Les semences africaines : un trésor menacé

Les lois semencières qui criminalisent les paysannes et les paysans : résistances et luttes (deuxième partie)

Lire la première partie

L’Afrique, seul continent avec l’Asie à connaître à l’heure actuelle la croissance économique, fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions de la part de gouvernements étrangers. Ces derniers y encouragent de nouveaux partenariats public-privé et des programmes de développement visant à privatiser les marchés des semences, soustraire le secteur public de la sélection et transformer les agriculteurs et les agricultrices en commerçants au service de la chaîne mondiale d’approvisionnement de l’industrie agroalimentaire. Les sociétés semencières étrangères et les fondations privées, quant à elles, œuvrent à aider les pays africains à réviser leurs législations afin de rendre le commerce et l’investissement « justes » et « responsables », c’est-à-dire favorables aux intérêts des entreprises. C’est dans ce contexte que les paysans, hommes et femmes, et les groupes de la société civile d’Afrique luttent, au jour le jour, en faveur de nouvelles législations semencières.

Ghana : étudiants et syndicats s’unissent aux paysans pour s’opposer à une loi semencière restrictive

Au Ghana, les étudiants et les syndicats ont rejoint les organisations de petits agriculteurs pour se mobiliser contre un projet de loi sur les droits d’obtenteurs (et la protection des obtentions végétales). Le projet de loi, actuellement en discussion au Parlement, vise à instaurer une législation semencière nationale basée sur l’UPOV 91. Comme cela a été le cas dans de nombreux pays, cette loi est utilisée pour introduire des restrictions légales, applicables à l’utilisation que font les agriculteurs des semences et allant bien au-delà des dispositions, déjà très restrictives, de l’UPOV 91. Le projet de loi stipule, par exemple, que « en l’absence de preuves du contraire », les obtenteurs peuvent être considérés comme étant les détenteurs d’une variété donnée ; ceci ouvre la voie à la biopiraterie et à la confiscation des semences. En outre, selon le projet de loi, les paysans faisant usage d’une variété protégée – en en reproduisant les semences et en les échangeant avec leurs voisins, par exemple – s’exposent à une condamnation pouvant atteindre 2 000 « unités de pénalité » et deux ans d’emprisonnement.

 

Manifestation à Accra, Ghana contre les OGM en avril 2014 (Photo : Food Sovereignty Ghana)
Manifestation à Accra, Ghana contre les OGM en avril 2014 (Photo : Food Sovereignty Ghana)

Depuis 2011, le mouvement incarnant la résistance a rallié un large soutien contre le projet de loi en montrant au citoyen ghanéen lambda que les agriculteurs ne seront pas les seuls touchés. Il affirme que la protection de la propriété que prévoit le projet définit tout bonnement les conditions recherchées par les transnationales pour opérer en Afrique, en donnant la préférence aux cultures commerciales destinées à l’exportation et aux activités d’une poignée d’élites, au lieu de chercher à alimenter la population ghanéenne. Le projet de loi a été décrié par le public comme étant une « loi Monsanto », signifiant par là qu’il privilégie fondamentalement l’agriculture industrielle et commerciale, au détriment du bien-être des paysans. Ceci est explicitement mentionné dans le mémorandum expliquant sa vocation, lequel indique qu’il « vise à améliorer la quantité, la qualité et le coût des aliments, des carburants et des matières premières pour l’industrie ». La volonté d’adopter la loi révèle un engagement clair du gouvernement ghanéen en faveur de la Nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition.

Afin de rallier des soutiens contre ce projet, des brochures ont été rédigées dans le but d’expliquer les répercussions de la loi aux chefs de villages et dirigeants paysans, dans leur langue locale. Le mouvement insiste sur le fait que les semences sont la propriété collective des agriculteurs et qu’elles ne peuvent faire l’objet d’aucune détention privée. Les producteurs ghanéens exigent que des programmes de sélection publics soient mis en place afin de garantir la qualité des semences pour les cultures autochtones telles que le niébé, le manioc, le riz et la noix de coco. De plus, les groupes de paysans et leurs alliés prévoient d’organiser des projets collectifs garantissant l’accès aux semences dans les villages. Ceci permettra aux agriculteurs d’accéder aux variétés ayant disparu au niveau local, mais possiblement encore utilisées par des voisins ou d’autres agriculteurs du pays.

