pape, ou au poste qu’il occupe, je me permets de dire, en tant que musulmane et professeur de civilisation française, qu’il se trompe historiquement, scientifiquement et spirituellement. Car l’Europe, ou plutôt tout l’Occident dans son ensemble, a été édifié non seulement sur l’apport indéniable de l’Islam, mais aussi sur la diversité d’autres cultures.

Il est manifestement reconnu, par tous ceux qui tiennent à la probité scientifique de la documentation historique, que la tradition musulmane a profondément contribué à l’émergence de l’Europe et de l’Occident. C’est grâce aux penseurs arabes que l’Europe a connu le rationalisme auquel le pape a consacré sa conférence de Ratisbonne. Conférence au cours de laquelle il a rappelé à ses auditeurs leur identité chrétienne, en passant carrément à la tradition rationaliste grecque, pour déclarer que l’identité européenne est chrétienne par la foi, grecque par la raison philosophique, sans oublier de souligner que l’Islam, qui ignore la raison, est étranger à l’identité européenne ! Est-il besoin de rappeler à sa sainteté que le premier mot de la Révélation du Qur’âne est l’impératif du verbe lire ?! L’Islam incite à la lecture, à l’étude, à la connaissance, à faire fonction de la raison et n’incite point à l’obscurantisme ?

On ne peut s’empêcher de voir dans tous ces textes, et surtout dans ce discours, un message alarmant et périlleux à la fois, un message qui porte atteinte à l’approche historique et à la définition de l’identité européenne. Le choix des termes est profondément révélateur d’une intention prête à tout, pour s’imposer, prête à tout, pour exclure l’Islam du patrimoine européen!

Du point de vue historique, il serait peut-être utile de citer l’Historien Dozy, qui écrit dans son Histoire des musulmans d’Espagne, en 1860, une description profonde des évènements :

« La conquête arabe fut un bien pour l’Espagne : elle produisit une importante révolution sociale, elle fit disparaître une grande partie des maux sous lesquels le pays gémissait depuis des siècles (…) Les Arabes gouvernaient selon la méthode suivante : les impôts étaient tout à fait réduits par rapport à ceux des gouvernements précédents. Les arabes enlevèrent aux riches la terre (qui, partagée en immenses domaines de la chevalerie, était cultivée par des fermiers serfs ou des esclaves mécontents), et la répartirent également entre ceux qui travaillaient le sol. Les nouveaux propriétaires en obtinrent de meilleures récoltes. Le commerce fut libéré des limitations et des lourdes taxes qui l’écrasaient, et se développa notablement. Le Coran autorisait les esclaves à se racheter moyennant un dédommagement équitable et cela mit en jeu de nouvelles énergies. Toutes ces mesures provoquaient un état de bien-être général qui fut la cause du bon accueil fait au début de la domination arabe. » (t. II, p. 43).

A quoi il serait intéressant d’ajouter une citation du grand écrivain espagnol, Blasco Ibanez (1867-1928), qui porte témoignage pour son propre pays :

« En Espagne, la régénération n’est pas venue du Nord, avec les hordes barbares : elle est venue du Midi avec les Arabes conquérants (…). C’était une expédition civilisatrice beaucoup plus qu’une conquête (…). Par là s’introduisait chez nous cette culture, jeune, robuste, alerte, aux progrès étonnamment rapides, qui, à peine née, triomphait ; cette civilisation qui, créée par l’enthousiasme du Prophète, s’était assimilé le meilleur du judaïsme et la science byzantine, et qui, au surplus, apportait avec elle la grande tradition hindoue, les reliques de la Perse, et beaucoup de choses empruntées à la Chine mystérieuse. C’était l’Orient pénétrant en Europe, non comme les Darius et les Xerxès, par la Grèce qui les repoussait afin de sauver sa liberté, mais par l’autre extrémité, par l’Espagne, qui, esclave de rois théologiens et d’évêques belliqueux, recevait à bras ouverts ses envahisseurs. En deux années, ceux-ci s’emparèrent de ce que l’on mit sept siècles à leur reprendre. Ce n’était pas une invasion qui s’imposait par les armes, c’était une société nouvelle qui poussait de tous côtés ses vigoureuses racines. Le principe de la liberté de conscience, pierre angulaire sur laquelle repose la vraie grandeur des nations, leur était cher. Dans les villes où ils étaient les maître, ils acceptaient l’église du chrétien et la synagogue du juif. »

