Lettre ouverte au Président de la République Française
Armes nucléaires
Lettre ouverte au Président de la République Française
La pétition ci-dessous a été écrite par des scientifiques français. Elle représente leurs vues personnelles, et non pas celles d’une institution ou d’une organisation quelconque. Elle s’inspire d’un texte de Kim Griest et Jorge Hirsch (voir la pétition, ouverte à la signature de tous sur le site: physics.ucsd.edu/petition).
Monsieur le Président de la République,
Nous nous adressons à vous à la suite d’informations concernant la nouvelle doctrine nucléaire en préparation aux Etats-Unis. Le document officiel «Doctrine for Joint Nuclear Operations», Doctrine des opérations nucléaires interarmes, de mars 2005, prévoit que les Etats-Unis pourront dorénavant avoir recours à des frappes nucléaires préventives («pre-emptive strikes») pour divers motifs dont les suivants (op.cit., III-1-d):
• Pour obtenir la fin rapidement favorable d’une guerre;
• Pour permettre le succès d’opérations américaines ou multinationales;
• Pour montrer la capacité et la détermination des USA à utiliser les armes nucléaires afin de dissuader leur adversaire d’avoir recours à des armes de destruction massive (nucléaires, chimiques, ou biologiques);
• Contre tout adversaire ayant l’intention d’utiliser des armes de destruction massive contre les USA, des troupes multinationales, ou des forces alliées aux Etats-Unis.
Comme scientifiques, nous sommes concernés par la question des armes nucléaires. Et nous sommes très inquiets de cette nouvelle doctrine, qui, si elle voit le jour, accroîtra considérablement les situations où les USA s’autoriseront à user des armes nucléaires.
Nous vous demandons de:
• Convaincre, par tous les moyens diplomatiques à votre disposition, les autorités des Etats-Unis de renoncer à cette nouvelle doctrine;
• Confirmer publiquement que la France n’utilisera pas ses armes atomiques contre un adversaire non nucléaire, et qu’elle entend se conformer à tous les engagements pris par elle lors de la signature du traité de non prolifération.
Cette nouvelle doctrine nucléaire américaine reviendrait à ignorer le fait que les armes nucléaires se situent à une échelle radicalement différente de celle des autres armes de destruction massive (chimiques et biologiques) et des armes conventionnelles. Qui plus est, envisager leur usage préventif contre des adversaires non-nucléaires, que ce soit des Etats ou des groupes organisés, nous parait franchir un palier dangereux. En gommant la nette distinction qui existe jusqu’à ce jour entre les armes nucléaires et non-nucléaires, on augmente les risques de prolifération des armes nucléaires. Un principe fondamental du traité de non prolifération nucléaire est qu’en échange de la renonciation à ce type d’armes par les autres états, les puissances nucléaires, dont la France, s’engagent «à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace» (article VI).
Nous craignons que l’échec de la dernière conférence d’examen de ce traité en mai 2005, et les projets actuels des USA, conduisent au contraire à accélérer la prolifération, et au désastre planétaire.
Certains que vous voudrez bien réagir rapidement et favorablement à notre requête et faire en sorte d’éviter une telle évolution, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos sentiments respectueux.
Les auteurs:
Daniel Iagolnitzer est physicien et a travaillé au service de physique théorique de Saclay. Il a participé à l’organisation de plusieurs grandes conférences scientifiques internationales à l’UNESCO.
André Landesman est physicien du solide (résonance magnétique, magnétisme, basses températures, cristaux quantiques), retraité du Commissariat à l’énergie atomique (Direction des Sciences de la Matière), participant aux mouvements associatifs européens.
Christophe Soulé est mathématicien, directeur de recherches première classe au CNRS. Il travaille à l’Institut des hautes études scientifiques à Bures-sur-Yvette. Il est membre de l’Académie des sciences.