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Liban: démission d’Hariri contre l’Iran
Par Richard Labévière
Mondialisation.ca, 09 novembre 2017
Investig'Action
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La démission, vendredi dernier, du Premier ministre libanais Saad Hariri sonne comme un coup de tonnerre supplémentaire dans les cieux déjà passablement tourmentés des Proche et Moyen-Orient. Cette décision spectaculaire fait suite à l’appel du président américain Donald Trump, lancé le 20 mai dernier depuis Riyad, d’« isoler l’Iran ». Elle intervient dans la phase ultime d’une révolution de palais en Arabie saoudite qui a vu, samedi dernier, l’arrestation d’une trentaine de princes et d’hommes d’affaires. Enfin, elle survient dans un contexte stratégique dominé par la reprise en main de la presque totalité du territoire syrien par l’armée gouvernementale et ses alliés russes, iraniens et du Hezbollah libanais.

La défaite de l’axe américano-israélo-saoudien

Avec la libération de Deir ez-Zor par l’armée gouvernementale syrienne, l’opposition armée et ses soutiens sunnites – Arabie saoudite, Qatar, Emirats arabes unis, Koweït, etc. – sont aux abois. En reprenant le contrôle des régions de l’est de la Syrie, l’armée syrienne et ses alliés, non seulement libèrent des zones pétrolières qui seront essentielles pour la reconstruction du pays, mais surtout opère leur jonction avec les forces de Bagdad sur la frontière avec l’Irak, une bande de quelque 650 kilomètre entre la Jordanie et la Turquie.

« L’épouvantail d’un « couloir chi’ite » tant redouté par Washington, Riyad et Tel-Aviv ressurgit comme un spectre panique », souligne un ambassadeur européen en poste à Beyrouth, « à tel point que pour retarder cet inéluctable retournement, les forces spéciales américaines présentes dans la zone ont poussé des groupes kurdes à faire alliance avec les dernières unités combattantes de l’organisation « Etat islamique » (Dae’ch) encore déployées dans l’est de la Syrie ».

Deir ez-Zor était le dernier centre urbain aux mains de Dae’ch en Syrie, depuis la chute de Rakka mi-octobre. Après avoir contrôlé un tiers du pays, Dae’ch est aujourd’hui acculé dans la vallée de l’Euphrate. Le 7 octobre dernier, le général américain Robert Sofge, numéro deux de la coalition internationale anti-Dae’ch, estimait qu’environ 2 000 combattants jihadistes se cachent dans le désert environnant. Les deux victoires de Rakka et de Deir ez-Zor ne signifient certainement pas la fin de Dae’ch.

« Bien qu’extrêmement amoindrie, l’organisation a recomposé des cellules dormantes dans les zones libérées et se réoriente déjà vers des actions traditionnelles de guérilla, avec le soutien de plusieurs groupes kurdes », confirme une source militaire européenne, ajoutant : « l’axe américano-israélo-saoudien perdra cette guerre et c’est l’Iran et la Russie qui vont y gagner… »

Malgré les protestations américaines, les troupes irakiennes ont débarrassé les zones frontalières avec la Syrie de l’essentiel des groupes salafistes. Des milices irakiennes ont même franchi la frontière pour aider les troupes syriennes à reprendre Abu Kamal, la dernière localité contrôlée par Dae’ch. Il est certain que cette jonction favorisera une collaboration militaire entre la Syrie et l’Irak, cauchemar de Washington, de Tel-Aviv et de Riyad.

Les États-Unis avaient prévu de prendre Abou Kamal avec les unités des Forces démocratiques syriennes (FDS) – leurs forces supplétives kurdes. Malheureusement pour eux, les forces gouvernementales syriennes les ont pris de vitesse. Durant plusieurs journées consécutives, les bombardiers Tu-22M3 à long rayon d’action de la Russie, ont soutenu l’offensive syrienne par des raids d’importance effectués directement depuis la Russie. Le Hezbollah a engagé plusieurs milliers de combattants.

Parrainé par l’Arabie saoudite en Irak et en Syrie, Dae’ch a, donc été anéanti, L’Irak a retrouvé sa souveraineté nationale et la Syrie est en passe de reconquérir la sienne. Dans les deux cas, les forces armées gouvernementales ont empêché les Kurdes de s’approprier une partie du territoire et déjoué les tentatives de relancer la guerre civile à leur profit. Face à cet échec des Etats-Unis qui misait sur une « partition », appelant pudiquement à l’instauration d’un « fédéralisme », la reconquête de la quasi-totalité du territoire national syrien relance une dynamique de revanche et de nouveaux irrédentismes.

