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Les ravages des dictatures amies de l’Occident
Par Zehira Houfani Berfas
Mondialisation.ca, 19 décembre 2010
19 décembre 2010
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Les dictatures, c’est connu, ne tolèrent pas la liberté de pensée et d’expression. Et cette liberté, nous le savons aussi, est essentielle à l’évolution des individus et partant des sociétés qu’ils composent. À partir de là, il est aisé de constater que sous la gouverne des dictatures, les individus, au lieu de progresser et s’épanouir dans une citoyenneté valorisante, tournée vers l’avenir, ils sombrent sous l’effet de la peur et de la menace dans une condition de dépendance vis-à-vis de leurs persécuteurs, autrement dit les pouvoirs totalitaires qui les gouvernent, essentiellement à travers un puissant dispositif d’essence répressive. Ce sentiment de peur est inoculé dans les esprits à travers, d’une part, l’omniprésence de la toute puissance du pouvoir dans les médias sous contrôle, et d’autre part, cette perception, pour ne pas dire conviction, qu’ont les gens d’être constamment surveillés par d’invisibles mais impitoyables agents infiltrés dans tous les rouages de la société. À terme, ce processus de pression dont use le pouvoir et qui comprend tout un éventail de mesures répressives, allant de la violence morale à la liquidation physique des individus indociles, finit par user les velléités de résistance chez une société au profit de sa soumission à l’ordre établi, tandis que s’opère progressivement dans l’ensemble du corps social un état d’esprit démissionnaire et, par conséquent, fatal à la cohésion d’une nation.

Le résultat de cette politique répressive et corrompue s’affiche de façon flagrante dans l’état de délabrement de nombreux pays africains et arabes, dont le sous-développement ne concerne pas seulement les infrastructures et autres réalisations d’ordre socio-économique et culturel, mais affecte également les mentalités, continuellement confrontées aux conséquences de la gestion chaotique des gouvernants. Cette confrontation, inégale et omniprésente, mine le potentiel de l’opposition et pousse à la division de ses forces, de même qu’elle favorise la désertion de tout esprit pouvant remettre en cause la légitimité des tenants de la dictature. La stratégie semble avoir réussi jusque-là en Algérie, puisque tous les observateurs s’accordent sur l’absence d’une opposition (intellectuelle et politique) suffisamment crédible et rassembleuse pour renverser la dictature militaire qui écrase le peuple.

Dès lors que ce constat est fait, on s’interroge, et à juste titre, sur l’incapacité des Algériens, à se rebeller massivement contre cette dictature pour se donner un État de droit, d’autant plus que le pays est riche en ressources matérielles et humaines, même si une importante partie a fui le pays pour vivre dans les démocraties occidentales. Du point de vue des citoyens libres, cela paraît incompréhensible que des gens aussi renseignés que les Algériens sur les droits et libertés, et même au fait des moyens de les atteindre, ne résistent pas mieux à l’arbitraire, et acceptent le diktat de la soumission ou de l’exil, que leur impose un pouvoir, non seulement illégitime, mais réputé mondialement pour sa corruption et sa mauvaise gouvernance. Comment admettre, en effet, que des masses de lettrés qui ont usé leurs frocs sur les bancs d’université afin d’apprendre leurs droits d’humains et acquérir les moyens de les défendre, en arrivent à tolérer l’outrage de se laisser opprimer, humilier et dévaliser de ces mêmes droits? Cela va à contre sens de ce qu’un individu doué d’esprit et de raison puisse admettre, et plus encore, à comprendre. À plus forte raison, lorsqu’on voit ces mêmes Algériens exceller à l’étranger, et même se démener diablement (certains d’entre eux) pour se porter au « secours » de la démocratie dans son propre sanctuaire, là où elle est enracinée autant dans la terre que dans l’esprit des gens.

Pour ceux qui connaissent les mécanismes de la dictature, cette machine dévoreuse de la dignité humaine, c’est aussi cela sa grande réussite! Bafouer impunément les valeurs universelles et promouvoir la culture du non-sens où l’arbitraire, l’aberration et l’absurde se partagent le quotidien des gens et finissent par s’imposer comme des normes de fonctionnement de la société. Après quoi, le chaos peut s’installer durablement en s’abreuvant de tout ce qui est négatif chez les gens, haine, méfiance et violence, annihilant tout esprit d’appartenance commune. C’est le pire résultat que peut produire une dictature chez un peuple. J’ai pu avec une grande tristesse mesurer les conséquences désastreuses de cette absence d’appartenance commune à une histoire, à un groupe, à une nation. Il se manifeste par ce reniement de soi que j’ai constaté chez des compatriotes, tout comme j’ai eu à le faire chez des Irakiens rencontrés lors de l’invasion de leur pays par des forces étrangères. Dans les deux cas, la haine du pouvoir est telle que certains sont prêts à pactiser avec le diable pour assouvir leur vengeance envers les persécuteurs, qu’importe le prix à payer, et qui le paiera. Même s’ils n’y gagnent rien à l’échange, l’important pour ces gens, longtemps opprimés, c’est que les responsables sombrent dans l’embrasement général, qu’importe si cet embrasement est l’œuvre d’une puissance étrangère, dont l’intérêt est aux antipodes des leurs.

