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L’État profond américain : Wall Street, « Big Oil » et l’attaque contre la démocratie U.S.
Par Prof Peter Dale Scott et Lars Schall
Mondialisation.ca, 11 novembre 2014

Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/letat-profond-americain-wall-street-big-oil-et-lattaque-contre-la-democratie-u-s/5413490

Préambule

Cet article revient sur le 11 Septembre, mais avec un angle d’attaque indirect. Il devient évident qu’à court terme, l’État américain va rester sur sa position officielle, quelles que soient les demandes soulevées par la société civile (pertinentes ou pas d’ailleurs, là n’est pas la question). 
Peter Dale Scott a une approche très personnelle, qui consiste à comprendre le fonctionnement normal de l’État officiel, pour le comparer avec la réalité de la situation lors des « événements profonds », pour analyser ce qui n’a pas fonctionné selon les règles officielles et qui serait révélateur d’éventuelles manipulations ou mensonges. Sa méthode se rapproche de celle des scientifiques qui étudient des planètes lointaines. On ne peut pas étudier directement une planète qui croise un soleil trop brillant : il vous aveugle. Par contre, vous pouvez étudier les variations de ce soleil quand la planète le croise. Autant il peut être possible de cacher des événements, des actes, autant il est très difficile d’en contrôler les effets indirects sur toute l’infrastructure d’un État.

 

Ces théories conspirationnistes ridicules sont juste un écran de fumée pour masquer les vérités incroyables
Ces théories conspirationnistes ridicules sont juste un écran de fumée pour masquer les vérités incroyables

Cet article donne un éclairage nouveau sur l’événement qui a bouleversé le monde depuis 2001, en termes de communication, de droit international, de géopolitique et, même et surtout, de libertés individuelles dans les nations dites démocratiques.

Peter nous propose une grille d’analyse de plus, pas une boule de cristal. À chacun de la comprendre, d’être d’accord ou pas, mais la démarche mérite toute notre attention.

Le Saker francophone
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L’État profond américain : Wall Street, Big Oil et l’attaque contre la démocratie U.S. 

Entretien par Lars Schall, audio en anglais (Lars Schall.com)

Lars Schall (LS) : Peter, nous avons décidé de parler aujourd’hui de ce que vous appelez « l’État profond », et la première question que je voudrais vous poser est : pourquoi pensez-vous qu’il est encore pertinent de parler du 11 septembre 2001 ?

Peter Dale Scott (PDS): Eh bien, le 11 septembre 2001 a été l’occasion d’importants changements tant dans la politique intérieure que dans la politique étrangère U.S : c’est la raison pour laquelle nous sommes allés presque immédiatement en Afghanistan, et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons commencé à planifier aussitôt l’invasion de l’Irak, qui a été fondée sur l’hypothèse erronée que Saddam Hussein était lié à Al-Qaïda. Alors que la preuve a été fournie depuis que c’était un faux témoignage, l’administration a choisi de le croire. D’un point de vue U.S., les changements dans la politique étrangère ne sont peut-être pas aussi graves que la mise en œuvre, ce jour-là, de ce que nous appelons les procédures de continuité du gouvernement (continuity of government, COG), qui ont radicalement modifié le statut de la Constitution américaine dans ce pays. Ils avaient planifié depuis vingt ans ce qu’ils devaient faire en cas d’urgence majeure comme le 11 septembre, et ces plans ont été élaborés pendant deux décennies par Donald Rumsfeld et Dick Cheney, qui sont aussi les deux hommes qui les ont mis en œuvre le 11 septembre.

 

Je ne comprends pas très bien les étrangers, mais je pense qu'ils sont en train d'exprimer à quel point nous sommes géniaux...
Je ne comprends pas très bien les étrangers, mais je pense qu’ils sont en train d’exprimer à quel point nous sommes géniaux…

 

Nous ne connaissons pas en détail ces plans, mais je pense que nous pouvons raisonnablement les résumer sous trois rubriques ; l’une d’elles est la surveillance sans mandat. Edward Snowden a prouvé, sans l’ombre d’un doute, qu’elle est massive dans le pays, et elle l’est en raison de cette mise en œuvre des COG. Une autre est la détention sans mandat ; nous avons eu plus d’un millier de musulmans rassemblés sans mandat et détenus. Nous avons quelque chose appelé Habeas Corpus dans notre Common Law : vous n’êtes pas censé détenir des personnes pendant très longtemps sans les mettre en examen. Mais plus d’un millier de personnes ont été arrêtées sans l’être, et certaines d’entre elles ont été torturées. Voilà un énorme, énorme changement dans l’état intérieur de l’Amérique.

Et puis enfin, il y a l’implication de l’armée dans ce que nous appelons la sécurité intérieure. Les militaires jouent désormais un rôle de police, et c’est aussi quelque chose de nouveau. Vous pouvez souhaiter que, de temps en temps, l’armée soit appelée brièvement pour faire face à une crise, comme les émeutes que nous avions dans les centres-villes dans les années soixante, mais avoir un commandement permanent de l’armée aux U.S.A., appelé NORTHCOM, est vraiment nouveau : c’est un changement radical pour le rôle de l’armée, et par-dessus tout, pour ce que j’appelle l’« État profond ». Nous avons maintenant des institutions qui visent à opérer sur le sol américain sans être contrôlées par la Constitution américaine. Je ne vois pas comment on pourrait trouver un changement plus radical.

LS : Qu’appelez-vous l’État profond, quels sont les événements profonds, et qu’est-ce que le 9/11 a à voir avec les deux ?

PDS : Permettez-moi d’utiliser la définition de l’État profond formulée par quelqu’un d’autre. Une journaliste du Washington Post, nommée Dana Priest, a écrit un livre, Top Secret America, et elle a dit ceci : nous avons maintenant « deux gouvernements : celui que les citoyens connaissent, opérant plus ou moins à découvert, l’autre étant un gouvernement secret parallèle dont les éléments ont proliféré en moins d’une décennie pour devenir un univers gigantesque, tentaculaire et autonome… [1]

Le second niveau, celui de l’État profond, a régné au fil des décennies, mais il est vrai qu’il a explosé dans la dernière, quand elle écrivait. Et c’est exactement à cause du 9/11 et des changements des COG qui ont été autorisés et mis en œuvre avant que le dernier des quatre avions ne s’écrase. Ils ont mis en œuvre les COG, ils ont proclamé l’état d’urgence trois jours plus tard, et depuis, nous vivons dans cet état d’urgence, ce qui signifie que la Constitution en vigueur ne fonctionne plus de la façon habituelle.

Vous m’avez aussi demandé quels étaient les événements profonds. Je qualifie le 9/11 d’événement profond parce que, depuis le début, ce qui est arrivé exactement n’était pas très clair. Même les journalistes ont commenté la confusion et l’imprécision des rapports qui étaient devenus si mauvais que le Congrès a dû exercer des pressions… C’était une lutte pour obtenir une enquête.