Mali : la privatisation des semences ne marche pas pour les paysans et les paysannes

Il n’y a pas que les organisations telles l’UPOV, travaillant directement pour l’industrie semencière, qui préconisent un renforcement des droits de propriété intellectuelle à travers le monde. Ces dernières sont en effet soutenues par des institutions partageant la même optique, telles la Banque mondiale. En 2008, dans le cadre du Programme de productivité agricole en Afrique de l’Ouest, la Banque mondiale a octroyé au Mali 50 millions de francs CFA (76 000 €) afin de développer et de « protéger » cinquante variétés de cultures. L’objectif était de détourner les paysans des semences traditionnelles, considérées comme « arriérées » et « peu productives », en encourageant la sélection et la production de semences améliorées. L’idée consiste à assurer la protection des semences et à verser les redevances au système de recherche public malien.

 

Les paysannes et les paysans maliens diversifient leurs cultures en collaborant les uns avec les autres dans le cadre de réseaux locaux. Ils ont développé de nouvelles variétés et récupéré des variétés anciennes d’oignons, de laitue, ainsi que des variétés autochtones de légumes, en plus de millets et de sorghos locaux. (Photo : Tineke D’Haese/Oxfam)
Les paysannes et les paysans maliens diversifient leurs cultures en collaborant les uns avec les autres dans le cadre de réseaux locaux. Ils ont développé de nouvelles variétés et récupéré des variétés anciennes d’oignons, de laitue, ainsi que des variétés autochtones de légumes, en plus de millets et de sorghos locaux. (Photo : Tineke D’Haese/Oxfam)

Mais, dans un pays où la vaste majorité des producteurs est composée de paysans qui ont recours à des variétés de semences et des races animales locales, ce type d’initiatives de la part de la Banque mondiale est malvenu. Si, en 2012, le Mali pouvait se targuer de disposer de COV sur cinquante cultures, leur objectif n’était pas pour autant clair. Le gouvernement malien doit payer un montant annuel de 16,5 millions de francs CFA (25 000 €) pour conserver les titres de propriété sur ces semences. Ceci est problématique car les institutions maliennes ne tirent presque aucun revenu de ces cultures. D’une part, le nombre d’entreprises intéressées par la reproduction et la commercialisation des semences s’est avéré insuffisant. D’autre part, la majorité des paysans ne souhaitent pas payer des prix élevés pour des semences exigeant un fort apport d’intrants, comme c’est le cas des hybrides, et qui en plus sont inadaptées à leurs petites fermes, qui, elles, demandent peu d’intrants. De plus, il convient de souligner que, dans certains cas, les titres de protection des obtentions végétales peuvent être considérés comme de la biopiraterie directe, étant donné que les cultures concernées sont clairement des variétés paysannes, portant encore leurs noms locaux (les COV ont été octroyés bien que les critères de distinction, d’homogénéité et de stabilité que doivent remplir les variétés n’aient pas été pleinement respectés). Depuis que les titres de protection des obtentions végétales sont valides dans l’ensemble des 16 États membres de l’OAPI , les agriculteurs, non seulement au Mali, mais dans toute la région, pourraient bien ne plus être autorisés à vendre ou échanger les semences de ces variétés paysannes. S’ils peuvent toujours reproduire ces semences dans leurs champs, ils ne peuvent plus les utiliser que sur leurs fermes. Avec l’adhésion de l’OAPI à l’UPOV, en 2014, leur situation pourrait même empirer.