Et d’ajouter un peu plus loin :

« Du VIIIe au XVe siècles, se construira et se développera la plus belle et la plus opulente civilisation qu’il y ait eu en Europe durant le Moyen Age. Tandis que les peuples du Nord se décimaient par des guerres religieuses et se comportaient en tribus barbares, la population de l’Espagne s’élevait à plus de trente millions d’habitants, et dans cette multitude d’hommes se confondaient et s’agitaient toutes les races et toutes les croyances, avec une variété infinie d’où résultaient les plus puissantes pulsations sociales (…). Dans ce fécond amalgame de peuples et de races coexistaient toutes les idées, toutes les coutumes, toutes les découvertes accomplies jusqu’alors sur terre, tous les arts, toutes les sciences, toutes les industries, toutes les inventions, toutes les disciplines anciennes; et du choc de ces éléments divers jaillissaient de nouvelles découvertes et de nouvelles énergies créatrices. La soie, le coton, le café, le citron, l’orange, la grenade arrivaient de l’Orient avec ces étrangers, comme aussi les tapis, les tissus, les métaux damasquinés et la poudre. Avec eux encore la numération décimale, l’algèbre, l’alchimie, la chimie, la médecine, la cosmologie et la poésie rimée. Les philosophes grecs, près de disparaître, trouvaient le salut en suivant l’Arabe dans ses conquêtes : Aristote régnait à la fameuse université de Cordoue… (Dans l’ombre de la cathédrale, pp. 201-204).

Citation un peu longue, mais combien révélatrice, de la part d’un des plus grands écrivains que l’Espagne ait connu à la fin du XIXe siècle. Citation qui répond à nombre de données amputées ou altérées, que ce soit dans le discours du pape ou ailleurs.

L’Islam, en fait, crée une civilisation nouvelle, ayant comme pivot, l’Unicité de Dieu. Une civilisation où la conception de l’unité, comme acte d’unification dans tous les domaines, permet de renouveler les cultures antérieures. Contrairement à la conception dualiste de la culture grecque, la vision islamique est foncièrement unitaire: le monde sensible n’est jamais séparé ni de l’intelligible ni de Dieu. C’est pourquoi la science prend un caractère expérimental, contrairement au caractère spéculatif chez les grecs. Ce qui permit la création d’une impressionnante quantité de découvertes, en faisant admirablement le lien entre la Science, la Sagesse et la Foi.

Ce qui fait dire à Roger Bacon (1220-1292), franciscain, pionnier de la méthode expérimentale dans les sciences en Europe et surnommé « le Docteur admirable » indique, dans son « Opus majus », qu’il n’hésite pas à copier des pages entières d’Ibn Haytham (latinisé en Alhazen), ou de préciser : « La philosophie est tiré de l’Arabe et aucun Latin ne pourrait comprendre comme il convient les sagesses et les philosophies s’il ne connaissait pas les langues dont elles sont traduites ».

Est-il besoin de répéter ou de souligner une vérité historique, vécue et reconnue ? En fait, L’Europe n’a connu le patrimoine grec que grâce à l’effort gigantesque des musulmans, qui ont traduit et développé tous les domaines de l’héritage grec, et l’héritage grec a été traduit de l’arabe vers le latin. C’est la présence charnière du huit siècles, qu’une attitude peu voyante et nullement reconnaissante, essaye d’escamoter… Mais, « Quelle que soit la façon dont on juge l’influence musulmane, quelques violentes qu’aient été la réaction contre elle et la façon de s’en débarrasser, on ne peut le nier : « l’Europe ne serait pas exactement ce qu’elle est si elle n’avait pas connus l’Islam. Il appartient à son patrimoine », écrit justement Jean-Paul Roux, dans la préface de L’Islam en Europe.

