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L’Europe a constitué deux équipes dans un match pour ou contre la Russie
Par Olivier Renault
Mondialisation.ca, 29 avril 2022
Observateur continental
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Les sanctions au niveau de l’UE contre la Russie ont été rapidement décidées sous la supervision de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Ces sanctions ont provoqué un clivage au sein des pays de l’UE car, ils sont, maintenant, divisés en deux camps, et ces deux camps représentent, à peu près, des poids politiques identiques pour influencer la politique, exactement comme les joueurs de deux équipes de foot qui s’affrontent.

Une irritation notable non seulement à Kiev, mais aussi dans de nombreuses capitales européennes, a été provoquée par la déclaration de l’ancien chancelier autrichien et actuel ministre des Affaires étrangères de l’Autriche, Alexander Schallenberg, qui a proposé de donner un régime spécial de coopération pour les Ukrainiens en échange de l’admission de l’Ukraine à l’Union européenne. C’est que, pour Alexander Schallenberg, Kiev n’est catégoriquement pas prête, même pour le statut de pays candidat et, peut-être, ne pourra jamais l’être.

Der Standard précise que L’irritation a été déclenchée par une interview publique que Alexander Schallenberg a accordée au journaliste Ivo Mijnssen du Neue Zürcher Zeitung lors du sommet des média de la semaine dernière à Lech am Arlberg, une interview, d’ailleurs en ligne sur Viméo mais en allemand.

Cette déclaration a été faite juste dans le contexte de négociations actives pour que l’Ukraine obtienne le statut de candidat membre de l’UE. Pour rappel, le 28 février, la mission de l’Ukraine auprès de l’UE indiquait sur son compte Twitter: «Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a signé un document historique – la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’UE», rajoutant, «Félicitations, Ukraine! L’histoire est en cours de création maintenant».

Et, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a officiellement remis à l’envoyé de l’Union européenne à Kiev un questionnaire rempli sur l’adhésion à l’UE lundi 18 avril. Il a déclaré qu’il pensait que cette étape permettrait à son pays d’obtenir le statut de candidat «en quelques semaines. L’Ukraine peut devenir candidate après que la Commission européenne a examiné sa candidature.

La déclaration de Schallenberg aurait pu être présentée comme son «opinion personnelle», mais presque simultanément avec lui, la ministre autrichienne de l’énergie, des transports, de l’écologie et de la technologie, Leonora Gewessler, a déclaré aux journalistes que l’Autriche «dépend à 80% du gaz russe» et «un embargo sur le gaz n’est actuellement pas possible». Selon Vienne Online, elle n’a, cependant, «pas exclula résiliation des contrats d’approvisionnement conclus avec la Russie jusqu’en 2040». C’est une tâche très ambitieuse qui ne peut pas arriver maintenant.

La ministre des Grünen a tweeté: «Nous devons sortir du gaz naturel russe. C’est la seule bonne réponse à l’attaque russe contre l’Ukraine». Dans un autre tweet, elle invite les Autrichiens à réduire leur consommation: «Nous devons réduire notre consommation de gaz. Chaque chaudière à gaz que nous échangeons nous rend plus indépendants. Nous devons augmenter notre propre production. Nous pouvons produire nous-mêmes du biogaz et de l’hydrogène vert en Autriche». Elle a aussi évoqué la recherche de gaz ailleurs: «Et nous avons besoin de nouveaux pays fournisseurs. Cela signifie étendre les relations existantes – à la Norvège ou au Qatar. Et cela signifie: l’Autriche participe dans une large mesure à l’achat commun de gaz de l’UE».

Les autorités autrichiennes restent, ainsi, toujours dans la position qui explique qu’un rejet rapide du gaz russe en Europe est impossible. La même opinion au sein de l’UE était, récemment, partagée par la Bulgarie, la Hongrie et l’Allemagne. Mais, les autorités allemandes, qui subissent de très fortes pressions (tant diplomatiques que publiques), disent déjà qu’il est possible d’accélérer le processus d’abandon non seulement du pétrole de la Russie, mais aussi du gaz.

Les appels à l’UE pour imposer un embargo sur le pétrole viennent de Kiev. Le ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire, a ,aussi, récemment annoncé la nécessité d’une telle démarche. On sait déjà qu’une telle option pourrait figurer dans le sixième paquet de sanctions que les autorités de l’UE s’apprêtent à mettre en vigueur dans un avenir proche. Certes, certains pays pourraient bénéficier d’un soulagement car ils auront le temps de remplacer complètement le pétrole russe par des approvisionnements provenant de sources alternatives au plus tôt d’ici la fin de cette année.

Cependant, l’arsenal de pression sur l’Allemagne ne se limite pas aux appels à un embargo pétrolier. Le journal britannique The Telegraph, par exemple, a proposé d’imposer des sanctions aux politiciens allemands à moins qu’ils n’adoptent une position plus ferme contre le Kremlin. Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, un ancien boxeur qui a longtemps vécu et joué en Allemagne, où il est bien connu, a plaidé pour le gel des comptes de l’ancien chancelier, Gerhard Schröder.

Le même ancien chancelier fédéral d’Allemagne a, récemment, déclaré qu’après la fin de la confrontation russo-ukrainienne, l’Europe devra encore renouer des relations avec Moscou, car les Européens, selon Schroeder, n’ont pas le choix.

La rhétorique de plus en plus dure contre la Russie vient des politiciens de nombreux pays de l’UE. Il s’agit, tout d’abord, de la Pologne, de la Lituanie, de la Lettonie, de l’Estonie, mais aussi de la République tchèque. Ici, vous pouvez ajouter les pays scandinaves et l’Espagne. Il y a aussi l’attitude de la France qui poursuivra clairement ce cap après la réélection du président Emmanuel Macron.

L’Autriche et la Hongrie resteront certainement du côté de l’Allemagne. En plus d’eux, la Bulgarie et la Grèce, qui ont déjà refusé de fournir des armes à l’armée ukrainienne, pourraient se retrouver dans ce camp. Sofia et Athènes l’ont expliqué par le fait que leurs arsenaux pourraient devenir déficients et qu’alors, si nécessaire, ils ne seraient pas en mesure de défendre avec succès leurs propres frontières ou de remplir leurs obligations envers les partenaires de l’Otan.

La question au sujet des sanctions permet de voir l’existence d’ une Europe à «deux vitesses». Auparavant, il s’agissait de différentes vitesses de développement économique. La ligne de démarcation longeait approximativement l’ancienne frontière entre l’Otan et les anciens pays du Pacte de Varsovie. Maintenant, -chose intéressante à observer- les Européens se trouvent être divisés entre ceux qui, comme l’Allemagne et l’Autriche, ont fait le choix au cours des dernières décennies pour des raisons économiques avec l’énergie bon marché de la Russie, et tous les autres, qui, par souci de sécurité, veulent abandonner le pétrole russe et son gaz dès que possible.

Actuellement, personne n’a un avantage décisif dans ce différend. Un match entre deux équipes a, donc, lieu. Plus banalement, il est d’ores et déjà possible de dire que la Realpolitik est, de nouveau, de mise sur l’échiquier politique.

Olivier Renault

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