Lettre ouverte d’un prêtre arabe de Syrie à Sa Sainteté le Pape Benoît XVI

Sainteté, Mon Père,

Depuis quelques jours, je me sens comme poussé par l’idée de vous écrire, pour vous parler de fils à père.

Ce n’est pas la première fois que je vous écris, bien que mes quatre lettres précédentes soient restées sans réponse, tant celles que je vous ai adressées par l’entremise de la Nonciature Apostolique à Damas, que celles publiées sous forme de lettre ouverte.

Si vous désirez savoir ce qui me pousse à vous écrire, je vous dirai en toute franchise que je n’écris pas dans l’espoir d’obtenir une réponse ou une prise de position. En fait, il s’agit pour moi de répondre à un appel intérieur que j’ai ressenti, pendant que je célébrais la Divine Liturgie, il y a quelques jours, en l’église Notre-Dame de Damas, où je suis en service depuis 1977. En effet, tandis que je lisais l’Évangile, les paroles de Jésus, aussi belles que décisives, sur les fauteurs de scandale à l’égard d’un seul enfant, me firent l’effet d’un choc terrible. Il s’agit du commencement du chapitre (18) de St. Mathieu. On y lit :

« En ce moment, les disciples s’approchèrent de Jésus, et dirent : Qui donc est le plus grand dans le royaume des cieux ? Jésus ayant appelé un petit enfant, le plaça au milieu d’eux, et dit : Je vous le dis en vérité, si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. C’est pourquoi, quiconque se rendra humble comme ce petit enfant sera le plus grand dans le royaume des cieux. Et quiconque reçoit en mon nom un petit enfant, comme celui-ci, me reçoit moi-même. Mais si quelqu’un scandalisait un de ces petits qui croient en moi, il vaudrait mieux pour lui qu’on suspendît à son cou une meule de moulin, et qu’on le jetât au fond de la mer.
Malheur au monde à cause des scandales ! Car il est nécessaire qu’il arrive des scandales ; mais malheur à l’homme par qui le scandale arrive ! »

Sainteté, Mon Père,

Je lisais ces versets de l’Évangile, quand je me suis surpris à vous poser, en mon for intérieur, à vous personnellement, et à travers vous, à tous les responsables des Églises d’Occident, une seule, mais impérative question. La voici :

Si Jésus considère que quiconque perturbe un seul enfant, mérite qu’on lui pende au cou une meule de moulin, et qu’on le précipite au fond de la mer, quel devrait être le sort de celui qui planifie et met à exécution depuis des dizaines d’années, des politiques programmées, qui ne visent en fait qu’à condamner des dizaines de millions d’enfants, à travers le monde, principalement dans le monde arabe et musulman, avec tous les leurs : pères, mères, frères, soeurs et grands-parents, à la terreur, à la famine, à la déshumanisation, aux maladies et à l’errance ?

Une telle question a de quoi mettre en relief, la différence terrible qui existe entre l’appel splendide de Jésus à honorer et sauver tout enfant sur terre d’un côté, et ce qui me paraît, à moi prêtre arabe catholique, être un mépris total de la part des Églises d’Occident de l’autre, du fait de leur silence consternant, face à ce que leurs gouvernements font subir au monde entier !

L’Église n’est-elle pas donc « colonne de vérité », comme l’a décrite St. Paul ? Qu’est-ce qui justifierait son existence, si elle ne clame pas la vérité ?

Je sais que mon langage vous surprendra et vous causera de la peine. Je suis assuré que nul ne vous a tenu et ne vous tiendra, ni dans les Églises d’Orient, ni dans celles d’Occident, le langage que je vous ai tenu dans le passé, et que je vous tiens aujourd’hui.

En outre, me serait-il permis d’avouer en public que ce que je dis en ce moment, je l’ai toujours porté depuis des dizaines d’années, comme une croix lourde ? Que de fois j’ai essayé d’en parler à de nombreux dignitaires ecclésiastiques, en Orient d’abord, puis au niveau des Églises occidentales, depuis ma première rencontre en 1955, à Lyon, avec ce saint évêque, « Alfred Ancel », du temps où il était supérieur de la Société des prêtres du Prado !