C’est le plus grand acte criminel qui ait jamais été commis aux États-Unis et la Maison-Blanche a essayé de ne pas enquêter. Il y avait une scène de crime qui a été démantelée presque immédiatement ; certaines personnes diraient que c’était illégal. Ils ont dit qu’ils étaient à la recherche de cadavres, et ce fut le prétexte pour faire disparaître toute trace d’acier. Mais maintenant, les scientifiques seraient très intéressés de savoir quels résidus se trouvaient dans l’acier pour voir si les bâtiments ont été détruits à l’explosif ou non. La plupart de l’acier a été expédié hors du pays très rapidement, c’est pourquoi c’est un événement profond, et nous avions le devoir d’enquêter.

Les deux grands événements qui sont des événements profonds sont d’abord l’assassinat de Kennedy en 1963, puis le 9/11. Il y en a d’autres – certains d’entre eux pouvant être très petits. Vous savez, je pense que j’ai vécu quelques événements profonds dans ma vie personnelle : j’en ai décrit un dans La machine de guerre américaine. Mais ceux qui ont eu des conséquences constitutionnelles étaient l’assassinat de Kennedy – les conséquences ont été plutôt invisibles dans ce cas-là, mais elles étaient réelles : elles ont changé le rôle de la CIA et sa relation avec le FBI et la police locale. Beaucoup plus importants furent les changements après le 9/11. Il suffit de prendre celui qu’Edward Snowden a si bien documenté, la surveillance sans mandat. Je pense que parmi les trois grands événements profonds, c’est peut-être le moins important, mais c’est le seul dont nous parlons vraiment dans ce pays.

Et, dans les deux cas, il y a eu des commissions d’enquête, et il en est ressorti des conclusions manifestement fausses. C’est maintenant le véritable critère d’un grand événement profond : lorsqu’ils enquêtent et qu’ils vous racontent une histoire, dans laquelle on peut presque immédiatement commencer à voir les failles et les contre-vérités. Donc, par définition, un événement profond est celui sur lequel on ne nous donne pas la vérité, et les plus grands sont ceux où on nous raconte une histoire qui peut être vraie à certains égards, mais fausse sur les points essentiels.

LS : Il y a une chose que vous analysez dans votre travail, ce sont les schémas communs à la fois au 9/11 et à l’assassinat de JFK. Tout d’abord, quand avez-vous découvert ce phénomène et qu’avez-vous ressenti à ce sujet ?

PDS : Très vite après le 9/11, je fus frappé par le fait qu’ils savaient presque immédiatement qui avait fait cela. Dans son livre Richard Clarke (Against All Enemies : Inside America’s War on Terror – What Really Happened, 2004) – il était en position d’autorité – a dit que le FBI avait une liste des pirates de l’air des avions avant dix heures du matin ce jour-là, avant le crash du dernier avion. Pour toute personne qui ne sait rien de l’assassinat de Kennedy, l’une des choses qui n’a jamais été expliquée est comment ils ont pu diffuser sur le canal de la police une description de l’homme qui avait tiré sur Kennedy, prétendument d’une fenêtre, et dont ils ont donné une description très précise : 1,80 m, 75 kilos. Ils n’ont jamais pu expliquer d’où cette description était venue. Ils l’ont finalement attribuée à un homme du nom de Howard Brennan qui était en bas ; mais il n’avait vu que la moitié supérieure de l’homme à la fenêtre, alors comment pouvait-il connaître sa taille et son poids ?

Le point intéressant fut la description de Lee Harvey Oswald dans les dossiers du FBI et de la CIA, même si elle était fausse. Ils la diffusèrent dans les 15 minutes (quand je dis diffusion, je veux dire à la radio interne de la police) à partir des fichiers du FBI et de la CIA ; et le FBI n’a jamais pu vraiment expliquer et personne n’a été en mesure d’expliquer comment cela a été possible.

Et la même chose est vraie avec le 9/11. Là aussi, une liste des pirates de l’air circulait en interne, mais deux noms ont été abandonnés à la hâte parce que l’un d’entre eux [Adnan Bukhari] était mort et que l’autre [Ameer Bukhari] n’était certainement pas dans un des avions. Cette liste, je pense qu’elle provenait de fichiers. C’est juste la première similitude entre ces deux événements profonds. Dans mon livre La Conspiration pour la guerre, je fais état de plus d’une douzaine de similitudes et depuis j’ai aussi ajouté à cette liste le modus operandi.

L’autre chose est que ces personnes ont déposé une trace écrite : Oswald a tenu un journal, et il a fait toutes sortes de choses qui ont été plus tard utilisées pour l’incriminer, bien qu’il soit mort ; et à l’aéroport Logan, Mohamed Atta et ses amis avaient laissé une voiture pleine de preuves. Ça a rendu la tâche du FBI très pratique : les auteurs, ou plutôt les coupables désignés (car il a été clairement décidé à l’avance qui allait être blâmé pour cela) auraient ainsi laissé tous ces documents comme preuves contre eux-mêmes. Je pourrais continuer encore et encore ; je ne sais pas si cela vous suffit.

LS : Eh bien, je voudrais vous poser des questions sur les canaux de communication spécifiques qui ont été impliqués à la fois dans l’affaire JFK et le 9/11. Pourquoi est-ce peut-être la plus importante similitude ?

PDS : Eh bien oui, je crois que le réseau de communication national – il a pris différents noms au fil des ans, mais c’est le réseau spécial qui a été mis en place dans le cadre de la continuité de la planification du gouvernement – remonte aux années 1950, mais ils changent son nom tout le temps. C’est une similitude que j’ai découverte plus tard. Pendant de nombreuses années, j’ai su que la White House Communications Agency [WHCA] a été un facteur dans l’assassinat de Kennedy, en rapport avec l’enquête de la Commission Warren de JFK : ils ont publié les transcriptions de la police et ils ont communiqué certains messages des services secrets, mais il était connu qu’il y avait deux canaux de la police. Les deux ont été communiqués, mais il y avait aussi un troisième canal qui a été utilisé au Dealey Plaza [lieu où a été assassiné Kennedy], celui de la WHCA.

Pendant des années, j’ai su qu’il fallait y avoir accès sans y parvenir. En 1993, quand ils ont créé une Commission d’examen des enregistrements d’assassinats, je suis allé voir cette commission et je leur ai dit qu’ils devraient se procurer ces dossiers ; mais ils n’ont pas été rendus publics. Et pourtant, la WHCA se vante sur son site internet – je suppose que vous pouvez toujours y accéder – que cet enregistrement a aidé à résoudre l’énigme de  l’assassinat de Kennedy. Et c’est très intéressant, parce que ces dossiers ne sont jamais parvenus à la Commission Warren qui était censée résoudre cette énigme.

Et puis, quand les enregistrements ont commencé à être divulgués au sujet du 9/11 – cela a pris deux ou trois ans –, nous avons eu le rapport de la commission du 9/11 et il se trouve qu’il y a certaines communications, certains appels téléphoniques dont nous connaissons l’existence, qui n’ont laissé aucune trace. Dans mon livre The Road to 9/11, j’ai dit que les preuves suggéraient qu’ils utilisaient déjà la COG – qu’ils l’avaient déjà mis en place ; donc qu’ils utilisaient le réseau de communication spécial de la COG, qui, est l’héritier du réseau d’urgence, dont la WHCA fait partie.