Les propos de Benjamin Netanyahou, le 5 novembre à la BBC, confirment involontairement cette évolution et la défaite de l’axe américano-israélo-saoudien : « la démission de Saad Hariri veut dire que le Hezbollah a pris le pouvoir, ce qui signifie que l’Iran a pris le pouvoir. Ceci est un appel à se réveiller ! Le Moyen-Orient vit une période extrêmement dangereuse où l’Iran mène une tentative pour dominer et contrôler toute la région… Quand tous les Arabes et les Israéliens sont d’accords sur une chose, le monde doit l’entendre. Nous devons stopper cette prise de contrôle iranienne ». Dans tous les cas de figures, chaque fois qu’une nouvelle menace cible l’Iran, c’est le Liban qui trinque.

Fin d’une révolution de palais

Désormais, l’Arabie Saoudite et ses satellites du Golfe (à l’exception notoire du Qatar) cherchent un autre théâtre d’où ils pourraient défier et fragiliser l’Iran pour compenser la perte de la Syrie. L’impérieux désir de renverser la donne régionale pourrait les amener à tenter de reprendre pied au Liban. Les États du Golfe, Israël et les États-Unis ne veulent pas que l’Iran récolte les fruits d’une victoire en Syrie.

Ironie de l’histoire : le Premier ministre libanais (qui a un passeport saoudien) a démissionné sur ordre de l’Arabie Saoudite, en Arabie Saoudite, en direct sur la télévision saoudienne Al-Arabia. Dans sa lettre de démission, rédigée par des fonctionnaires du palais saoudien, il accuse l’Iran d’ingérence étrangère dans la politique libanaise. Une rumeur prétend également qu’un assassinat de Saad Hariri était planifié au Liban, ce qui n’a aucun sens nous ont confirmé plusieurs responsables des services de la sécurité intérieure libanaise, même si des proches du Premier ministre affirment que ce sont les services de renseignement français qui l’auraient averti. A Beyrouth, ces derniers démentent formellement « cette rumeur sans fondement ». D’autres sources évoquent un montage du Mossad…

Toujours est-il que la démission du Premier ministre libanais en Arabie saoudite est concomitante avec une spectaculaire arrestation de princes et particulièrement les puissants chefs de la Garde nationale et de la Marine. Riyad a décidé de bloquer les comptes bancaires du prince milliardaire Walid ben Talal et de dix autres dignitaires saoudiens. Une trentaine d’anciens ministres et d’hommes d’affaires ont été arrêtés dans la nuit de samedi à dimanche dernier, au nom de la lutte contre la corruption. Des porte-parole du Palais annoncent que quelques mille milliards de dollars pourraient être ainsi récupérés. Mais d’autres voix régionales plus avisées avancent que « sous prétexte d’une improbable lutte contre la corruption, il s’agissait surtout pour le nouveau pouvoir installé à Riyad d’achever sa révolution de palais en écartant les personnalités saoudiennes ne partageant pas les nouvelles options de Mohamad Ben Salman, à savoir un rapprochement avec Israël et un durcissement de la confrontation avec l’Iran, le Qatar et les mondes chi’ites ».

La démission surprise de Saad Hariri parachève une révolution de palais qui intervient en pleine reprise des négociations internationales sur la Syrie. En visite en Iran, le 1er novembre dernier, Vladimir Poutine a confirmé sa détermination à poursuivre le processus d’Astana par une prochaine réunion des différentes composantes de l’opposition à Sotchi. A Genève, le représentant spécial du secrétaire général de l’Onu, Staffan de Mistura a prévu une nouvelle session de pourparlers entre l’opposition et le gouvernement syrien le 28 novembre prochain.

Au début de la semaine, Thamer al-Sabhan, le ministre saoudien des Affaires du Golfe, avait menacé le Hezbollah libanais et annoncé des surprises à venir. Se référant à l’un de ses tweets à l’adresse du gouvernement libanais, le ministre d’ajouter : « j’ai envoyé ce message au gouvernement parce que le parti de Satan (de Hezbollah s’entend) y est représenté et que c’est un parti terroriste. Le problème n’est pas de renverser le gouvernement, mais plutôt de renverser le Hezbollah ».

Hassan Nasrallah appelle au calme

Dimanche soir, lors d’une allocution télévisée, le secrétaire général du Hezbollah s’est montré rassurant en soulignant que « l’escalade politique verbale ne change rien à la réalité régionale ». Il a appelé les Libanais au calme et à ne pas céder à trois rumeurs colportées par ceux qui cherchent à provoquer une crise constitutionnelle : un projet d’assassinat contre Saad Hariri, une frappe israélienne et un plan saoudien pour attaquer le Liban.