D’un autre côté, en un temps où l’église romaine imposait l’obscurantisme, empêchait ses adeptes de lire, brûlait les livres et incendiait les bibliothèques, ou plus précisément, à une époque où l’Europe ne savait pas lire, les bibliothèques se multipliaient dans tout le monde arabe. La bibliothèque d’Al-Aziz, le calife du Caire, comptait un million six cent mille volumes, dont six mille de mathématiques et dix-huit mille de philosophie. Celle du calife Al-Ma’moun, intitulée « La Maison de la Sagesse », rassemblait un million d’ouvrages, outre une centaine de bibliothèques dans la ville. Pour ne rien dire de l’ancienne bibliothèque d’Alexandrie incendiée par les prêtres de l’église, bien avant l’arrivée de l’Islam. En Iraq, la bibliothèque de Nasser Eddin El-Toussi comprenait quatre cent mille ouvrages. Dans l’Espagne musulmane, la bibliothèque du calife Al-Hakem, à Cordoue, réunissait quatre cent mille volumes. L’Université musulmane de Cordoue, au Xe siècle, a rayonné une des plus belles floraisons de la culture sur trois continents, sous une forme totale, à travers la science, la sagesse et la foi.

Il n’est pas lieu, dans cet article, de mentionner tous les auteurs arabes qui fondèrent cette incomparable civilisation, mais citons à titres d’exemples : Abou Bakr ebn Tofayl (occidentalisé en Abubacer) mort en 1185, médecin et philosophe. Aboul Qasim al-Zahrawi (Abulcasis) mort en 1010, médecin et grand chirurgien. Al-Battani (Albatenius) mort en 929, grand astronome. Abou Ma’shar (Albumasar) mort en 886, considéré comme le plus grand astrologue. Al-Kindi (Alchindus), mort en 873, considéré comme le père de la philosophie. Al-Khawarizmi (Alchoarism) mort en 847, fut le premier musulman à s’occuper d’algèbre. Al-Farghani (Alfraganus), mort en 861, grand astronome. Al-Ghazali (Algazel) mort en 1111, philosophe et théologien. Al-Razi (Rhazès), mort en 865, grand médecin, surnommé « le Galien arabe ». Al-Bytrugi (Alpetragius), mort en 1204, philosophe et astronome. Al-Farabi (Alpharabius), mort en 950, philosophe et musicien, écrivit plusieurs traités sur la théorie mathématique de la musique et des instruments musicaux. Ibn Bagah (Avempace), mort en 1138, médecin et philosophe. Al-Zarqali (Azarkiel) grand astronome d’Espagne, connu pour ses tables astronomiques dites : Tabulae Toletanae. Pour ne rien dire d’Ibn Rushd (Avéroès), mort en 1198, et Ibn Sina (Avicenne), mort en 1037, tout deux grands médecins et philosophes.

Est-il besoin d’ajouter que les œuvres de tous ces philosophes, ces savants et ces hommes de sciences ont été traduits en latins, étaient étudiés en Europe jusqu’au XVIIIe et XIXe siècle, furent à l’origine de la plupart des découvertes et exercèrent une grande influence sur les sciences latines et byzantines ?!