Dans un même temps, au Mali, de nombreux acteurs œuvrent au renforcement des systèmes semenciers industriels, notamment en favorisant les lois permettant une plus grande participation des entreprises privées à différents aspects de la production et de la commercialisation des semences. Ces actions sont encouragées par des programmes tels l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, elle-même soutenue par la Fondation Bill et Melinda Gates. Les petites entreprises de semences prennent part à ce type d’initiatives, mais, ainsi, leurs actions ne font qu’ouvrir la voie aux grandes multinationales telles que Monsanto, Limagrain ou Syngenta. Pendant ce temps, les producteurs maliens rencontrent de tout autres problèmes. Au lieu de semer du gombo, de l’oignon, du concombre, du chou ou de l’aubergine, pour lesquels ils ne trouvent plus que quelques variétés d’hybrides, ils entendent diversifier les types de cultures dont ils ont besoin sur leurs petites exploitations. En collaborant les uns avec les autres dans le cadre de réseaux locaux, ils ont développé de nouvelles variétés et récupéré des variétés anciennes d’oignons, de laitue, ainsi que des variétés autochtones de légumes, en plus de millets et de sorghos locaux.

Nouvelles lois sur la commercialisation des semences en Afrique : le cas du COMESA

Le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA) englobe 20 pays, de l’Éthiopie à l’Afrique du Sud. En vertu du traité du COMESA, l’ensemble des États membres doivent observer des réglementations communes en matière de commercialisation des semences. Élaborées en 2013, ces réglementations, si elles étaient adoptées, autoriseraient les entreprises à certifier leurs semences dans un État membre et à obtenir automatiquement le droit de les commercialiser dans l’ensemble des États membres du COMESA. Ces règles sont particulièrement utiles pour l’industrie semencière, car elles facilitent la commercialisation des semences dans une grande partie du territoire africain, en supprimant toutes les règles nationales. Un catalogue commun, répertoriant les variétés autorisées pour tous les pays, sera élaboré, et tous les pays adopteront le même système de certification. La loi semencière du COMESA ne prévoit aucune mesure visant à favoriser les variétés paysannes locales.

Le COMESA a également approuvé un projet de lignes directrices en matière d’OGM, ce qui permet de contourner les réglementations nationales relatives aux OGM dans le domaine du commerce, de l’agriculture et de l’aide alimentaire. Comme l’ont dénoncé les organisations paysannes, ces lignes directrices n’émanent pas des États membres du COMESA, mais d’une initiative politique portant sur le domaine des biotechnologies, financée par le gouvernement des États-Unis. Des experts formés par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) en ont dominé la rédaction, tandis que les voix des agriculteurs et des groupes de la société civile n’ont pas été entendues. Par ailleurs, à l’instar des réglementations relatives à la commercialisation des semences, les politiques portant sur les OGM s’appliquent immédiatement à l’ensemble des États membres du COMESA, ce qui affaiblit la capacité des groupes de la société civile à combattre ces lois par l’intermédiaire de leurs gouvernements nationaux, dont nombre disposent à l’heure actuelle de règles relativement strictes ayant jusqu’à présent permis de protéger l’Afrique des OGM.

Mozambique : les paysans résistent en développant des systèmes semenciers locaux

Derrière la nouvelle loi semencière en cours d’élaboration au Mozambique se cache la Nouvelle alliance du G8 pour la sécurité alimentaire et la nutrition, qui cherche à offrir de nouvelles opportunités aux entreprises du secteur de l’agroalimentaire en Afrique. Cet objectif se traduit généralement par la promotion de la production de cultures commerciales répondant à la demande du marché, au lieu de satisfaire les besoins alimentaires de la population. Il passe également par la promotion des semences hybrides, des semences onéreuses exigeant des produits agrochimiques et ne pouvant être utilisées que dans le cadre d’une production destinée aux marchés mondiaux. Bien qu’elles aient demandé à être associées à l’élaboration de ces nouvelles réglementations, les organisations paysannes en ont été régulièrement exclues. Dans d’autres cas, comme par exemple lors de l’élaboration d’une loi sur la protection des obtentions végétales, elles ont interpellé le gouvernement du pays quant à ses conséquences sur les agriculteurs du Mozambique. Et le gouvernement a ignoré leurs suggestions. Les régimes de propriété intellectuelle tels les lois sur la protection des obtentions végétales jouent un rôle important dans la poursuite de l’objectif des géants multinationaux, qui est de garantir l’expansion des OGM en Afrique, une région où l’industrie entend éviter la situation vécue en Amérique latine. Dans cette région, ce n’est qu’après la généralisation des OGM que les sociétés ont tenté d’établir des mesures juridiques régissant la perception des redevances, sans trop de succès. Le Mozambique vient également d’adopter une loi facilitant l’introduction des OGM dans le pays.

