Les USA pourraient envoyer des troupes en Colombie

Alors que les principaux média nord-américains ont largement relaté la récente inculpation par le ministère américain de la Justice de cinquante dirigeants de la guérilla des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie), une annonce du département d’État faite le jour suivant a été, de manière surprenante, peu médiatisée.

Le 24 mars, la Secrétaire d’État adjointe Anne Patterson expliquait à la radio colombienne Caracol que, même si les Etats-Unis n’envisageaient actuellement aucune action militaire unilatérale pour capturer les chefs des FARC, les États-Unis pourraient intervenir s’ils y étaient invités par le gouvernement colombien.

Etant donné que l’intervention du gouvernement américain en Colombie s’étend déjà tous les domaine – à l’exception du déploiement de troupes de combat, il est clair que les commentaires de Mme Patterson avaient l’intention d’illustrer la volonté de l’Administration Bush de faire intervenir ses troupes en Colombie pour combattre les FARC.

L’inculpation des leaders des FARC illustre la stratégie de l’Administration Bush de coller aux FARC l’étiquette de « principaux responsables de la violence et du trafic de drogue en Colombie ». La réalité, cependant, est très différente du portrait qu’en fait l’Administration Bush. L’inculpation américaine n’a apporté aucune preuve appuyant le fait que les leaders des FARC auraient gagné 25 milliards de dollars grâce au trafic de la drogue, et seraient responsables de 60% du trafic de cocaïne vers les Etats-Unis.

Entre-temps, la plupart des experts de la situation colombienne sont d’accord pour dire que les paramilitaires d’extrème droite sont bien plus impliqués dans le trafic de drogue que les rebelles d’extrème gauche, un fait appuyé par les nombreuses saisies de drogues dans lesquelles la cocaïne saisie a permis de remonter jusqu’aux groupes paramilitaires. En fait, les ex-associés de Pablo Escobar, le célèbre chef de l’ex-cartel de Medellín, ont mis sur pied quelques-uns des groupes paramilitaires les plus importants en Colombie.

Alors même que l’Administration Bush cible sur les FARC sa médiatisation de la guerre contre la drogue, il est de plus en plus évident que la démobilisation des paramilitaires, démobilisation encouragée par les Etats-Unis, n’est rien de plus qu’une façade. La semaine dernière, le responsable paramilitaire Ivan Roberto Duque a publiquement confirmé sur Radio-Caracol ce qu’Amnesty International, les Nations Unies et de nombreux analystes dénonçaient depuis plus d’un an : les paramilitaires démobilisés reprennent les armes. Selon Duque, d’ex-combattants offrent leurs services aux trafiquants de drogue ou à des groupes de  » justice privée « , connus aussi sous le nom de paramilitaires. Il en résulte que le nombre d’assassinats commis par les paramilitaires en 2005 a plus que doublé par rapport à l’année précédente.

Après plus de cinq ans et malgré quatre milliards de dollars de subsides, le plan Colombie a échoué à réduire de manière significative le prix, la pureté et la disponibilité de la cocaïne dans les villes américaines. Pendant ce temps les trois années d’offensive militaire du président colombien Alvaro Uribe, offensive appuyée par les Etats-Unis, ont échoué à réduire sérieusement la capacité militaire des FARC. Étant donné que Washington a fait de la Colombie le troisième plus grand récipiendaire au monde de l’aide militaire américaine, en plus de lui fournir des renseignements, des armes et des instructeurs, la dernière étape que peut encore franchir l’Administration Bush est de déployer des troupes de combat dans ce pays sud-américain, sous le prétexte de la guerre contre la drogue.

Une telle intervention militaire américaine n’implique probablement pas un déploiement massif de troupes en Colombie, une stratégie actuellement impossible vu l’engagement du Pentagone en Irak. Elle impliquerait plutôt un déploiement d’unités des Forces Spéciales de l’armée américaine pour débusquer les chefs des FARC dans les endroits reculés de la jungle. En d’autres mots, les militaires américains reproduiraient la stratégie actuellement appliquée pour trouver les chefs d’Al-Qaïda dans la zone frontalière entre le Pakistan et l’Afghanistan.

Le plan Colombie a paradoxalement montré in fine que sa principale cible, les FARC, ne dépend pas essentiellement du commerce de la drogue. Selon les analystes James Brittain et James Sacouman, le plan Colombie a causé une baisse importante des cultures de coca dans les régions du Sud, dominées par les FARC, déplaçant ces cultures vers d’autres parties du pays. En même temps Uribe proclame que sa politique sécuritaire a causé une baisse importante des kidnappings lors de ces trois dernières années. Si les FARC étaient si dépendants de ces deux sources de revenus pour financer leur rébellion, la capacité militaire de la guérilla aurait dû sérieusement diminuer ces cinq dernières années. Mais comme Brittain et Sacouman l’ont noté, les attaques des FARC contre l’armée colombienne, contre les infrastructures du pays et contre les opérations des compagnies étrangères ont augmenté de manière importante ces deux dernières années.

Une intervention directe de l’armée américaine aurait clairement peu de rapports avec la guerre contre la drogue. Après tout, si c’était cela le vrai objectif, l’Administration Bush viserait les chefs paramilitaires de Colombie lesquels, selon l’accord de démobilisation, ont été autorisés à conserver leurs circuits de trafic de drogue tout en évitant une extradition vers les Etats-Unis, après avoir passé à peine 22 mois de « détention » dans de luxueux ranches en Colombie.

Les réels objectifs d’une escalade américaine trouvent leurs racines dans l’idéologie et l’économie. L’Administration Bush essaye d’éliminer une rébellion de gauche qui se révèle être une menace persistante pour les intérêts économiques américains et pour l’allié le plus proche de Washington dans la région. La Colombie s’est avérée être une source de pétrole et de charbon de plus en plus importante. Ces ressources sont situées dans des régions rurales où les opérations des multinationales restent vulnérables aux attaques des rebelles. En outre, ce n’est certainement pas une coïncidence si l’Administration Bush a annoncé son intention d’augmenter les interventions militaires américaines moins d’un mois après que les deux pays aient signé un accord bilatéral de commerce. Les politiques économiques ont été établies mais beaucoup d’entre elles doivent être appuyées militairement en Colombie à cause de la ténacité des FARC.

Il est improbable que le déploiement des troupes américaines en Colombie se fasse avant l’élection présidentielle de mai. Le sentiment anti-américain a augmenté en Colombie à la suite de la signature en février de l’impopulaire accord commercial. En conséquence, tout déploiement avant mai de troupes américaines pour combattre en Colombie mettrait à mal les chances de réélection d’Uribe. Si cela devait tout de même se produire, le déploiement de troupes de combat américaines commencerait peu de temps après la prestation de serment d’Uribe pour son second mandat. Une telle augmentation de la présence militaire américaine aiderait le président colombien à intensifier sa stratégie qu’il dénomme « sécurité démocratique » stratégie entamée il y a presque quatre ans.

Nota: la Colombie détient le triste record des enlèvements dans le monde (80% ont lieu dans ce pays); 5000 otages répertoriés fin décembre 2005 (dont parmi eux, environ 500 enfants et adolescents)



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