Je pourrais ajouter qu’un autre événement profond fut le scandale Iran-Contra, où il est avéré qu’Oliver North, en 1985-86, a envoyé des armes à l’Iran en toute illégalité, alors que beaucoup de gens dans le gouvernement ne savaient rien à ce sujet. Ils n’en savaient rien parce qu’Oliver North était en charge de ce même réseau d’urgence, et qu’il l’a utilisé pour communiquer avec l’ambassade au Portugal, par exemple, afin de faciliter l’obtention de ces armes pour l’Iran. Voilà donc pour moi un dénominateur commun.

Dans l’affaire du Watergate, qui est un autre événement profond, nous ne savons toujours pas pourquoi une écoute avait été mise en place sur le téléphone du Comité national démocrate, mais nous savons que James McCord, qui était en charge de l’équipe qui l’a installé, était membre d’un réseau nommé « Special Air Force Reserve » qui était impliqué dans la COG. Et il a été chargé de faire le même genre de chose : ².

Donc, cela me paraît un des dénominateurs communs les plus frappants de ces quatre grands événements profonds, JFK, le Watergate, Iran-Contra, et enfin le 9/11, et si jamais nous avons un autre événement profond de ce genre, je peux prédire maintenant sur la base des expériences passées que le réseau d’urgence, celui auquel les gens ordinaires dans le gouvernement n’ont pas accès, sera à nouveau utilisé.

LS : Est-ce que le Secret Service a été impliqué dans les deux événements ?

PDS : Oui, précisément à cause de ce dont nous venons de parler ; parce qu’ils utilisent la WHCA pour leurs communications. Beaucoup de livres ont été écrits sur les Secret Services et l’assassinat de JFK, certains très exagérés, et certaines personnes impliqués dans le complot. Je pense qu’il y a eu une contre-performance étrange ce jour-là ; ils n’ont pas fait les choses qu’ils auraient dû faire, ils n’ont pas enquêté sur les gens qu’il fallait. Cela ne signifie pas nécessairement qu’ils sont coupables, et je ne suis pas non plus abonné à ces théories. C’est moins évident dans le cas du 9/11, concernant les Secret Services, mais ce qui est intéressant, c’est qu’ils jouent un rôle jusqu’à un certain point. Il existe un avion spécial pour la COG, appelé le E4B, surnommé aussi le Doomsday plane [avion de l’Apocalypse : NdT], faisant référence au plan de la COG, le Doomsday Program [programme de l’Apocalypse : NdT], et cet avion a survolé la Maison-Blanche.

Aucun avion n’est jamais censé survoler la Maison-Blanche, et cependant, précisément ce jour-là, quand tout allait mal, le E4B – il est supposé être l’avion spécial pour la National Command Authority, qui comprend le Président et le secrétaire de la Défense. Mais bien sûr, aucun d’eux n’était dans l’avion : le Président était en Floride et le secrétaire à la Défense était au Pentagone, selon ses propres dires pour aider à mettre les gens sur des civières, ce qui semble une chose étrange à faire pour lui quand la nation est attaquée.

Mais l’avion était là, à la Maison-Blanche, et le Secret Service a répondu en évacuant précipitamment tout le bâtiment. Il y a une description très vivante concernant le vice-président Cheney littéralement soulevé de sa chaise pour le sortir du bâtiment en l’informant évidemment que la nation était attaquée. Il aurait été très logique, très raisonnable pour lui de rejoindre le plus rapidement possible le PEOC, le bunker d’urgence qui est sous la Maison-Blanche, utilisé an cas de menace sur la nation. Mais la chose intéressante est qu’il n’a pas été dirigé vers le PEOC ; pendant de longues minutes, il a attendu dans le tunnel à côté du téléphone qui s’y trouve. Je serais prêt à parier que ce téléphone était connecté au réseau d’urgence, et je pense qu’il l’a utilisé pour prendre beaucoup de décisions importantes, mais pas en présence des principaux conseillers qui étaient dans le PEOC.

Donc, le Secret Service est impliqué dans la mesure où c’était sa mission de l’évacuer et de rester avec lui – Cheney – quoi qu’il fasse, alors qu’il est resté dans ce tunnel pendant au moins 20 minutes, à peu près, à passer une série de coups de téléphone avec le Président et le secrétaire de la Défense.

LS : Concernant le programme de continuité de gouvernement, pourquoi est-il important d’en savoir plus, est-il toujours vraiment d’actualité ?

PDS : Eh bien, permettez-moi de commencer avec la seconde question. Oui, pour ce que nous en savons, il l’est encore…Il est très difficile d’en parler parce que personne n’a jamais publié un mot à propos de ces procédures. À ce propos nous ne savons que ce qui a été publié dans les années 1980. Mais voyons ce qui a été dit à ce moment-là et ce que nous avons vu mis en œuvre depuis : surveillance sans mandat, nous l’avons, détention sans mandat, nous l’avons aussi, et la loi martiale : le gouvernement et les militaires sont impliqués en permanence dans l’application de la loi. Il y a une brigade de l’armée qui travaille à plein temps aux États-Unis pour faire face à d’éventuelles perturbations possibles. Et… désolé, quelle était la question ?

LS : Pourquoi est-il important d’en savoir plus à ce sujet ? Par exemple, cela veut-il dire que la Constitution des États-Unis dont les citoyens U.S. sont si fiers est suspendue ?

PDS : Elle n’est pas tout à fait suspendue mais elle a été remplacée dans une large mesure. Pour les trois choses que je viens de décrire, chacune est concernée… particulièrement les deux premières. Je veux dire que la situation est très claire – l’Habeas Corpus est mentionné dans la Constitution. Il n’est pas exactement garanti par la Constitution, il est juste pris pour acquis dans la Constitution, car il remonte à la Magna Carta  au xiiie siècle. Il est l’un des plus anciens droits qui fondent les libertés de la Common Law. Il n’a pas été totalement suspendu, mais sérieusement abrogé ; s’ils veulent détenir quelqu’un, ils peuvent le faire. Et pas seulement les étrangers mais aussi les citoyens des États-Unis.

Alors oui, le statut de la Constitution a été sérieusement érodé et de plus en plus de gens commencent à en parler. Nous avons finalement obtenu un débat sérieux sur la surveillance sans garantie qui est contraire à la Constitution. Le Président a dit qu’il allait faire quelque chose, mais nous n’avons pas vu de résultats jusqu’à présent. En même temps, ils en sont non seulement à essayer de poursuivre Snowden, qui a rendu un service public, de mon point de vue, mais ils ont aussi accusé l’homme qui a fait le programme de cryptage qui a permis à Snowden de partager les documents avec Greenwald. Ils ont persécuté cet homme au point de mettre en faillite son entreprise. Donc, ils renforcent impitoyablement ce système de secret, de gouvernement secret, qui a supplanté et éclipsé le gouvernement ouvert.