Il m’en coûte infiniment de déclarer pour la première fois, qu’il fut le seul à avoir essayé, avec humilité, ouverture et douleur, de connaître la vérité sur ce que l’Orient arabe a eu à endurer et continue d’endurer, par suite de la domination de l’Occident, et de ses complots successifs. Oui, il fut le seul parmi les nombreux cardinaux, évêques et théologiens, français et autres, à qui j’ai, en vain, tenu à écrire et rencontrer personnellement, tels que « Henri de Lubac », « François Marty », « Don Helder Camara », « Jean-Marie Lustiger », « Yves Congar », « Joseph Duval », « Roger Etchégaray », « Pierre Poupard », « Jean-Pierre Ricard », « Guy de Kérimel ».

Ici, je ne puis, moi prêtre arabe catholique, qu’admirer la sincérité, le courage et l’humilité du Pape Jean-Paul II. Il a osé inviter toute l’Église catholique en Occident, à réviser toute son histoire passée, pour demander pardon à Dieu et aux hommes à la fois, par suite des glissements, des erreurs, et même des péchés où elle s’impliqua, ou s’y laissa entraîner, à cause de sa collusion tenace, totale ou partielle, avec les pouvoirs temporels, ainsi que par suite de ses conflits, longs et parfois sanglants, avec ces mêmes pouvoirs, à différentes époques et dans différents pays.

En plus, Jean-Paul II se jucha au sommet de l’honnêteté et de la transparence, quand il encouragea son ami, le journaliste italien Luigi Accattoli, à condenser ses 94 déclarations, toutes aussi importantes, touchant ce passé regrettable, pour les publier en 1997.

Et ce livre parut en trois éditions à la fois, italienne, anglaise et française, avec ce titre choquant : « Quand le Pape demande pardon » !

Il est vrai que ce livre arrivait trop tard. Mais il est là !

Qu’est-ce donc qui empêche toutes les Églises Occidentales, depuis de bien longues années, de s’en prendre à ces politiques injustes, inhumaines, que l’Occident pratique systématiquement, dans une soumission aveugle et écoeurante au Sionisme international ? Et si l’un ou l’autre des responsables ecclésiastiques en Occident, n’a pas le courage, pour une raison ou pour une autre, de prendre les positions qui s’imposent, qu’est-ce qui vous empêche, vous

Autorité Suprême dans l’Église Catholique, de pratiquer votre droit et votre devoir pour défendre les damnés de la Terre ?… Seriez-vous donc en attente, dans des centaines d’années, d’un nouveau Jean-Paul II, pour demander à nouveau pardon à Dieu et aux hommes, pour le péché de massacres ou d’expulsion des Arabes Chrétiens, d’un Orient qu’ils avaient rempli de vie durant des centaines d’années, et où ils avaient vécu en convivialité avec les musulmans et les juifs, contrairement à ce qui se passait en Occident, où les chrétiens s’obstinaient à s’entrégorger pendant des centaines d’années ?

Sainteté, Mon Père,

Excusez-moi pour avoir été long. Cependant, il est encore trois points, que je me dois de soulever avant de terminer cette lettre.

Le Premier Point m’accule à m’interroger franchement sur les Composantes des divers organismes, administratifs, juridiques, spirituels, représentatifs et médiatiques, qui composent le Vatican, tant à Rome qu’à travers le monde. Or ces composantes ne seraient-elles pas soumises, comme dans toute institution humaine très antique, à des facteurs de suffisance, de vanité, de partialité, d’inertie, voire d’exploitation personnelle ? Or le Vatican est connu pour être, sans conteste, la plus ancienne institution au monde. Si donc mes craintes de prêtre catholique se trouvent, même partiellement, justifiées au niveau du Vatican, ne serait-il pas nécessaire de se hâter de réviser toutes ses administrations, au Vatican et à travers le monde ? Je précise que cela concerne aussi le choix de ses représentants, de façon à mettre un terme à la prédominance des occidentaux, particulièrement les italiens, et à offrir une large possibilité aux représentants qui appartiennent à différentes nationalités et cultures, dont les arabes.