Dans ce contexte, les agriculteurs du Mozambique ont opté pour le renforcement de leurs systèmes semenciers paysans. Depuis 2012, ils collaborent avec leurs homologues brésiliens, qui partagent avec eux leur expérience en matière de mise en place de systèmes semenciers (voir l’article sur le Brésil). L’objectif de cette coopération est que les paysans mozambicains apprennent à sélectionner et à multiplier,dans leurs fermes et en grandes quantités, les semences qu’ils jugent importantes. Devant son succès, l’initiative devait être développée avec le soutien des gouvernements brésilien, mozambicain et sud-africain. Mais, lorsque le programme a commencé, seul le gouvernement brésilien a dégagé les fonds et les ressources pour la soutenir.

Tout en développant leurs propres systèmes semenciers, les agriculteurs mozambicains explorent la possibilité de proposer une loi en faveur des systèmes semenciers paysans, dans la lignée de leurs homologues du Zimbabwe.

Niger : la victoire des paysans contre la biopiraterie d’une variété locale d’oignon

Le violet de Galmi est une variété d’oignon très populaire, non seulement au Niger, dont il tient son nom d’un village situé dans le sud-ouest du pays, mais dans toute l’Afrique de l’Ouest. Depuis son arrivée d’Égypte dans la région, il y a plusieurs siècles, cet oignon de couleur rouge violacé est grandement apprécié en raison de son goût piquant et de son excellente capacité de conservation ; il peut en effet être conservé à la chaleur pendant plusieurs mois, sans se détériorer. Dans les années 90, le marché du violet de Galmi a rapidement pris de l’importance, dépassant même les frontières de l’économie locale; il est ainsi devenu le deuxième produit d’exportation du Niger après l’uranium, faisant du pays le premier exportateur d’oignons de la région. Un problème de taille surgirait si quelqu’un venait à revendiquer la propriété de cette variété. Et c’est justement ce qui vient de se passer.

Après avoir gagné sa renommée dans les champs des agriculteurs, l’oignon fit l’objet de nouvelles sélections par des chercheurs publics dans les années 60, puis dans les années 90, par le semencier privé sénégalais, Tropicasem ; cette filière du français Technisem visait, à l’époque, à le convertir en un produit uniquement destiné à l’exportation. En fin de compte, la société déposa une demande de certificat d’obtention végétale auprès de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), revendiquant la propriété de cette variété populaire et obtint des droits de propriété exclusifs dans l’ensemble des États membres de l’OAPI (voir carte). Par ailleurs, à la faveur d’une initiative de la FAO ayant donné lieu à la rédaction d’un catalogue commun pour la commercialisation des semences en Afrique de l’Ouest, Tropicasem obtint l’exclusivité de la commercialisation de l’oignon dans neuf pays différents. Lorsque les paysans nigériens apprirent qu’une entreprise privée avait revendiqué des droits exclusifs sur leur oignon, scandalisés, ils demandèrent au gouvernement d’agir en leur nom face à ce cas de biopiraterie. Dans le conflit qui suivit, l’OAPI retira les droits de propriété sur le violet de Galmi, mais le maintint pour la dénomination « violet de Damani ». Les producteurs d’oignons remportèrent donc une victoire contre une entreprise cherchant à s’arroger un monopole sur l’une de leurs cultures les plus importantes.