LS : En ce qui concerne le 9/11, vous dites que vous n’avez qu’une seule certitude : il y a eu une dissimulation massive. Qu’est-ce qui a été couvert et pourquoi ?

PDS : Nous n’avons pas vraiment encore d’explication sur l’échec de l’interception des avions. Il est certain qu’au moins les troisième et quatrième avions auraient dû être interceptés. Une explication est proposée dans le rapport de la commission sur le 9/11, mais il y a beaucoup de choses qui sont encore vraiment inexplicables. Le comportement du vice-président a été un élément-clé dans ce domaine. Il y a eu un appel téléphonique passé pour mettre en œuvre le COG, c’est vraiment le point crucial de ce qui s’est produit. Mais il n’y a pas de trace de cet appel téléphonique. Non pas parce qu’aucune trace n’a été enregistrée, vous savez, il ne l’a pas passé à partir d’un téléphone public ou quelque chose comme ça ; je suis sûr qu’il s’agissait d’une ligne du COG et nous devons savoir ce qui a été dit.

Cela a des conséquences juridiques réelles, parce que l’une des choses à expliquer est pourquoi le vice-président a pris des décisions qu’il n’était pas légalement habilité à prendre. Nous avons une Autorité de Commandement National qui gouverne l’armée : c’est le Président et le secrétaire à la Défense. Ce que nous pouvons dire,  et ici les documents manquent, ce qui me fait supposer qu’ils ont été cachés, est que les décisions réelles ont été prises par le vice-président qui ne fait pas partie de l’Autorité de Commandement National.

Tout cela doit être investigué, car il est tout à fait possible que des crimes aient été commis en réponse au 9/11. Je ne parle même pas du 9/11 lui-même, que je n’aborde pas dans mon livre car il y a eu trop de livres écrits à ce sujet. Mais dans la réponse au 9/11, certaines choses ont été faites, qui n’ont pas suivi la lettre de la loi. Comment ont-elles été faites ? C’est couvert par le secret parce que nous ne disposons pas des dossiers.

LS : Est-ce que le 9/11 aurait pu être empêché ? Je pense que c’est une question qui est très importante pour tout ce qui a à voir avec la NSA. Est-ce que la NSA ne savait rien sur les plans pour attaquer les États-Unis ?

PDS : Nous en savons si peu sur la NSA qu’il est difficile pour moi de le dire. Il y a bien sûr des allégations, comme ce lieutenant Shaffer qui est venu nous dire que la DIA, la Defense Intelligence Agency, avait en fait des fichiers très complets sur Mohamed Atta et d’autres… Le Pentagone a nié, puis le membre du Congrès Curt Weldon l’a mis à l’ordre du jour au Congrès et voulait vraiment aller au fond des choses, mais le FBI l’a traité lamentablement. Le FBI lança le bruit qu’il était sous enquête pour une sorte d’escroquerie impliquant sa fille, ce que les journaux ont pleinement relayé ; et s’il n’a jamais été inculpé, il a été vaincu et viré du Congrès. C’était donc un signe, qui… J’ai parlé de ce sujet dans plusieurs livres, il est très dangereux pour les membres du Congrès de contester cette partie du gouvernement que j’appelle l’État profond, car inévitablement, s’ils le font, ils sont défaits lors des réélections. Je l’ai écrit avant le cas de Curt Weldon, qui en est devenu un exemple frappant.

Parlons de la CIA. La CIA connaissait certainement deux des pirates de l’air qui étaient impliqués comme pirates présumés. Je dis toujours présumés parce que je ne sais pas vraiment quel était leur rôle dans le 9/11 ; je pense qu’il est probable qu’ils se trouvaient dans les avions, mais je ne peux pas croire qu’ils aient été capables de les diriger vers les gratte-ciel. Ce fut fait d’en dehors des avions, ce qui est une technologie parfaitement réalisable au XXIe siècle. Quant à ces deux pirates de l’air… la CIA aurait dû en parler au FBI mais ils ne l’ont pas fait. Et ils pouvaient se déplacer, être en contact avec d’autres pirates de l’air. Si les procédures avaient été suivies, la CIA aurait informé le FBI, le FBI les aurait mis sous surveillance, et à partir de là, ils auraient à peu près tout su à propos des pirates. Ainsi le fait que la CIA n’ait pas communiqué quelque chose qu’elle aurait dû communiquer est l’une des causes du déroulement du 9/11.

C’est seulement une petite partie de la scène, mais c’est une partie révélatrice, et vous avez eu des échecs de communication similaires dans le cas de JFK. Voilà une autre des nombreuses similitudes, que la CIA ait envoyé un câble au FBI… non, pas un câble, un message ; ils ont envoyé un message au FBI à propos de Lee Harvey Oswald, et ils ont supprimé les informations qu’il contenait qui auraient conduit à le mettre sous surveillance. Et s’il avait été placé sous surveillance, il n’aurait pas pu jouer le rôle de coupable désigné pour l’assassinat de Kennedy. Donc, dans ce sens, je pense qu’il est très important de noter que la CIA a fait de la rétention d’information.

Je ne prétends pas savoir qui a perpétré le 9/11 et, contrairement à beaucoup de gens, je ne dis pas que la Maison-Blanche l’a fait. Non, je pense que quelqu’un dans l’État profond l’a rendu possible. Mais voyez-vous, dans ma conception de l’État profond, il y a des éléments qui ne sont pas dans le gouvernement. Donc, dire que l’État profond a fait quelque chose ne nous apprend pas grand-chose. Mais nous avons besoin d’en savoir plus, il y a encore des dossiers enterrés qui pourraient être divulgués et qui nous aideraient à comprendre ces choses.

LS : Si des éléments incontrôlés du gouvernement avaient participé au 9/11, les gens disent que quelqu’un aurait sûrement parlé aujourd’hui. Vous savez, vous ne pouvez pas garder un secret à Washington. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

PDS : Eh bien, vous savez, il y a en fait un livre sur l’assassinat de Kennedy dont le titre est Quelqu’un aurait parlé. Parce que bien sûr, ils ont dit la même chose dès le début sur l’assassinat de Kennedy, et la réponse est dans le livre : beaucoup de gens ont parlé, mais ils n’ont pas été entendus.

Et avec le 9/11, c’est la même chose… Je parlais juste du 9/11 hier soir et il y avait quelqu’un qui était prêt à jurer sur la Bible que le dernier avion, le vol 93, a peut-être été frappé et endommagé au-dessus de Shanksville, qu’une partie est tombée sur Shanksville, mais qu’il a continué parce qu’un ami, qui a parlé à un ami très proche de lui, qui a parlé à autre ami très proche,  a dit qu’il a vu un missile frapper le vol 93 sur Camp David, où se trouve le refuge du Président dans les montagnes. Et ce n’est pas dans les journaux ; ce n’est pas parce que l’homme ne parle pas, c’est parce qu’il a parlé et que le FBI est venu et lui a dit de ne pas en parler de nouveau.

