L’Espagne augmente ses dépenses militaires
Après six années de coupes budgétaires qui ont détruit des dizaines de milliers d’emplois dans le secteur public, le gouvernement espagnol mené par le Parti populaire (PP) se prépare à augmenter les dépenses militaires à coup de milliards d’euros.
La dernière version du budget 2015 comprend une hausse de 1,1 pourcent pour le Ministère de la Défense, bien que cette hausse se rapproche plus des deux pour cent si l’on y inclut les dépenses militaires des « crédits spéciaux » — qui comprennent les programmes spéciaux d’armements (PEA) et les déploiements militaires à l’étranger. Le rapport récent d’une fondation pour la paix, Centre Delàs, indique que les dépenses militaires atteindront en 2015 €17 milliards.
La hausse de ces dépenses est le résultat du sommet de l’OTAN tenu au Pays de Galles en septembre et qui fut dominé par les intrigues montées contre la Russie, les préparations d’action militaire en Iraq et en Syrie, et l’exigence que tous les pays membres de l’OTAN augmentent leurs dépenses de façon à atteindre au moins 2 pour cent du PIB. Pour l’instant, seulement quatre pays – les Etats-Unis, le Royaume-Unis, la Grèce et l’Estonie – le font.
Le nouveau programme militaire espagnol prévoit l’achat de cinq frégates F-110 anti sous-marins conçues pour des missions de combat de haute intensité, de jusqu’à 400 véhicules blindés, de trois avions de ravitaillement A330-MRTT, de 4 drones capables de porter une charge de 1500 kilos d’armements et de 2 centres de contrôles au sol. Il est prévu aussi d’acheter quatre S-80 sous-marins de fabrication espagnole, qui utilisent la technologie de pointe pour naviguer en silence et à haute vitesse.
Citant le danger du terrorisme islamiste, le ministre de la Défense, Pedro Morenés du Parti populaire (PP) a dit qu’« il n’y a pas de possibilité de garantir la sécurité intégralement si nous ne garantissons pas les équipements nécessaires. »
Cependant, l’ancien ministre PP de la Défense et actuel président de l’Association atlantique espagnole, Eduardo Serra, a attiré l’attention sur les préoccupations sous-jacentes de l’élite dirigeante espagnole, insistant pour dire que l’Espagne devait augmenter son budget de la Défense « si elle voulait être écoutée dans le monde, » bien que cela soit « impopulaire » ou même « pas nécessaire ».
Le problème confronté par l’impérialisme espagnol est que ce dernier a depuis longtemps perdu son rayonnement mondial. Il y a plus d’un siècle, en 1898, il perdit le reste de ses territoires coloniaux dont Cuba, Porto Rico et les Philippines les abandonnant après une guerre humiliante de dix semaines, aux USA.
En dehors d’engagements au Maroc et de l’emploi de sa Division bleue fasciste contre l’Union soviétique dans la Deuxième guerre mondiale, l’armée espagnole a été utilisée presque uniquement à la répression interne contre la population – le plus brutalement pendant la guerre civile déclenchée par le coup militaire fasciste du général Francisco Franco en juillet 1936.
Pendant la guerre froide, les USA ont conclu une alliance commerciale et militaire avec l’Espagne de Franco à cause de son emplacement géostratégique important à la croisée de quelques-unes des principales routes maritimes, terrestres et aériennes dans le monde. On commença la construction d’infrastructures militaires encore en opération aujourd’hui.
L’expérience de la guerre civile et la dictature qui l’a suivie, le soutien des USA pour Franco, les sentiments socialistes et l’affinité populaire pour l’Union soviétique ont laissé une profonde opinion anti-impérialiste, antimilitaire au sein de la classe ouvrière espagnole. Dans les années 1980, les manifestations contre l’intégration de l’Espagne dans l’OTAN furent si importantes que la promesse de tenir un référendum sur un retrait de l’OTAN devint un point majeur du manifeste électoral du Parti socialiste (PSOE) en 1982. Le référendum fut constamment retardé quand le PSOE prit le pouvoir, après une victoire écrasante. Lorsqu’ il fut finalement tenu en 1986, le PSOE a fait vigoureusement campagne en faveur d’une adhésion continue de l’Espagne à l’OTAN. Pourtant, seulement 52,6 pourcent des votants furent pour.
