Les sauveurs de la «Bible Belt» débarquent en Haïti

Haïti constitue une terre hospitalière pour les «Églises nouvelles».
Photo : Agence Reuters Tomas Bravo
Haïti constitue une terre hospitalière pour les «Églises nouvelles».
Port-au-Prince — Les «mercenaires de la foi» déferlent sur Haïti. «Une armée de la fin des temps, prophétiques, des missionnaires de la pitié», prévient le site Internet de Crisis Response International, ONG de Kansas City, capables de faire la «démonstration de pouvoir du royaume de Dieu». «On va là où Jésus nous appelle», dit l’un d’eux. Beaucoup d’illuminés, médecins ou simples missionnaires, ont visiblement entendu des voix.

«Ils sont venus prospérer sur la misère», déplore l’abbé Pierre-André, de l’église Sainte-Bernadette, à Martissant. Comme à la Quisqueya Christian School (QCS), rue 75, à Delmas. Là, de rutilants 4×4 immatriculés «Pray for America» patientent. Six immenses tentes y sont dressées sur un terrain où déambulent des rednecks au teint crayeux. «On ne reçoit pas de journalistes, je vais vous demander de sortir, vite», dit un «fidèle». QCS se veut un «centre de commandes» d’une multitude de réseaux des «Églises nouvelles». Mieux, assure l’une des ouailles, l’armée américaine elle-même en aurait fait un arrière-camp…

Ils sont partout à Haïti. Des religieux parfois de bonne foi, souvent aux pratiques sectaires. Et qui sermonnent ou évangélisent, opèrent ou baptisent, pullulent et agacent, surtout. «Qui sont-ils? Comment sont-ils venus? Quels comptes rendent-ils?», demande Véronique Ductan, infirmière haïtienne venue de Montréal. Aucun: ils agissent en toute impunité. «C’est le déluge, on n’en a jamais vu autant», raconte un diplomate. Au nom d’un leitmotiv: sauver Haïti. Sauver qui? Les pauvres? L’enseignement à QCS se veut «100 % chrétien» et coûte plus de 2000 $ par an.

Ils ont afflué comme jamais, par des Cesna ou des avions nolisés, sur le tarmac. «Engorgeant l’aéroport tenu par les Américains dès le deuxième jour, et retardant l’arrivée, parfois de 48 heures, de stocks vitaux de médicaments», tempête un médecin haïtien. La plupart débarquent de la «Bible Belt», la ceinture des États religieux américains. On en avait croisé lors de l’ouragan Katrina, prédicateurs de fin du monde sur fond de fiasco d’aide gouvernementale. Ils se sont multipliés comme des petits pains.

Qui connaît Act of Mercy, inconnu au bataillon humanitaire? «On vient de Waco, au Texas, dit Justin Boland. On a débarqué avec des cargos. On est privés, souples, efficaces. On va là où Dieu nous appelle, en Afghanistan s’il le faut.» Mais visiblement, Haïti semble plus hospitalier, même si «l’association» s’est fait refouler de plusieurs hôpitaux par l’ONU… Open Hands, ça ne vous dit rien? «On vient de Colombus, dans l’Ohio, raconte Tim Morris. On a formé des équipes de secours il y a cinq ans, après le tsunami en Indonésie.» Accessoirement, «l’Église» promet de soigner le sida par la nutrition… Terrible dans un pays qui, comme Haïti, a su faire baisser la prévalence du virus de 6 à 2. Rare success story dont on parle peu et qui se retrouve menacée, pas uniquement à cause du séisme.

Et Convoy of Hope, croisé comme tant d’autres? Le «Convoi de l’espoir» se targue d’avoir «distribué 294 296 repas et installé 30 unités de purification d’eau à Haïti». Impossible de le vérifier. Comme l’avoue Bob Swann, pasteur floridien de La Mission Inc., devant l’ambassade américaine: «Je ne sais pas combien on est de missionnaires, je ne sais pas trop ce qu’on fait, mais ça doit être énorme…» Il glisse sa carte: «Quiconque appelle au nom de Dieu sera sauvé, « épître aux Romains », 10:13.»

Les missionnaires du chaos avancent en terrain conquis. Même si le sculpteur Patrick Vilaire relativise: «Ici, on est marron… On prend la bouffe, on tente d’avoir un visa, mais on ne tombe pas dans le panneau.» Voir. Ici, les cybercafés s’appellent «Jésus de Nazareth»; des tap-tap (bus), «Dieu est partout»; des boulangers, «L’Éternel est mon verger»; des morgues, «Fils de Noé». Et, selon les Nations unies, 55 % des 10 millions d’Haïtiens sont catholiques, près de 30 % protestants (15 % de baptistes, 8 % de pentecôtistes, 3 % d’adventistes, 1,5 % et 0,7 % de méthodistes, d’anglicans). Les autres — ou les mêmes — sont animistes et adeptes du vaudou. Aux côtés des évangélistes locaux, telle l’Église Shalom tabernacle de gloire, qui a un soir investi le Champ-de-Mars (où s’entassent 10 000 rescapés), les expatriés multiplient le prosélytisme. Partout.

Dans les camps comme dans les hôtels, où le révérend Lee Butler, de la Floride, directeur général de l’International Fellowship of Chaplains, passe entre deux extrêmes onctions: «Quand on est sur le point de mourir, on ne regarde pas qui vous donne la main ou la bénédiction», dit-il en souriant, à deux pas d’une piscine et de ventilos. Tant pis si son site Internet, qui multiplie les appels aux dons, évoque les conditions extrêmes de travail des bénévoles. Dans les orphelinats, on a ainsi pu croiser sept jeunes Américains d’une Église baptiste, paumés: «On vient sauver des orphelins. On est là depuis une semaine, mais on n’en sait pas plus. Cependant, Fox News, CNN, etc., nous ont adoptés.»

Dans les hôpitaux, des scientologues, cette fois. Plus de 80, tee-shirt jaune, dont une majorité de médecins, venus pour 400 000 $ en jet privé ou avec John Travolta. Avec les amputés, ils expérimentent le «procédé d’assistance par le toucher», histoire de «rétablir la communication avec des parties du corps blessées ou malades». Sur le tarmac de l’ONU, on peut aussi croiser des témoins de Jéhovah. «Moi, je suis né témoin, j’ai arrêté le jour où j’ai découvert la fornication», dit le docteur David, médecin haïtien de l’hôpital adventiste. En sortant, une vieille en charpie brandit une bible, et hurle: «Les derniers temps sont arrivés.»



Articles Par : Global Research

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