Dans un même temps, les producteurs et négociants de la filière commerciale à grande échelle, également affectés, demeuraient soucieux quant aux modalités selon lesquelles ils pouvaient protéger « leur » oignon et déposèrent une demande d’indication géographique (IG), une autre forme de propriété intellectuelle similaire à une marque, à la différence près qu’elle est liée au lieu de production. Ceci signifie donc que, bien que le violet de Galmi soit désormais cultivé dans l’ensemble des régions d’Afrique de l’Ouest, seuls les paysans de la région de Galmi peuvent utiliser ce nom pour la vente. Jusqu’à présent, ceci n’a pas affecté les agriculteurs, car la loi n’est pas strictement appliquée et les grands producteurs d’oignons de Galmi ne cherchent pas à faire appliquer « leur » IG dans les villages environnants. Mais qu’en serait-il s’ils décidaient de le faire ? Depuis 2004, les petits agriculteurs se sont organisés pour débattre de questions de ce type à l’échelle régionale. C’est ainsi que des paysans du Niger, mais aussi du Bénin, du Burkina Faso, de Guinée, du Mali, du Togo, de Guinée-Bissau, de Côte d’Ivoire et du Sénégal se réunissent pour discuter de modalités alternatives de travail conjoint pour l’avenir, dans le but de respecter les droits dont disposent tous les paysans sur leurs cultures, sans empêcher les autres d’utiliser leurs semences.

Lorsque les organisations régionales d’Afrique encouragent le brevetage des semences

Au lieu de prendre à bras-le-corps le lent travail de lobbying à l’intention de chaque pays africain de manière individuelle, le secteur de l’agro-alimentaire a fait campagne auprès des organismes régionaux pour qu’ils adoptent des législations s’appliquant à plusieurs pays à la fois. À l’heure actuelle, deux projets de loi restreignant les droits des paysans sur les semences sont en cours d’examen dans deux régions d’Afrique. Le premier, intitulé « protocole de la SADC », affecterait 15 pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC, de son sigle anglais). Le second est une loi de l’ARIPO sur la protection des obtentions végétales, qui s’appliquerait à 18 pays anglophones membres de l’African Regional Intellectual Property Organisation (ARIPO, de son sigle anglais). En Afrique de l’Ouest, 17 pays, principalement francophones, membres de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (OAPI), disposent déjà d’une loi sur la protection des obtentions végétales se basant sur l’UPOV 91, depuis 2006.

 

Les propositions de l’ARIPO et de la SADC, qui visent à renforcer et à harmoniser les législations semencières, prennent comme modèle l’UPOV 91. Si ces lois étaient adoptées, elles interdiraient aux paysans d’échanger ou de vendre des semences protégées par des COV, même pour de petites quantités et pour une utilisation locale. Dans le cas de la SADC, la seule conservation et réutilisation des semences desdites cultures sur une ferme entraînerait le versement d’une redevance à l’obtenteur. Les agriculteurs vivant dans les États membres de l’ARIPO, quant à eux, seraient également tenus de verser de telles redevances et ne seraient autorisés à conserver et réutiliser leurs semences que pour certaines cultures. Ces lois stipulent également que les semenciers ne seront pas tenus de préciser l’origine des semences enregistrées comme « nouvelles » variétés, ce qui pourrait bien augmenter les cas de biopiraterie.

Alors que de larges coalitions de groupes de la société civile gagnent en puissance dans les sous-régions et à l’échelle de l’Afrique, il est nécessaire de développer des campagnes plus fortes, d’engager un travail de solidarité et de mener des actions pour empêcher que ces projets ne soient adoptés.

Tanzanie : partage des semences paysannes sous une législation criminelle

En 2012, le gouvernement de Tanzanie a adopté une loi sur les obtentions végétales, suivant les engagements pris avec la nouvelle Alliance du G8 (voir encadré). Cette loi va au-delà des exigences de l’UPOV 91. Si les paysans et paysannes utilisent ou échangent les semences protégées sans l’autorisation de l’obtenteur, ils seront jugés selon le droit pénal plutôt que le droit civil. Cela signifie qu’en plus d’amendes, ils seront passibles de peines d’emprisonnement. Mais, cette loi s’appliquant aux semences industrielles et non paysannes, le gouvernement dit aux paysans de ne pas s’inquiéter car elle ne les concerne pas. Cependant, les organisations paysannes répondent que cette loi fait partie d’un plus vaste programme qui va à l’encontre de l’agriculture paysanne et qui est en faveur de la privatisation de leurs ressources, de leurs terres et de leurs semences. Comme les entreprises semencières qui vendent ces variétés protégées gagnent en importance grâce au rôle croissant du modèle de production industrielle, il sera de plus en plus difficile pour les paysans et les paysannes d’éviter l’utilisation des semences industrielles. En ce moment, il y a encore 4,8 millions de paysans et paysannes en Tanzanie – presque cinq mille fois plus que d’agriculteurs industriels – ils représentent donc plus de la moitié de la population du pays.