Le Second Point touche l’antisémitisme multiséculaire et anti-évangélique, qu’ont pratiqué les Sociétés et les Églises en Occident, à l’égard des juifs. Je crains au plus haut point que cet antisémitisme n’ait plongé tout l’Occident, et particulièrement ses églises, dans un complexe de culpabilité qui a fini par les enchaîner, voire par les pousser à justifier toutes ces politiques d’occupation, de destruction, de rapine, d’assassinat et d’expulsion, que pratiquent les Israéliens, et avec eux leurs valets que sont les leaders occidentaux, et qui toutes, touchent le monde arabe et musulman depuis cent ans, et la Palestine depuis plus de 70 ans. Quant à la guerre cosmique, sans précédent, menée depuis 17 mois contre la Syrie, elle n’est, selon leur souhait, que le dernier maillon de ce plan infernal.

Y aurait-il aujourd’hui, en Occident, un seul responsable ecclésiastique, qui oserait croire qu’il y a dans le silence de ces églises, de quoi réparer le terrible péché d’antisémitisme perpétré durant tant de siècles ? N’y aurait-il pas plutôt dans ce silence même, un nouveau et plus grave péché, qui rend l’Église d’Occident, d’une façon ou d’une autre, complice des crimes de l’Occident et du Sionisme à la fois ?

Le Troisième et dernier Point concerne l’attitude des Églises d’Orient et d’Occident vis-à-vis de l’Islam et des musulmans. Ici, dans mon souci d’éviter tant d’équivoques qui se sont produits dans le déroulement de l’histoire, tant des chrétiens que des musulmans, tout comme dans le déroulement de l’histoire de tous les peuples, je juge de mon devoir de rappeler un événement historique vraiment typique, dont seul l’Islam peut se prévaloir. Car, en fait, l’Islam, lors de sa conquête de la Syrie, de l’Égypte et de l’Espagne, a inauguré un type de relation avec les pays conquis, que n’a connu aucun autre conquérant, ni avant lui, ni après lui. En effet, il a su se comporter avec les habitants chrétiens de tous ces pays, ainsi qu’avec les juifs, avec magnanimité, grandeur d’âme, sagesse et clairvoyance. Aussi a-t-on dit que l’Islam Syrien est un Islam modéré, quant à sa foi, son comportement et sa convivialité avec les non-musulmans.

Or la guerre menée ces temps-ci contre la Syrie, se propose d’y provoquer une guerre de religion entre musulmans et chrétiens d’un côté, et même une guerre de religion entre les musulmans eux-mêmes, de l’autre. N’est-ce pas d’ailleurs cela qu’a dit expressément Mr Kissinger, quand il a déclaré, il y a trois mois : « Il nous faut détruire l’Islam Syrien, car c’est un Islam modéré » ?

Ici je trouve que les Églises du Monde Arabe se doivent en premier lieu de sauver aussi bien l’Islam modéré, que les arabes chrétiens. Elles se doivent aussi de chercher à sauver l’Occident poussé par le Sionisme, à mener une guerre ouverte contre l’Islam modéré, et à fomenter un Islam extrémiste, qui ne tardera pas à le submerger à son tour, par son extrémisme et sa violence. En conséquence, les Églises d’Orient sont dans la nécessité d’unifier leurs positions en toute honnêteté et avec courage. Il est déjà tard. Elles devraient donc s’entourer d’une élite d’historiens, de penseurs et d’experts en politique, aussi bien chrétiens que musulmans, pour délivrer enfin un programme de pensée et d’action, en ces circonstances, exceptionnelles et décisives. Il est à souhaiter que ce programme soit adopté, totalement ou partiellement, par le synode extraordinaire qui se tiendra à Rome sous votre présidence, le 10 Novembre prochain.

Car cette affaire ne devrait pas être laissée aux mains de gens qui, comme lors du « Synode pour l’Orient » qui s’est tenu à Rome le 10/11/2010, risquent, dans leur ensemble, de ne pas comprendre que le sort du monde dépend de la qualité des relations entre l’Occident d’un côté, et le Monde Arabe et Musulman de l’autre.

Sainteté, Mon Père,

Je vous prie de m’excuser, car j’ai été long et franc. Je sollicite de votre Sainteté une bénédiction d’amour pour le Monde Arabe et Musulman, et un mot fort de vérité pour un Occident « séduit par le matérialisme, la sensualité et la célébrité, au point d’avoir presque perdu les valeurs ».

Sainteté, Mon Père,

Veuillez agréer mon affection et mon respect filiaux.

Pr. Elias ZAHLAOUI
Église Notre-Dame de Damas
Koussour – Damas, le 30/7/2012



Articles Par : Pr. Elias Zahlaoui

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