Hassan Nasrallah a répondu point par point en expliquant, en substance : l’annonce d’un projet d’assassinat est « totalement fantaisiste » ; l’agenda de Tel-Aviv n’est pas identique à celui de Riyad et ne peut envisager des frappes dans le contexte actuel ; enfin, l’Arabie saoudite n’a pas les moyens d’attaquer le Liban. On peut ajouter… alors qu’elle perd en Syrie, qu’elle s’enlise au Yémen et qu’elle réprime la rue à Bahreïn, tandis que les dernières arrestations pourraient susciter des réactions de la rue et cristalliser une crise de régime qui couve depuis plusieurs mois !

Par ailleurs, le chef du Hezbollah a estimé que la démission de Saad Hariri n’est pas sa décision personnelle et qu’il faut attendre son retour au Liban pour qu’il s’explique devant ses pairs, peut-être ce jeudi, à moins que le Premier ministre libanais ne soit retenu en Arabie saoudite – en résidence surveillée, voire en prison ? Avec l’intelligence politique qu’on lui connait, Hassan Nasrallah a soigneusement évité d’accabler Saad Hariri personnellement, préférant remonter à la source de cette démission surprise : l’Arabie saoudite !

Sur la même longueur d’onde, des proches du président du Liban, Michel Aoun ont déclaré que cette démission – annoncée depuis un pays étranger – est anticonstitutionnelle. Le Président refuse d’en prendre acte avant d’avoir entendu, de la bouche de l’intéressé lui-même, les raisons d’une telle décision. A l’unisson, les deux responsables politiques ont demandé le retour physique de Saad Hariri sur le territoire libanais, afin de prendre les mesures adaptées.

Avant même l’annonce de la démission de Saad Hariri, Samir Geagea – le patron des Forces libanaise (FL) – avait, lui-aussi multiplié les attaques en direction du Hezbollah. Toujours en phase avec Tel-Aviv et Riyad, le leader d’extrême-droite cherchera, sans doute, à tirer profit de la situation pour affaiblir ses concurrents du camp chrétien en se présentant comme la seule alternative possible à la succession du président Michel Aoun.

D’autres conséquences sont à craindre. L’administration américaine pourrait en profiter pour annoncer de nouvelles sanctions contre le Hezbollah et le Liban. L’Arabie saoudite continuera à infiltrer au Liban une partie de ses combattants de la Qaïda et de Dae’ch en Syrie et en Irak. Comme depuis plusieurs décennies, la monarchie wahhabite financera de nouvelles opérations terroristes au Liban et dans d’autres pays de la région, ciblant des objectifs chi’ites et chrétiens. Sans prendre le risque de déclencher une guerre d’envergure, Israël poursuivra vraisemblablement harcèlements et provocations à l’encontre du Hezbollah le long de la frontière sud du Liban, de même que ses violations quotidiennes des l’espace aérien et des eaux territoriales du Pays du Cèdre.

En réponse à un article très étrange de Médiapart consacré la démission de Saad Hariri, Bernard Cornut – collaborateur de prochetmoyen-orient.ch-, a envoyé une réponse qui mérite d’être diffusée : « l’article cite le 1,5 million de réfugiés comme source de l’instabilité du Liban et la guerre en Syrie comme la cause de ces réfugiés. Il omet de mentionner la raison principale du déclenchement et de la prolongation de cette guerre, à savoir le feu vert d’Hillary Clinton au soutien financier et à l’armement massif des rebelles mercenaires engagés en Syrie, via les bases américaines installées en Turquie (Incirlik et Hatay) et en Jordanie, comme l’a reconnu récemment très clairement Hamid Ben Jassem, l’ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar dans un entretien télévisé le 25 octobre dernier. Il précisait ainsi ce qu’il avait déjà reconnu dans une interview du 15 avril 2017 au Financial Times, citant sa visite au roi Abdallah d’Arabie dès le début des événements de Syrie pour assurer cet appui massif illégal à des rebellions illégales.

L’ancien ministre du Qatar déclare :

« au sujet de la Syrie, dès que les événements ont commencé, je suis allé en Arabie saoudite rencontrer le roi Abdallah. Cela faisait suite aux consignes de son Altesse (feu le père de l’actuel prince du Qatar). Je lui ai dit ça se passe comme ça (en Syrie) ! Il m’a répondu : nous sommes avec vous. Occupez-vous de cette affaire et nous nous coordonnons avec vous… mais prenez l’affaire en mains ». Et nous l’avons pris en mains ! Je ne veux pas donner de détails, mais nous avons beaucoup de documents et preuves à ce sujet. Tout ce qui partait (en Syrie) allait en Turquie en coordination avec les forces américaines. Toute distribution se faisait à travers les forces américaines, les Turcs, nous-mêmes et nos frères syriens, tous les militaires étaient présents ».

Richard Labévière

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