En fait, c’était dans les médias. Il y a – je viens de le regarder – un reportage de la télévision de l’époque à ce sujet… le FBI a dit que l’avion avait été abattu au-dessus de Camp David et ils ont obtenu cette information de la FAA. Tout cela était à la télévision, mais cela a été retiré de la TV et la nation a oublié, ou presque toute la nation a oublié. Le E4B sur la Maison-Blanche – CNN l’a rapporté à la télévision. C’est une partie très importante de l’histoire. Mais ensuite, ils l’ont mis en veilleuse. Heureusement, quelqu’un l’avait enregistré et ils l’ont remis sur YouTube, et si vous achetez mon livre quand il sortira en novembre, vous trouverez une URL pour regarder cette vidéo de l’avion sur la Maison-Blanche. Les Forces aériennes ont nié que ce soit jamais arrivé, mais ça l’a été clairement, il y a clairement un E4B et ainsi les gens avancent… et d’autres personnes devront fournir des explications. [2]

Une chose est certaine, l’information est toujours contrôlée dans toute société et si quelqu’un dit quelque chose qui ne correspond pas à la version officielle… Nous sommes une société très ouverte aux États-Unis, enfin c’est ce qu’on dit, et les gens ne comprennent tout simplement pas de ne pas être entendus.

LS : Concernant la question de savoir si quelqu’un a parlé du 9/11, et qu’il aurait pu se produire quelque chose d’autre que ce qui a été dit au public, est important dans le cas de Sibel Edmonds. Pouvez-vous parler un peu de son cas ?

PDS : Oui, Sibel Edmonds a été une traductrice travaillant pour le FBI et elle a vu des choses, ses langues de travail étaient le turc et je pense aussi le farsi, et elle a vu… Le FBI enquêtait sur des gens et comme les agents ne parlaient pas le farsi, ils avaient besoin d’elle pour traduire des communications qu’ils avaient interceptées. Et ce qu’elle a vu était si alarmant qu’elle a essayé de le porter à l’attention de ses supérieurs.

Il y a longtemps que je surveille son cas mais, essentiellement, on lui a dit de se taire. Et finalement, elle fut mise sous une ordonnance de la cour, je crois, et à ce jour, elle ne veut pas aller en prison aussi parle-t-elle de beaucoup d’autres choses, mais elle ne va pas divulguer ce qu’elle a vu. Cependant elle a donné de solides indications que des gens très haut placés dans le gouvernement ont été impliqués dans des activités inappropriées avec d’autres gouvernements, et elle a nommé ces gouvernements, dont le gouvernement turc. Elle est un exemple, et pas le seul, de quelqu’un qui ne peut pas parler dans cette société dite libre que nous avons.

LS : La version officielle du 9/11 est basée en très grande partie sur des témoignages sous la torture. Est-ce que ça rend leur histoire sans valeur ? Et d’ailleurs, est-ce que c’est quelque chose que trop de gens ignorent ?

PDS : La partie… le rapport public sur le 9/11 de la commission est seulement une petite partie du rapport global, mais la partie qui parle de ce qu’Al-Qaïda a fait, comment ils ont planifié et ainsi de suite, oui, tout provient de personnes qui ont été torturées avant de donner leur témoignage. Certains de ces témoins qui ne sont plus détenus se sont maintenant rétractés sur ce qu’ils ont dit. Ils ont retourné une personne, Abu Zubaydah ; il a avoué être une partie de la chose nommée « Al-Qaïda » alors qu’il n’en était pas du tout. C’est une direction totalement fausse, donc je pense que tous ces témoignages devraient être retirés.

Ce ne serait pas invalider l’ensemble du rapport de la commission sur le 9/11, mais seulement certains chapitres de ce dont nous parlons, sur ce qu’Al-Qaïda a fait. Oui, ces témoignages ne doivent pas être pris très au sérieux en raison de leur manque de fiabilité. Par ailleurs, vous le savez, la commission sur le 9/11 qui voulait voir les transcriptions n’a pas été autorisée à le faire ; tout de suite cela devient très suspect. On ne leur a pas dit que les gens ont été torturés et depuis, je crois que les deux coprésidents, Thomas Kean et Lee Hamilton, se sont plaints qu’ils ont été induits en erreur par la CIA.

Et donc la version officielle qui est dans le rapport de la commission sur le 9/11, c’est un peu n’importe quoi ; sa portée a été minorée, même par les coprésidents de la commission. Donc, oui, utiliser la torture pour obtenir des témoignages ne devait pas se produire en premier lieu. Ensuite, de tels témoignages n’auraient pas dû être utilisés. Enfin, ils auraient dû être francs sur les circonstances et ils ne l’ont pas été, donc dans tous les sens, c’est une honte.

LS : Pensez-vous que l’hégémonie des États-Unis dans le monde a décliné en raison de l’action qui a suivi le 9/11 ? Par exemple, il semble que les véritables bénéficiaires de la guerre contre le terrorisme soient la Chine et la Russie.

PDS : Eh bien, laissez-moi décoder ça point par point. L’une des principales conséquences du 9/11 était l’invasion de l’Irak, et je pense qu’il n’y a presque personne qui… Tout le monde serait d’accord que la puissance américaine dans le monde et particulièrement au Moyen-Orient a été érodée en raison de l’invasion de l’Irak. Il en a résulté tout d’abord une élection, et si vous voulez la démocratie en Irak alors la majorité va se prononcer et la majorité est chiite, donc vous avez maintenant un gouvernement chiite en Irak. Et ce gouvernement est beaucoup plus amical avec l’Iran qu’il ne l’est avec les États-Unis. Beaucoup de gens pouvaient le prédire, et l’ont fait. Ce n’est pas sorcier, c’est même assez évident.

Cela a également conduit à de fortes tensions entre les États-Unis et l’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite, historiquement – est-ce qu’elle devait l’être ou pas peut être débattu – a toujours été le meilleur allié des États-Unis dans cette région. Et maintenant, il y a de grandes différences, parce que l’Arabie Saoudite était ravie de voir Saddam Hussein s’en aller, mais elle ne voulait pas d’une invasion ; car elle savait que ça déstabiliserait l’Irak, et créer cette situation – je ne veux pas dire un État en faillite, je n’aime pas cette formule –, une autorité très affaiblie en Irak, c’est très dangereux pour l’Arabie saoudite. Ils ont toutes les raisons légitimes d’être en colère à propos de ce que les États-Unis ont fait en Irak, et cela a affaibli la relation de ceux-ci avec l’Arabie saoudite.

Zbigniew Kazimierz Brzeziński, le diable qui pousse un Obama aveugle à la guerre
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Vous avez l’ensemble du Moyen-Orient aujourd’hui : Zbigniew Brzezinski l’appelait l’arc de crise en 1978 ou 79. C’est beaucoup plus qu’un arc de crise aujourd’hui que cela ne l’était alors à la suite de… Vous savez, je pense que l’invasion de l’Afghanistan était également une erreur, mais elle est beaucoup plus défendable que l’invasion de l’Irak, et les deux ont manifestement étendu ce que nous appelons Al-Qaïda. Maintenant parlons de forces d’Al-Qaïda, des gens qui font des choses semblables à Al-Qaïda, et il y a beaucoup de groupes aujourd’hui et beaucoup d’entre eux sont en fait basés en Irak à la suite de l’invasion U.S. de l’Irak. Et cela se répand en Afrique, donc je ne suis pas sûr que les bénéficiaires soient vraiment la Russie et la Chine, mais plutôt l’anarchie.