Avant de passer au domaine du spirituel, on ne peut s’empêcher d’attirer l’attention sur cette attitude peu probe de latiniser tous les noms propres musulmans, afin d’éradiquer toute relation de l’Europe avec l’Islam ou de biffer tout ce que l’Europe doit à l’Islam et aux musulmans. N’est-il pas temps de les transcrire phonétiquement comme on les prononce ? N’est-il pas temps de rendre à tous ces savants, qui formèrent une des plus brillante civilisation de l’histoire, fondatrice de l’Europe, leur identité islamique dérobée le long des siècles, à commencer par le nom de Mohammad, distordu en « Mahomet » ? « L’injustice, écrit Ibn Khaldoun dans sa fameuse Moukaddima, détruit la civilisation ».

Il serait peut-être utile de rappeler qu’avant l’arrivée de l’islam, l’Espagne était un pays occupé par les Wisigoths depuis plus de deux siècles. Ils étaient des occupants, qui exploitaient le pays en s’emparant des deux tiers de la terre, et exerçaient une incessante persécution. Le code Justinien définissant la propriété comme « un droit d’user et d’abuser » (jus utendi et abutendi).

Dans le domaine spirituel, signalons qu’en Andalousie, l’opposition entre le monothéisme et le polythéisme était fort antérieure, non seulement à la pénétration de l’Islam, mais aux controverses entre chrétiens trinitaires, divinisant Jésus, et adeptes d’Arius, refusant cette « consubstantialité ». Le Concile de Nicée, en 325, avait divisé les chrétiens, en condamnant Arius, qui refusait la déification de Jésus, comme le sera Nestorius, un siècle plus tard, qui refusait le dogme de la Passion et refusait que la Vierge portât le nom de « Mère de Dieu ». Ces condamnations n’empêchèrent point l’expansion des deux courants, et surtout celle de l’Arianisme, qui se propagea en Europe et continue d’ailleurs jusqu’à nos jours quoiqu’en sourdine; alors que le nestorianisme se propagea en Perse. Il ne serait peut-être pas hors sujet de rappeler que l’arianisme, tenant essentiellement à l’Unicité de Dieu, était la raison pour laquelle Cathares, Bogomiles, Templiers et autres ont été éradiquées de sur la terre !

Il n’est pas question de signaler, ici, le nombre de sectes ou « d’hérésies » qu’a connu le Christianisme primitif durant les premiers siècles. Il suffit de rappeler que Jean Damascène, dans la première moitié du huitième siècle, dans son ouvrage intitulé « De haeresibus », parle de cent hérésies, et traite l’Islam, qu’il place le dernier en nombre, comme une hérésie chrétienne proche d’Arius !

Un siècle plus tard, la « Chronographie de Théophane » apporta à l’Occident des informations au sujet de l’Islam et du prophète Mohammad en particulier : « Par ce texte, écrit Philippe Sénac, l’on apprit qu’en l’année 622 était mort un faux prophète issu de la famille d’Ismaël » (L’Image de l’autre, p. 30)… Monseigneur Duchêne, dans ses études sur la situation des églises au VIIe siècle, cite Michel le Syrien qui apprécie en ces termes la pénétration des musulmans : « … le Dieu des vengeance… voyant la méchanceté des Romains qui, partout où ils dominaient, pillaient cruellement nos églises et nos monastères et nous condamnaient sans pitié, amena du Sud les fils d’Ismaël pour nous délivrer par eux. » (R. Garaudy, L’Islam vivant, p. 15). C’est dans un contexte agité entre sectes et églises, chrétiennes, que l’anglais John Wycliffe (1324-1384) clamait tout haut, ce que beaucoup de chrétiens pensaient tout bas. Classé comme hérétique par l’église, car il refusait les dîmes, les bénéfices ecclésiastiques et les offrandes imposées, soulignait l’inutilité du pape, des évêques et du clergé en général, et trouvait que l’église tout entière était dans l’erreur. « Pour accréditer cette opinion, écrit Philippe Sénac, il élargit le débat en faisant références à d’autres sectes, à l’Islam en particuliers. Nous sommes les Mahomets de l’Occident, affirmait-il, car pour lui rien ne différenciait vraiment l’Islam de l’Eglise européenne. » (L’Image de l’autre, p. 141). Ressemblance qu’il trouvait surtout dans une église qui refuse la déification de Jésus…

