Les États-Unis et le désarmement nucléaire : appel à l’armistice avant la chute de l’empire ?

Le président Obama présentera un projet de loi devant l’Assemblée générale de l’ONU le 24 septembre prochain. Ce projet appellerait tous les États à «s’engager de bonne foi dans des négociations sur des mesures efficaces de réduction des arsenaux nucléaires et de désarmement» et à oeuvrer à l’élaboration d’un «Traité de désarmement général et complet sous strict contrôle international».
Le projet appellerait les États parties au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) à «respecter totalement leurs obligations en découlant» et ceux qui n’ont pas signé le Traité à le faire, «afin de le rendre universel le plus tôt possible».
Il importe de rappeler que «le TNP compte 189 pays signataires. Israël, qui est considéré comme possédant l’arme nucléaire mais ne l’a jamais admis publiquement, n’en fait pas partie. L’Inde et le Pakistan, qui sont dotés de l’arme atomique, ne l’ont pas signé non plus. La Corée du Nord a quitté le traité en 2003».
De plus, le texte invite tous les États à «s’abstenir de tout essai nucléaire et à rejoindre le Traité international d’interdiction de ces essais (CTBT), afin de lui permettre d’entrer en vigueur». Il appelle aussi la Conférence sur le désarmement à «négocier le plus tôt possible un Traité interdisant la production de matières fissiles destinées à des armes ou explosifs nucléaires».
«Le projet encourage d’autre part les efforts visant à développer les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, dans un cadre qui réduise les risques de prolifération et adhère aux critères internationaux les plus stricts en matière de garanties et de sécurité».
«Il rappelle que le TNP reconnaît à ses signataires le droit d’utiliser l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, sans discrimination, et il appelle les États à adopter des systèmes plus stricts de contrôle des exportations de matières sensibles et de technologies du cycle nucléaire» (Cyberpresse).
I. Un précédent révélateur
Si cette invocation faite par le président Obama s’avère sérieuse il y a lieu de nous demander si l’Empire n’entrevoit pas déjà sa chute imminente. On pourrait être amené à penser que l’une des façons d’assurer la survie de l’Oncle Sam est de demander à tous les États de se débarrasser des forces qui pourraient éventuellement le menacer : «Je capitule, pourrait-il annoncer, mais je vous demande d’en faire autant afin de me permettre de reconstituer les bases de ma puissance». C’est la raison pour laquelle il y a lieu d’être sceptique devant cette initiative des États-Unis. Il semble qu’il s’agisse ainsi d’un leurre ou d’une stratégie de retrait momentané et que ceux-ci n’ont aucune intention réelle de renoncer à leur puissance nucléaire de façon définitive.
La dernière rencontre entre le président Obama et le président Menveded s’est d’ailleurs conclue sur une entente de désarmement partiel de leurs stocks nucléaires.
Les deux présidents sont ainsi convenus d’abaisser à 1.500 (pour les USA) et à 1.675 (pour la Russie) le nombre de têtes nucléaires, contre respectivement 2.200 et 2.790 actuellement, selon le Bulletin des scientifiques (Le Figaro). Nous ne pouvons pas ignorer évidemment que cette puissance combinée, même réduite, pourrait encore détruire plusieurs fois la planète.
II. Une pression énorme pour la poursuite des travaux de déploiement de boucliers anti-missile
Il semble bien qu’il n’est pas question d’abandonner le programme de développement du système de bouclier anti-missile qui devrait se déployer de façon opérationnelle en Europe centrale. Les propos récents d’Hillary Clinton concernant le parapluie de protection au Moyen-Orient qu’elle évoque contre la menace potentielle iranienne n’est pas de nature à rassurer personne. Dans les faits, tout concourt au maintien de la politique déjà en vigueur des États-Unis de poursuivre le développement de leurs systèmes de défense anti-missile en Europe et ce dans la perspective d’une attaque éventuelle de la Russie.