Je pense que la Russie, la Chine et les États-Unis ont tous des intérêts communs à ne pas voir le terrorisme s’étendre, et je pense que la Russie a fait savoir très clairement qu’ils aimeraient collaborer avec les États-Unis en matière de terrorisme, et il y a des moments où – en particulier Obama semblait vouloir faire plus de choses en commun avec la Russie, en Syrie par exemple, où les éléments d’Al-Qaïda sont une partie importante du problème maintenant pour la Russie comme les États-Unis.

Et puis tout à coup nous avons vu surgir la situation en Ukraine, et même sur l’Ukraine, vous pourriez vraiment critiquer ce qui est arrivé depuis le 9/11. Cela pourrait prendre plus de temps que ce que nous pouvons faire dans le temps imparti ici, mais la détérioration de l’entente entre la Russie et les États-Unis – et la situation en Afghanistan en fait partie – ce sont des situations compliquées, mais une chose est vraiment claire, c’est que la situation en Irak était une catastrophe et qu’elle a créé des tensions, et que si nous n’apprenons pas à faire face à ces tensions, nous sommes plus près du risque d’une guerre nucléaire aujourd’hui que nous ne l’avons jamais été pendant les vingt ou trente dernières années, ce qui est une situation très alarmante.

LS : Est-ce que le mouvement de la paix dans le monde n’a pas échoué, après le 9/11, dans sa protestation contre la guerre en Irak, en ne remettant pas en cause la racine de tous les maux, le récit officiel du 9/11 qui a servi de  prétexte et de justification pour aller à la guerre ?

PDS : Certes, ce mouvement de protestation contre l’idée de la guerre en Irak aurait été plus puissant si nous avions compris ce qui était arrivé lors du 9/11. Je ne pense pas qu’il soit réaliste de croire que nous aurions pu en savoir assez à l’époque – vous savez, les États-Unis y sont allés en 2003 et on n’a pas eu le rapport de la commission du 9/11 avant 2004. Donc, je ne pense que cela aurait pu aider le mouvement antiguerre en 2003, mais cela pourra certainement aider les futurs mouvements.

Je ne sais pas ce qui va se passer en Ukraine, mais… eh bien, en fait je crois que je le sais maintenant. Je pense que l’Europe intervient pour arrêter les États-Unis de devenir complètement fous. Je ne peux pas croire certaines des choses que John Kerry a déclarées récemment. Je veux dire, quand il déclare par exemple à Poutine, après la Crimée, que l’ont ne fait pas ce genre de chose au xxie siècle. Eh bien, les États-Unis ont été l’exemple le plus visible et le plus flagrant de ce genre de comportement.

Donc, je pense que les gens qui ne sont pas dans le gouvernement doivent se mobiliser autour du monde et créer une sorte d’opinion publique mondiale qui permette de contrôler – je ne veux pas dire seulement les États-Unis, mais ceux-ci et d’autres gouvernements – quand ils commencent à faire des choses excessives. Il y a eu des cas où les gouvernements ne se souciaient pas de l’opinion publique et c’était mauvais. Mais maintenant, nous commençons à développer une opinion publique, qui peut contraindre les gouvernements ; elle en a la possibilité et c’est bien.

Je pense que l’opinion publique, par exemple, fut un facteur important pour convaincre les entreprises U.S. de ne pas investir en Afrique du Sud. Et ce mouvement de rébellion, qui venait de l’opinion publique, a été un facteur important, et Nelson Mandela l’a dit aussi, un facteur important dans la libération de l’Afrique du Sud. Donc, il y a eu… l’opinion publique, au final, est ce qui a mis fin à la ségrégation dans le sud des États-Unis. Donc, c’est positif… Elle n’a pas réussi en Irak, mais il ne faut pas en tirer la conclusion, à partir d’une défaillance unique, que ces mouvements ne valent pas la peine d’être organisés. Ils le valent.

LS : Avez-vous espoir que la question de ce que qui s’est réellement produit le 9/11, sera un jour sérieusement abordée ?

PDS : Eh bien, si vous voulez dire à l’initiative du gouvernement des États-Unis, peut-être pas. Mais elle est déjà sérieusement abordée par des gens qui consacrent leur vie à elle. Je ne me considère pas comme faisant partie de ce mouvement, mais il y a de telles personnes. Je pense qu’ils ont fait des découvertes très importantes, je pense que la quantité… Le fait qu’il y avait des matières explosives a été assez bien établi – dans le bâtiment 7 et dans les deux tours. Il y a eu une enquête du gouvernement sur la raison pour laquelle les tours sont tombées – elle a été menée par le NIST (National Institute of Standards and Technology) – et le NIST a été contraint de revoir ses conclusions.

Vous savez, ils ont dit que le bâtiment 7 est tombé en 5,3 secondes, et les critiques disaient qu’une partie de ce temps se passe en chute libre, et ils ont tout simplement dit que durant ces 5,3 secondes, ce n’était pas de la chute libre. Les critiques ont donc demandé une définition plus claire ce qu’ils voulaient dire, et le NIST a produit un graphique, qui montre que, en fait, oui, pendant deux ou trois secondes la chute du milieu du bâtiment était bien une chute libre. Eh bien, si le bâtiment était en chute libre, il doit y avoir eu une sorte d’explosion pour déblayer le chemin du haut de l’immeuble vers le bas : c’est aussi clair que cela.

Donc, je pense que nous avons fait des progrès significatifs ; nous pouvons en parler sérieusement quand vous forcez le gouvernement à admettre un élément comme celui-là. Eh bien, vous savez, on est en 2014, et il n’y a pas eu de réexamen de la Commission Warren, mais presque tout le monde aux États-Unis sait que la Commission Warren n’était pas la réponse. Ainsi, dans l’opinion publique je pense qu’il y aura de plus en plus d’enquêtes sérieuses.

LS : Mais de la part de la communauté internationale, il y a une certaine pression sur les États-Unis pour se laver de ces soupçons – vous ne pensez pas que ceci puisse jamais arriver ?

PDS : Je suis un ancien diplomate. Je ne pense pas que ce soit la façon dont les gouvernements parlent aux gouvernements, non. Et je ne suis pas sûr qu’ils le devraient. Ils doivent faire face à leurs intérêts proches. Ce que nous avions besoin de voir, ce sont les gens dans le monde qui exercent ce genre de pression, et les journaux exercent ce genre de pression. Et nous avons de la chance que nous ayons d’autres pays qui parlent anglais en dehors des États-Unis, par exemple la presse britannique, qui a donné une bien meilleure présentation de ce que Glenn Greenwald a obtenu d’Edward Snowden. Et plus généralement, je pense que si un citoyen U.S. veut savoir ce qui est passe dans son pays, il devrait lire The Guardian à Londres, en Angleterre (et il peut le lire en ligne) il n’a donc aucune excuse de ne pas le faire.

