Les soldats des forces spéciales américaines tués au Niger auraient été en mission d’assassinat

Trois semaines après la mort de quatre soldats des forces spéciales américaines dans un échange de tirs au Niger, pays d’Afrique de l’Ouest enclavé, des informations ont émergé indiquant que les troupes américaines et leurs homologues nigériens ont été impliqués dans une mission de « capture-assassinat » visant le dirigeant de milices islamistes locales opérant à la frontière entre le Niger et le Mali.

La Maison Blanche et le Pentagone n’ont fourni des informations qu’au compte-gouttes sur l’opération avortée du 4 octobre. L’incident fut connu du public en grande partie à cause du fait que le président Donald Trump a omis initialement de parler de la plus grande perte de personnel militaire américain depuis son entrée en fonction, ainsi que de ses mensonges sur les contacts avec des familles des soldats tués et de sa confrontation honteuse avec la veuve du sergent David Johnson, l’un des quatre bérets verts tués au Niger, au sujet d’un appel de condoléances insensible.

Le général Joseph Dunford, le président de l’état-major interarmées, a déclaré lundi aux journalistes que les Bérets verts étaient engagés dans une « mission de reconnaissance simple » et a qualifié l’objectif général du déploiement de quelque 1000 soldats des opérations spéciales au Niger de « mission pour former, conseiller et aider » afin de soutenir les forces de sécurité nigériennes.

Il semble que les commentaires de Dunford aient été délibérément trompeurs dans les deux cas.

Mardi NBC News a cité « plusieurs responsables américains » qui affirmaient que le détachement américain de 12 soldats des forces spéciales américaines et de 30 soldats nigériens avait participé à une mission d’assassinat destinée à tuer un haut responsable d’une milice islamiste locale.

NBC a rapporté : « Une théorie, selon un responsable ayant une connaissance directe de l’enquête de l’armée, c’est que les soldats recueillaient des informations sur la cible, et, après avoir appris où il se trouvait, ont décidé de le poursuivre. Une grande question serait alors si l’unité en a obtenu l’autorisation, et si les risques en ont été évalués. »

Le reportage a ajouté que la mission nigérienne infortunée a été menée sous l’égide de l’Opération Juniper Shield, un programme commencé sous l’administration Obama et poursuivi sous Trump, qui vise à utiliser la force militaire américaine pour « perturber ou neutraliser » les organisations considérées comme liées à Al-Qaïda et au groupe État islamique à travers la région du Sahel du centre ouest de l’Afrique.

Cette intervention militaire est effectuée en coordination avec l’armée française, qui mène une opération néocoloniale encore plus intense au Mali voisin. Les deux pays ont lancé une campagne contre un groupe d’insurgés connu sous le nom d’Al-Mourabitoun, qui a été actif dans toute la région. En janvier dernier, Al-Mourabitoun a revendiqué un attentat-suicide contre une base militaire de la ville de Gao au Mali, qui a tué 77 personnes. Des attaques précédentes ont ciblé des étrangers en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso, et en 2013 le groupe a saisi une installation de gaz en Algérie conduisant à un affrontement dans lequel tous les 39 otages ont été tués.

Selon les sources citées par NBC, l’équipe de Bérets verts impliquée dans la fusillade du 4 octobre, officiellement dénommée Operational Detachment Alpha ou ODA, a été impliquée dans une « opération de renseignement », qui comprenait une rencontre avec un individu censé avoir des informations sur le lieu où se trouvait un militant islamiste connu sous le nom d’Abnan Abu Walid al-Sahraoui, qui serait le chef d’au moins une section d’Al-Mourabitoun.

Alors que la manière précise dont l’embuscade qui a conduit à la mort des quatre soldats des forces spéciales américaines reste entourée de mystère, des sources militaires ont suggéré que l’unité a été piégée par des éléments hostiles de la population locale qui les ont menées dans une embuscade ou a informé les insurgés islamistes de leur position.

Des dirigeants du Sénat et de la Chambre de représentants américains, y compris Chuck Schumer, chef de la minorité au Sénat et de la Chambre des représentants, et les sénateurs républicains John McCain (président du Comité des forces armées du Sénat), et Lindsey Graham ont affirmé avoir été tenus dans l’ignorance par le Pentagone sur l’intervention dans la région et s’étonnent du fait que jusqu’à 1000 soldats des forces spéciales américaines soient déployés au Niger et à ses frontières.