Citations que nous relevons pour montrer que durant le Moyen Age, il était partout connu encore, que les musulmans sont les descendants d’Ismaël, le fils aîné d’Abraham… Un nom que l’Eglise a intentionnellement éliminé, non seulement de ses textes, mais surtout dans cette fameuse déclaration intitulée « Nostra Aetate », formulée à Vatican II, que l’ont affiche, tel un mot de passe, chaque fois qu’il est question des relations de l’église avec l’Islam. Lire les travaux de rédaction de ce texte, écrit par le père R. Caspar (pp. 201-236), dans le livre intitulé « L’Eglise et les relations non chrétiennes », révèle à quel point le manque de probité historique était prioritaire pour éloigner toute parenté avec Abraham ou Ismaël, son fils aîné, et tout lien des musulmans avec le monothéisme !

En Espagne, où l’arianisme était en expansion, jusqu’à un siècle et demi après l’arrivée de l’Islam, toutes les polémiques des théologiens chrétiens n’avaient affaire qu’avec l’arianisme. Aucun théologien ne discute de l’Islam qui, à leur avis, ne fait qu’un avec l’arianisme. C’est pourquoi, du point de vue spirituel, face à deux empires en décadence sociale et spirituelle, l’Islam n’apparaît pas comme une religion nouvelle se substituant à une foi antérieure. Il est accueilli avec enthousiasme par des peuples en qui la foi ancienne, le christianisme, et les massacres inouïs commis par ses institutions, cessent de donner une âme à leur vie. L’Islam constitue, pour ces peuples, un réveil religieux qui donne une vie nouvelle à leur religiosité. C’est ce qui explique et justifie, en même temps, pourquoi tous ces différents peuples, de l’Indus jusqu’en Espagne, en passant par tout le Midi de l’Europe, accueillaient les musulmans en libérateurs, en hommes de foi, qui respectent celle des autres et la raniment à la lumière de l’Islam.

Il ne serait donc point superflu de préciser que si le Christianisme a contribué à constituer l’identité européenne, c’est incontestablement grâce à l’apport de l’Islam et des musulmans que cela a pu être réalisé.

En terminant ce bref commentaire au discours de Benoît XVI, je ne peux que lui dire, avec tout le respect qui lui est dû :

Vénérable Père, quand on occupe un poste aussi altissime et absolu que le vôtre, équité exige une probité sans faille : Extirper huit siècles de la présence fondatrice de l’Islam en Europe, veut non seulement dire amputer une tranche essentielle du patrimoine européen, mais contredit la marche de l’Histoire humaine, et contredit même les textes bibliques. Textes qui prouvent encore, en dépit des remaniements tant de fois opérés, la place magistrale d’Ismaël, fils aîné d’Abraham, et son fils Kedar, l’ancêtre du prophète Mohammad. Extirper huit siècles du patrimoine européen veut dire carrément commettre une contrefaçon historique et spirituelle.

Une brève récapitulation de l’histoire biblique démontre que Saraï (Gen.16 : 3) donna sa servante « pour épouse à son mari ». Epouse, et non concubine : un prophète ne commet point d’adultère. L’Alliance, c’est-à-dire la circoncision, eut lieu entre Dieu et Abraham (Gen. 17: 1-27), alors qu’Ismaël avait 13 ans, et fut circoncis, un an avant la naissance d’Isaac. Le droit d’aînesse (Deut. 21: 15-17) accorde au fils aîné une double part de tout ce que le père possède : « Si un homme a deux femmes, l’une qu’il aime et l’autre qu’il n’aime pas, et que la femme aimée et l’autre lui donnent des fils, s’il arrive que l’aîné soit de la femme qu’il n’aime pas, cet homme ne pourra pas, le jour où il attribuera ses biens à ses fils, traiter en aîné le fils de la femme qu’il aime, au détriment du fils de la femme qu’il n’aime pas, l’aîné véritable. Mais il reconnaîtra l’aîné dans le fils de celle-ci, en lui donnant double part de tout ce qu’il possède : car ce fils, prémices de sa vigueur, détient le droit d’aînesse ». La descendance d’Ismaël se trouve en détails (Gen. 25 :12-16), et à la mort d’Abraham (Gen. 25: 9),  » Isaac et Ismaël, ses fils, l’enterrèrent dans la grotte de Makpéla » … L’altération des textes n’est pas la faute des musulmans, à commencer par cette toute dernière citation, où le nom d’Isaac a précédé celui d’Ismaël pour le doter injustement du droit d’aînesse !