Les coûts du maintien des bases opérationnelles de l’armement nucléaire (stocks et vecteurs) en Amérique comme en Europe sont astronomiques. Au total, plus de 60 milliards de dollars par année (pour les USA et la Russie) sont consacrés au maintien et à la modernisation de ce système qui prend place peu à peu Pour l’ensemble des pays nucléarisés le total approche les 100 milliards de dollars par année (Bramer, B., 2009, p. 33). Enfin, comme des centaines de milliards de dollars ont été investis dans ce programme il serait mal indiqué, selon toute vraisemblance, de l’abandonner.
III. Le véritable motif du désarmement nucléaire proposé
Il est concevable de considérer cette proposition comme étant une réponse déguisée des États-Unis aux Iraniens dans le cadre des négociations qu’ils veulent entamer le 1er octobre prochain (Romandie.com). La réponse des Iraniens aux demandes de l’Occident, d’ailleurs, s’est matérialisée dans une offre globale de désarmement complet et planétaire sous le contrôle et une supervision internationaux à l’instar de la proposition étatsunienne. On pourrait alors supposer qu’après avoir obtenu de la part des Iraniens un accord pour l’arrêt des activités de production d’uranium enrichi, les États-Unis mettront en veilleuse leurs propositions de désarmement global. C’est ce qui risque de se produire quand on connaît les concepts de la sécurité préconisés par la première puissance mondiale, soit ceux de la dissuasion et de l’équilibre des forces (United Nations. 1996). Est-il pensable que celle-ci puisse renoncer tout d’un coup à la suprématie qu’elle exerce sur l’ensemble des institutions économiques et financières mondiales, suprématie dont elle trouve, en grande partie, l’origine dans ses capacités de dissuasion nucléaire et dans son statut de membre permanent (avec droit de veto) du Conseil de sécurité de l’ONU.
IV. Quelles sont les concessions qui pourraient être exigées de l’Iran?
L’arrêt du programme de développement nucléaire de l’Iran, officiellement réclamé par les puissances occidentales et surtout par les pays nucléarisés ne sera pas l’enjeu principal des négociations entre ce pays et les grandes puissances. Ce que ces dernières poursuivent sans relâche c’est la reprise du contrôle de la République islamique, l’un des éléments pour une suprématie complète et achevée de tout le Moyen-Orient. Ce qui est recherché c’est la reprise en main des réserves du pétrole iranien. C’est la raison pour laquelle l’Iran affiche une attitude très prudente vis-à-vis des demandes de rencontre formulées par les grandes puissances. Les derniers propos tenus par le président de l’Iran, M. Ahmadinejad, sont clairs : «La technologie nucléaire pacifique est le droit légal et définitif de la nation iranienne et l’Iran ne négociera avec personne ses droits indéniables» (« L’Iran ne négociera pas ses droits indéniables »).
Conclusion
L‘acharnement des pays occidentaux contre les programmes nucléaires de l’Iran et de la Corée du Nord occultent les véritables motifs qui les animent. En dénonçant sans relâche le comportement de ces deux pays ils dissimulent ainsi leur comportement inacceptable concernant l’application du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) qu’ils ont signé. En effet, les pays nucléarisés n’ont pas manifesté la volonté d’appliquer les accords établis, par exemple, lors de la révision du TNP en 2000. Les puissances nucléaires sauf la Chine ont désarmé quantitativement mais aucun qualitativement. Elles ont, au contraire, toutes modernisé leurs armements et pris des dispositions pour conserver leur capacité nucléaire indéfiniment. Cette attitude peut être qualifiée d’hypocrite et il serait bien étonnant qu’elle puisse avoir changé avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Obama.
Si les intentions du nouveau président sont sincères dans cette démarche nous pourrions nous retrouver sur la voie d’un processus réel de désarmement. Il nous est permis cependant de nous demander si les autres armes de destruction massive (biologiques, chimiques, radiologiques et bactériologiques) et même les armes conventionnelles de plus en plus performantes ne viendront pas remplacer les armements nucléaires dans le maintien de l’hégémonie des grandes puissances?
Références
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Jules Dufour, Ph.D., est président de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean, professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, membre du cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, membre chevalier de l’Ordre national du Québec.