Une audience à huis clos est prévue pour jeudi au cours de laquelle deux hauts responsables du Pentagone livreront un briefing classifié au panel des services armés du Sénat. La session fut prévue après que McCain a menacé d’assigner l’administration pour fournir plus d’information sur l’opération du Niger.

En réalité, l’escalade persistante de l’intervention militaire américaine en Afrique est un secret assez bien connu de tous, ne provoquant de l’inquiétude qu’après la débâcle du 4 octobre.

En février 2013, la Maison Blanche d’Obama a annoncé envoyer les 100 premier s soldats américains au Niger, avec des centaines d’autres à suivre. À l’époque, il a été révélé que Washington avait signé un accord avec le gouvernement nigérien autorisant l’armée américaine à installer une base de drones sur le territoire du pays, créant ainsi les conditions propices à la propagation du programme d’assassinats de l’administration Obama dans toute la région.

Cette base est actuellement en construction dans la ville d’Agadez, où les États-Unis préparent d’importantes installations pour abriter et lancer des drones chasseurs-tueurs MQ-9.

Vendredi dernier, le Washington Post a rapporté que le Pentagone instaure un système de « ciblage basé sur le statut » au Niger permettant à ses troupes de traquer et d’employer la force létale contre des membres présumés de groupes islamistes insurgés « même si cette personne ne constitue pas une menace immédiate ». C’est cela qui semble impliqué dans la mission avortée qui a coûté la vie à quatre soldats américains le 4 octobre.

L’emploi de telles équipes d’assassins, ainsi que les tueries par drones et autres méthodes similaires, ne feront qu’intensifier les conditions de la guerre civile dans toute la région, en fournissant le prétexte à une intervention américaine encore plus grande.

En effet, la principale source du conflit actuel réside dans la guerre de 2011 des États-Unis et l’Otan pour renverser le colonel Mouammar Kadhafi en Libye, qui a brisé l’équilibre ténu maintenu par Kadhafi entre les Touareg et d’autres groupes tribaux au Niger et ailleurs dans le Sahel. La montée des groupes islamistes était directement liée à l’utilisation des éléments d’Al-Qaïda par Washington et ses alliés comme forces-relais terrestres dans la guerre pour le changement de régime qui s’est terminé par le lynchage de Kadhafi et la décimation de la société libyenne. À la suite de la chute du gouvernement libyen, ses stocks d’armes sont tombés entre les mains de groupes islamistes dans toute la région.

Au milieu de la polémique bouillonnante sur la mort des soldats au Niger et la réponse de Trump, les politiciens démocrates et les médias font un battage constant et grandissant pour que le Congrès débatte des interventions militaires américaines en cours et adopte une nouvelle autorisation pour l’utilisation de la force militaire (AUMF).

Cela s’est exprimé de nouveau mardi dans un article dans le Washington Postpar le chroniqueur ostensiblement libéral Eugene Robinson, qui a écrit : « Le Congrès doit faire plus que d’enquêter sur les décès. Il doit autoriser ce conflit ou y mettre fin. »

Robinson a poursuivi en décrivant la cabale des généraux – Kelly, Mattis et McMaster – qui contrôle en grande partie la politique étrangère de la Maison Blanche et de l’administration Trump comme « la dernière ligne de défense entre notre grand pays et l’abîme ».

En même temps, cependant, il a suggéré que cette domination militaire de l’administration rendait d’autant plus important que le Congrès « récupère ses pouvoirs de guerre » en adoptant une nouvelle AUMF.

Ces chroniques reflètent la nervosité croissante au sein des cercles dirigeants dont la controverse hideuse sur le Niger a levé le couvercle sur les opérations militaires globales toujours croissantes du Pentagone et le virage de plus en plus ouvert vers le contrôle militaire du gouvernement aux États-Unis. Toute nouvelle AUMF adoptée par le Congrès, qui a renoncé il y a longtemps à la prétention de défendre ses pouvoirs constitutionnels, ne fera que fournir une feuille de vigne législative pour faciliter ce processus.

Bill Van Auken

 

Article paru en anglais, WSWS, le 25 octobre 2017



Articles Par : Bill Van Auken

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