Après l’adhésion de l’Espagne à l’OTAN, des gouvernements successifs ont participé aux guerres menées par les USA en Iraq, en Bosnie, en Afghanistan et en Libye, malgré l’opposition publique. Une étude réalisée en 2003 par le Centre des enquêtes sociologiques (financé par l’Etat) a conclu que 91 pourcent des espagnols étaient opposés à un engagement de l’Espagne dans l’action militaire contre l’Iraq.
L’année suivante, le gouvernement PP du premier ministre José Maria Aznar fut battu dans les élections après avoir essayé de faire porter la responsabilité au groupe séparatiste basque ETA des attentats d’Al-Qaida à Madrid en 2004. Les électeurs étaient furieux de ce qu’Aznar avait essayé de cacher le fait que les attentats islamistes étaient des représailles pour le rôle impopulaire de l’Espagne dans la guerre en Iraq. Le PSOE fut le bénéficiaire par défaut de ce sentiment et une fois élu, il a fait rentrer les troupes espagnoles de l’Iraq dans le seul but de les réexpédier en Afghanistan.
Aujourd’hui, dix ans plus tard, le PSOE s’est aligné derrière le soutien du PP à l’agression renouvelée de Washington en Iraq et en Syrie dont le but est d’asseoir l’hégémonie américaine sur un Moyen-Orient stratégiquement vital et riche en pétrole.
Madrid va déployer 300 instructeurs pour l’entrainement de l’armée iraquienne à Tallil, juste au sud de Diwaniya où les soldats espagnols furent basés pendant l’occupation de l’Iraq en 2003. L’Espagne permet aussi l’utilisation de ses bases militaires par ses alliés, ainsi que l’espace aérien et les eaux territoriales, et fournit armes et équipement à l’armée iraquienne et aux Peshmergas kurdes. Elle déploie un escadron de missiles Patriot sol-air et 130 soldats sur la frontière turque.
Félix Arteaga, un analyste de la défense au prestigieux Real Instituto Elcano, a écrit que la présence militaire de l’Espagne « n’y est pas pour mettre fin à un conflit qui, en toute certitude, n’a pas de solution, du moins à court terme » mais « parce que d’autres groupes djihadistes, à présent fidèles à l’Etat islamique, sont en train d’errer à travers l’Afrique du Nord et du Sahel, mettant en danger la stabilité des pays limitrophes, un risque qui touche directement l’Espagne. Et lorsque ces pays cherchent de l’aide, comme l’a fait l’Iraq, l’Espagne sait qu’elle devra répondre à l’appel, et chercher l’aide de ceux qui sont maintenant dans la Coalition. Aujourd’hui c’est pour vous, demain ce sera pour moi. »
Caché derrière le prétexte du terrorisme se trouve la tentative de l’Espagne de retrouver son influence en Afrique, où elle maintient encore deux enclaves, Ceuta et Melilla, au Maroc. Les paroles d’Arteaga, « demain ce sera pour moi » peuvent mieux être comprises dans les mots qui figurent dans un rapport récent, « Vers un Renouvellement stratégique de la Politique étrangère de l’Espagne », aussi publié par Real Instituto Elcano, qui insiste sur le fait que l’Espagne « doit élaborer une action de stratégie intégrale pour la région du Sahel, du Golfe de Guinée à la mer Rouge et à la Corne de l’Afrique….en considération des liens commerciaux entre l’Afrique subsaharienne et l’Espagne qui s’intensifient rapidement. »
La région était au centre des discussions au forum du Crans Montana ‘Homeland et Global Security Forum’ tenu à la mi-octobre en Suisse et où Stephen O’Brien, représentant spécial pour le Sahel du premier ministre britannique, David Cameron, a expliqué que la région faisait partie d’une « zone globale d’instabilité, » qui s’étendait depuis l’Afghanistan à l’est jusqu’au Mali à l’ouest et que la communauté internationale devait intervenir pour empêcher que les cinq pays du Sahel ne deviennent un autre Afghanistan.
La crise mondiale de 2008 a fait monter les ambitions de tous les pouvoirs impérialistes rivaux pour un nouveau partage et repartage du monde. De plus, avec un niveau d’inégalités qui, selon Oxfam, est au deuxième rang de l’Union européenne, le militarisme grandissant de l’Espagne exprime aussi une manière de projeter les tensions sociales vers l’extérieur.
Alfie Cook et Alejandero Lopez
Article original, WSWS, publié le 17 novembre 2014