Voilà le genre de chose qui peut restaurer un certain degré de bon sens dans un monde où… Je dois dire que les États-Unis sont un pays merveilleux. J’adore vivre ici. Il dispose d’un gouvernement, qui en fin de compte, je dois dire, se comporte follement. L’invasion de l’Irak était folle. Il y avait un certain nombre d’experts qui ont dit que cela fonctionnerait mal. Et quand ils ont dit que Saddam Hussein avait des armes de destruction massive, la preuve a été discréditée avant et discréditée d’une façon qu’ils ne puissent même pas l’utiliser de la manière dont ils le souhaitaient. Ces sortes de pressions de l’opinion publique sont ce que nous avons pour ramener le gouvernement U.S. à la raison.

LS : Et comment jugez-vous sur le fait qu’il n’y avait pas eu de punition pour ce mensonge à propos de la guerre en Irak ?

PDS : Nous pourrions entrer dans le détail à ce sujet. Dans mon livre American War Machine, je montre comment une société privée a conduit une enquête d’Intelligence pour savoir s’il y avait des armes de destruction massive ou pas, et ils ont conclu que oui. SAIC était le nom de cette société. Et puis ils ont ensuite décidé, quand cela s’est révélé faux, que nous devrions savoir comment nous avions pu être si mal informés. Et a qui ils ont fait payer la facture ? À la même société, SAIC.

Je suis un peu comme cet évêque, Desmond Tutu en Afrique du Sud : je pense que nous avons besoin de la vérité et de la réconciliation ; c’est ce qui est le plus important en ce moment, plus que d’envoyer des gens en prison. Nous avons besoin de la vérité de toute urgence, je serais prêt à renoncer à mettre les gens en prison si nous pouvions obtenir la vérité. Parce que si nous avions la vérité, ce serait certainement la fin, par exemple, de l’état d’urgence qui existe encore dans ce pays – renouvelé par Obama sans discussion chaque année (il doit l’être tous les ans). Puis le Congrès ferait ce qu’il est censé faire – regarder l’état d’urgence, regarder la continuité du gouvernement. Au plus la vérité sorterait de ces choses, au plus nous retournerions à un pays comme on l’a connu, ce qui était très très loin d’une situation idéale, mais beaucoup mieux que ce que nous avons avec les États-Unis d’aujourd’hui.

Wall Street : arrogance, corruption, avidité - Ce n'est pas de la trahison, c'est la croissance des profits à court terme
Wall Street : arrogance, corruption, avidité
– Ce n’est pas de la trahison, c’est la croissance des profits à court terme

 LS : Est ce que Wall Street a des intérêts au cœur même de l’État profond ?

PDS : Oui. Dans mon livre, je… la notion initiale de l’État profond concerne les institutions publiques qui ensuite sont éclipsées par la NSA, la CIA, le Pentagone et le JSOC (toutes ces nouvelles institutions secrètes) et qui est le premier niveau de l’État profond. Mais ces organismes sont puissants parce qu’ils ont des liens à l’extérieur du gouvernement ; ils ne rapportent pas seulement au Président, mais ils sont aussi (en particulier la CIA, il est facile de se documenter) très enracinés dans Wall Street, et ce mécanisme a été réellement conçu par Allen Dulles, quand il était encore un avocat de Wall Street, avant qu’il ne fasse son entrée à la CIA.

Et la CIA est aussi puissante à cause de ses liens avec Wall Street et (c’est à peu près la même chose) ses connexions aux grandes compagnies pétrolières, parce que les celles-ci étaient autrefois basées à New York, et elles fonctionnent comme un cartel qui a été défendu avec succès par Sullivan & Cromwell, qui était un cabinet d’avocats de Wall Street dont (pas par hasard) John Foster Dulles et Allen Dulles étaient des membres haut placés.

Oui, Wall Street est un maillon important. Il l’était alors, il est historiquement facile de le montrer, dans les années 1950, et je le fais dans mon livre. Il est plus difficile de le montrer maintenant, mais il y a beaucoup d’indications, je pense… L’État profond, il convient de le mentionner, est de plus en plus international, car les sociétés deviennent des multinationales. Exxon est une entreprise multinationale, et il y a des entreprises américaines, notamment Blackwater, qui est un type d’armée privée qui se transforme en divers endroits. Je crois qu’en Allemagne, votre presse a dit que Blackwater ou une de ses filiales opère en Ukraine.

LS : Oui, cela est vrai.

PDS : Ce que nous appelons une société U.S. a maintenant techniquement son siège au Qatar, dans le golfe Persique. Donc, vous ne pouvez pas la contrôler. Comment Washington peut-il contrôler une société dont le siège est dans le golfe Persique ? Vous avez trouvé l’appareil d’un État profond supranational, et nous allons avoir besoin de créer des institutions à un niveau supranational pour faire face à ces nouveaux types de sociétés, ces entreprises peuvent susciter des troubles parce que c’est rentable.

LS : Deux questions personnelles à la fin : comment gérez-vous le fait que vous êtes parfois rejeté comme un théoricien de la conspiration ? Et comment faites-vous face à la tristesse qui doit certainement être celle de vos lecteurs, étant donné votre œuvre ? Je lis vos trucs et je ressors super-déprimé. Et donc je voudrais savoir, qu’en est-il pour vous ? Je veux dire, vous êtes celui qui écrit cela, non ? Et qui doit faire face à la vérité. Comment réagissez-vous ?

PDS : Eh bien, j’ai appris à attendre de moins en moins dans ma vie. Je suis… Tout d’abord, appelez-moi un théoricien de la conspiration, c’est presque une médaille d’honneur, la façon dont le… Vous savez, les gens qui utilisent cette phrase. Ils m’associent avec des gens qui croient aux extraterrestres et ainsi de suite. Je suppose que s’ils me réfutent en parlant des extraterrestres, c’est un signe qu’ils ne veulent pas faire face à ce que je veux dire, et donc que je suppose que c’est une sorte de compliment négatif.

J’ai du mal à vous entendre, mais si vous me demandez comment je supporte psychologiquement de ne pas être entendu et ainsi de suite – ça a été difficile à certains moments de ma vie. En fait, vers 1980, je devais sortir un livre, 250 000 exemplaires à la première impression, à propos de l’assassinat de Kennedy. Et puis mon éditeur le supprima de son programme ; et je pris cela très durement. Je suis tombé dans une sorte de dépression. Mais ce fut la chose la plus chanceuse qui me soit jamais arrivée parce qu’en sortant de la dépression, j’ai commencé à écrire un poème intitulé Venir à Jakarta. Ce poème traite de la dépression, traite de la terreur et traite de toutes les choses qui m’ont vraiment bouleversé. Et ce livre qui n’a pas été publié est loin d’être aussi important pour moi que Venir à Jakarta, qui était le résultat de la suppression. Donc, je finis par me sentir un gars chanceux dans un certain sens.