En tant qu’Algérienne, j’ai plusieurs fois entendu des réflexions blessantes du genre : « beaucoup d’Algériens souhaiteraient que la France revienne en Algérie ».

Tout ce que cette remarque provoque en moi c’est d’abord, l’écoeurement envers ceux des miens qui osent tenir ces propos abominables et qui renient avec une telle désinvolture le douloureux passé de leur peuple soumis à l’esclavage du colonialisme français. C’est tellement indécent d’en arriver là, à magnifier le bourreau des siens, à regretter cette Algérie française où l’Algérienne était « la Fatma » de service, et l’Algérien « le Mohamed » l’homme de peine, voué au bien être des colons. Voilà ce que qu’on veut ressusciter, au lieu d’emprunter leur courage aux peuples qui se sont dressés pour renverser les dictatures et se donner des États de droit comme en Argentine, Chili, Venezuela, etc.  

Ensuite, ma colère se dirige naturellement vers ce pouvoir criminel qui a détruit le tissu social de l’Algérianité en disséminant partout le poison du désamour; ce sentiment qui conduit à haïr ce que nous sommes et à dévaloriser tout ce qui nous représente aux yeux des autres. En fait, on peut dire que le pouvoir algérien a surpassé le colonialisme dans l’œuvre de désintégration de l’estime de soi chez les Algériens.  

Mais malgré ma colère et mon désappointement sur cette question d’appartenance commune, battue en brèche par certains Algériens, je ne puis, cependant, condamner ces millions de jeunes Algériens qui ont froissé la fierté nationale devant les caméras du monde, en célébrant si fort le président français, Jacques Chirac, lors de sa visite en Algérie, notamment en lui criant « on veut des visas pour aller en France! » Les condamner revient à dédouaner les seuls responsables de cette débâcle, à savoir le régime totalitaire qui a vidé ces jeunes, non seulement de leur fierté, mais de tout espoir d’avenir. C’est sa gouvernance maffieuse qui en fait des harragas, quêteurs d’asile chez ceux-là mêmes, que leurs parents avaient combattus pour construire une Algérie libre et démocratique.

Aujourd’hui, si le modèle de gouvernance algérienne est triomphant malgré ses crimes et aberrations, c’est en partie, à cause de la déroute de ses opposants qui ne parviennent pas à se regrouper pour le combattre efficacement. Pourtant, il y a matière pour agir et raison de croire en la victoire du peuple de la Révolution exemplaire contre le colonialisme. Le seul fait d’abuser des lois de l’état d’urgence pour enchaîner un peuple, comme c’est le cas en Algérie, et le priver de ses droits fondamentaux est en soi un crime. Le cautionner l’est aussi. Car, s’il est vrai, qu’il est du devoir des Algériens de se libérer des tyrans qui les gouvernent, il ne faut pas occulter le rôle actif que jouent les grandes puissances dans le maintien des dictatures au mépris du droit des peuples à la démocratie. Il s’agit d’une collusion d’intérêts, dont les victimes se comptent par centaines de millions, notamment en Afrique, connue pour son éventail de dictateurs criminels qui violent droits et constitutions pour rester indéfiniment au pouvoir. Cette collusion est encore plus flagrante dans les pays producteurs de pétrole, entre les despotes locaux et les multinationales intéressées. C’est notamment le cas en Algérie, dont les gouvernants, bien que déclarés parmi les plus répressifs et corrompus de la planète, continuent de jouir du soutien inconditionnel du gouvernement français, en particulier, mais aussi américain et britannique, qui participent ainsi au pillage d’un peuple, qu’ils savent muselé par la terreur et enchaîné par l’état d’urgence.

Aussi, le discours des grandes démocraties sur les droits humains, les principes démocratiques et les autres sornettes, qu’on ne cesse de débiter sur les tribunes des Nations unies, ne trompent plus personnes, car elles n’ont plus le monopole de l’information. Désormais les peuples peuvent communiquer sans l’aval de ceux, qui se sont érigés en mentors, et leur marche solidaire pour le respect des droits n’aura jamais été aussi prometteuse, qu’en cette époque, où l’Internet et les réseaux sociaux, sont en train de changer le monde. N’en déplaise aux tenants de la mondialisation du marché (parrains du capitalisme sauvage) au détriment de l’humain; leur époque semble sur le point d’être révolue. Tout comme les dictatures nationales. Et en Algérie, le message est déjà passé, puisque le mouvement pour le changement démocratique se prépare activement à mettre fin au pouvoir totalitaire qui a détourné la révolution et trône sur le pays depuis un demi-siècle, avec la bénédiction de l’ancienne puissance coloniale.

 
 Zehira Houfani Berfas, écrivaine.

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