Là je me permets d’ajouter : au lieu de continuer à maintenir ce rôle d’annihilation, qui se mène depuis des siècles à l’égard de l’Islam et des musulmans, n’est-il pas plus humain, voire beaucoup plus correcte, du point de vue historique et spirituel, de faire le même geste comme vous, en tant qu’Eglise, avez déjà fait en réhabilitant les juifs du meurtre déicide ? Vous avez déjà pu courageusement surmonter deux mille ans d’animosités, même au détriment des textes sacrés et leurs centaines d’accusations claires et nettes. N’est-il pas temps de faire le même geste conciliateur avec les musulmans, qui ne cessent d’être traqués, rien que parce qu’ils tiennent au vrai monothéisme, tel qu’il a été révélé, et à la transcendante Unicité de Dieu ?!

Si nous faisons table rase de tous les détails, pour voir à vol d’oiseau l’histoire du monothéisme, qu’en ressortira-il ? Il fut d’abord révélé à Moïse, en tant que prophète, puis, quand les juifs dévièrent du droit chemin, tuèrent les prophètes sans juste raison, Jésus, en tant que prophète, a été envoyé aux brebis égarées d’Israël pour les ramener vers le chemin de la droiture, et non pour évangéliser le monde ! Quand les chrétiens dévièrent du droit chemin, en déifiant Jésus, trois siècles après son départ et en formulant des dogmes qu’il n’a point prononcés, Mohammad, en tant que prophète, a été envoyé avec la Révélation du Qur’âne. Un texte qui n’a point subi de modifications, mais qui dénonce toutes sortes de manipulations effectuées dans les deux précédents messages du Monothéisme. Et là réside, hélas, la vraie cause pour laquelle Islam et musulmans ont été mis à l’index.

N’est-il pas temps d’écarter « ce rideau d’injustice arbitrairement imposé », comme vous l’avez fait avec les deux poumons du christianisme, afin de réunir la famille d’Abraham, au lieu de continuer à écarter les enfants d’Ismaël ?! Oui, Vénérable père, nous sommes tous cousins ! Et il vous incombe de les réconcilier sans animosité et sans contrainte… La religion étant pour Dieu, la terre est pour tout le monde, quelle que soit la croyance de ses habitants. Nulle contrainte en la religion, croira qui voudra et mécroira qui voudra, précise le Qur’âne.

Au lieu de cette volonté de fer pour évangéliser le monde, au lieu de présenter l’aide d’une main, à tous ces déshérités du tiers-monde, et imposer baptême et conversion de l’autre, n’est-il pas temps de pratiquer une vraie tolérance ?!

Ce n’est pas en faisant des projections de tous les revers qu’a connus le Christianisme, sur l’Islam et les musulmans, en reformulant faussement l’histoire et la religion, en exterminant les musulmans ou en évangélisant toute la terre que le monde va s’améliorer, mais en pratiquant la Tolérance, l’Equité et le Chemin de la Rectitude. C’est ce qui vous incombe à faire avec un humanisme digne du poste que vous présidez…

Zeinab Abdelaziz est professeur de civilisation française.



Articles Par : Zeinab Abdelaziz

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