Et j’ai eu un très beau second mariage, et je me sens soutenu en rencontrant des gens comme vous, Lars, en Allemagne, et je connais quelqu’un à Moscou maintenant ; j’ai mon traducteur français (Maxime Chaix) – ce sont tous des gens merveilleux, c’est un privilège de les connaître et de travailler avec eux. Et parce que j’ai toujours cru que la tâche de ma génération était de jeter les bases d’une opinion publique mondiale, une société civile mondiale, et comme je pense que je vois cela se produire, je ne me sens pas déprimé.

Je pense que c’est très fragile car cela dépend d’Internet, et Internet est un cadeau qui peut être enlevé très facilement par ceux qui sont au pouvoir, et c’est le cas d’ailleurs de temps en temps. En fait, mon site sur Facebook a été supprimé à un certain moment. Je ne sais pas pourquoi ; je pense que c’est probablement par accident, parce qu’ils voulaient vraiment attraper quelqu’un d’autre. C’est donc fragile, mais ça fonctionne, et si Internet devait être supprimé alors une autre chose renaîtrait.

Je crois en la bonté de l’espèce humaine, et je crois aussi que nous avons eu de mauvais gouvernements depuis le début des temps et nous n’avons pas fait… Vous le savez, nous avons fait des progrès à certains égards, mais nous avons également fait le contraire du progrès dans d’autres, parce que les risques que la race humaine s’autodétruise sont évidemment plus grands aujourd’hui qu’ils ne l’étaient il y a une centaine d’années, de sorte que ce ne sait pas si on a fait de grands progrès. Mais je… Dans ma poésie, je dis que je suis un idiot d’écrire sur la politique, et parfois je pense que je suis un idiot, mais je l’apprécie et je jouis de vous parler, voilà pourquoi je continue.

Peter Dale Scott

Texte traduit par Hervé, relu par JJ et Sylvain, pour vineyardsaker.fr. Préambule par Hervé.

Notes

(1) Dana Priest et William Arkin : Top Secret America : The Rise of the New American Security State, Little Brown, New York, 2011, p. 52.

(2) Peter Dale Scott fournit ce lien à son récit, lié à son prochain livre : beaucoup de gens ignorent que le matin du 9/11, lors de l’attaque sur le Pentagone, le Doomsday plane, ou E-4B, a tourné brièvement dans l’espace aérien interdit au-dessus de la Maison-Blanche (CNN retira rapidement la séquence vidéo de l’Internet, mais on peut la voir sur Youtube). Le E-4B, un produit de la planification de la continuité du gouvernement (COG), est un poste mobile de commandement de survie, basé à Offutt AFB dans le Nebraska, de l’Autorité nationale de commandement (le président et le secrétaire de la Défense, bien qu’ils ne s’y trouvaient pas ce jour-là). Son but, pour citer CNN, est « de garder le gouvernement en état de fonctionner, peu importe ce qui se passe, même dans le cas d’une guerre nucléaire, c’est la raison pour laquelle il a été surnommé le Doomsday plane pendant la guerre froide. » Sa présence le 9/11, que l’Air Force a niée, n’a jamais été officiellement reconnue ou expliquée ; officieusement, elle a été à l’époque attribuée à un jeu de guerre. Il est significatif que les plans secrets de la COG (dits Doomsday Project) aient été mis en œuvre à peu près au même moment, et remis à jour depuis. Métaphoriquement le vol E-4B au-dessus de la Maison-Blanche le 9/11 (représentée sur la couverture du livre par une image composite) symbolise la façon dont ces plans de l’État profond ont préempté l’autorité constitutionnelle, en envoyant le président contre son gré à la base de l’E-4B à Offutt, tandis que le vice-président est resté à Washington.

 

Article original en anglais : The American Deep State: Wall Street, Big Oil and the Attack on U.S. Democracy, publié le 29 octobre 2014

Traduction et introduction: 

http://www.vineyardsaker.fr/2014/11/07/letat-profond-americain-wall-street-big-oil-lattaque-contre-democratie-u-s/

Traduit par Hervé, relu par JJ et Sylvain, pour vineyardsaker.fr. Préambule par Hervé.

Présentation de l’auteur

Peter Dale Scott a étudié à l’Université McGill de Montréal et à l’University College d’Oxford. Sa thèse a été écrite sur Les idées sociales et politiques de T.S. Eliot. Il a d’abord enseigné à l’école Sedbergh et à l’Université McGill. Ensuite, il a rejoint le ministère canadien des Affaires extérieures (1957-1961) et l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne (1959-1961). De retour à la vie universitaire, Peter Dale Scott a enseigné à l’Université de Californie depuis plus de trente ans, avant de se retirer de la faculté UC Berkeley en 1994.

Ses livres en prose comprennent :

  • The War Conspiracy (1972)
  • The Assassinations : Dallas and Beyond (en collaboration, 1976)
  • Crime and Cover-Up: The CIA, the Mafia, and the Dallas-Watergate Connection (1977)
  • Introduction to Henrik Kruger’s The Great Heroin Coup : Drugs, Intelligence, & International Fascism (1980)
  • The Iran-Contra Connection (en collaboration, 1987)
  • Cocaine Politics : Drugs, Armies, and the CIA in Central America (en collaboration, 1991, 1998)
  • Deep Politics and the Death of JFK (1993, 1996)
  • Deep Politics Two : Essays on Oswald, Mexico, and Cuba (1995, 2007)
  • Drugs, Oil and War (2003)
  • The Road to 9/11 : Wealth, Empire and the Future of America (2007)
  • La Route vers le nouveau désordre mondial – 50 ans d’ambitions secrètes des États-Unis, traduction du précédent par Maxime Chaix et Anthony Spaggiari, éditions Demi-Lune (2010)
  • The War Conspiracy : JFK, 911, and the Deep Politics of War (réédition 2008 augmentée de celle de 1972)
  • American War Machine : Deep Politics, the CIA Global Drug Connection, and the Road to Afghanistan (2010)
  • La Machine de guerre américaine – La politique profonde, la CIA, la drogue, l’Afghanistan, traduction du précédent par Maxime Chaix et Anthony Spaggiari, éditions Demi-Lune (2012)

 Ses principaux livres de poésie sont les trois volumes de sa trilogie Seculum :

  • Coming to Jakarta: A Poem About Terror (1989)
  • Listening to the Candle: A Poem on Impulse (1992)
  • Minding the Darkness: A Poem for the Year 2000 (2000)

En outre, il a publié :

  • Crossing Borders : Selected Shorter Poems (1994)
  • Mosaic Orpheus (2009)

Dans ses livres en prose, Scott est particulièrement intéressé à examiner la « Politique profonde ». Il la définit de cette façon : « Toutes les pratiques et dispositions politiques, volontaires ou non, qui sont habituellement réprimées dans le discours public plutôt que reconnues. »

Le site personnel de Peter Dale Scott est : www.peterdalescott.net.

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