De surcroît, la législation semencière de 2004 – sur la commercialisation des semences – est en révision sous le prétexte d’approvisionner le marché en « semences de qualité ». Comme dans les autres pays, la qualité des semences pose de réels problèmes : beaucoup vendent du grain en guise de semences qui risquent de ne pas germer ou qui ne sont peut-être même pas sélectionnées. Mais c’est là principalement un problème pour l’industrie dont les parts de marché sont menacées par ces faux vendeurs de semences. Traditionnellement, les paysans et les paysannes gardent leurs semences chez eux ou dans leur village. Quand une personne du village a la capacité de stocker de grandes quantités de semences à partager ou à vendre, on ne craint pas les mauvaises semences car les gens du village se connaissent et ils savent d’où viennent les semences. Pourtant, selon les révisions de la législation, c’est ce type de partage et de vente de petites quantités de semences au niveau local qui deviendra illégal, car seules les semences certifiées seront autorisées sur le marché. Selon la législation existante, le gouvernement autorise encore les paysans et paysannes à vendre des semences non certifiées d’une variété connue dans une zone restreinte de 2 ou 3 villages. De plus, un système de certification des semences existe actuellement au niveau du gouvernement. Bien que très bureaucratiques, certaines organisations paysannes et des ONG ont utilisé ce régime alternatif pour réintroduire des variétés trouvées dans des banques de semences et les replanter dans les champs des paysans. Selon les termes de la nouvelle législation, cette option ne sera plus possible.

Les organisations paysannes de Tanzanie travaillent avec les organisations d’autres pays pour contrecarrer les attaques de ces législations. Elles se rassemblent pour travailler non seulement sur la question des semences mais aussi contre la privatisation des ressources paysannes, et spécialement la terre.

Le G8 privatise les semences – et les terres – en Afrique

La Nouvelle Alliance pour la sécurité alimentaire et la nutrition du G8 a été lancée en 2012. Son but est de transformer l’agriculture africaine en stimulant les investissements dans le secteur privé. Dix pays africains y participent (l’Éthiopie, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mozambique, la Tanzanie, le Bénin, le Nigéria, le Malawi et le Sénégal) et près d’un milliard de dollars venant des pays du G8 et des entreprises (dont Yara, Monsanto et Syngenta) a été promis. La condition préalable au versement de ces fonds est que les gouvernements africains modifient leur législation semencière et foncière afin de protéger les investisseurs. Par exemple, le Mozambique s’est vu demander de « cesser systématiquement la distribution de semences gratuites et non améliorées »(ce qui signe la fin des variétés paysannes), et d’approuver une loi sur la protection des obtentions végétales qui « soutienne les investissements du secteur privé dans la production de semences ». De tels changements radicaux sont encouragés dans tous les pays participants. Mais les semences paysannes ne sont pas les seules ciblées. Les terres agricoles sous régime foncier coutumier sont aussi privatisées par le biais de nouveaux règlements sur les titres de propriété et louées aux entreprises participantes. Par exemple, le gouvernement du Malawi s’est engagé à mettre 200 000 hectares de terres arables de qualité supérieure à disposition des principaux investisseurs dès 2015.

 

2. Les semences africaines : un trésor menacé

3. Amériques : la résistance massive contre les lois Monsanto

4. Asie : la lutte contre une nouvelle vague de semences industrielles

5. Europe: les paysans s’efforcent de sauver la diversité agricole

 



Articles Par : Grain

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