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Limogeage du Secrétaire à la Défense Chuck Hagel: La Maison Blanche veut une poursuite plus agressive de ses objectifs militaires
Par Patrick Martin
Mondialisation.ca, 26 novembre 2014
wsws.org
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Le secrétaire américain à la Défense, Chuck Hagel, a présenté sa démission lundi et le président Obama l’a acceptée lors d’une brève cérémonie tenue dans la roseraie de la Maison Blanche. Obama a si généreusement loué Hagel qu’on aurait pu croire qu’il allait recevoir une promotion au lieu d’être rudement renvoyé du gouvernement.

Les spéculations vont bon train dans les medias américains quant aux raisons du renvoi de Hagel et à l’identité de son éventuel successeur. Bien qu’on attende encore une description claire de ce qui s’est passé, il n’y a guère de doute semble-t-il qu’il a été limogé parce que la Maison Blanche voulait une poursuite plus agressive de ses objectifs militaires, notamment au Moyen-Orient.

Le mois dernier, Hagel aurait adressé un mémoire furieux à la Maison Blanche critiquant ce qu’il considérait être l’échec du Conseil de sécurité nationale sous la conseillère à la Sécurité nationale Susan Rice, à spécifier une politique cohérente par rapport à l’intervention militaire des Etats-Unis en Irak et en Syrie. Il aurait aussi, semblerait-il, des divergences avec la politique gouvernementale en Ukraine mais qui n’ont pas encore été rendues publiques.

Certaines informations suggèrent que Hagel avait résisté aux efforts entrepris par la Maison Blanche de viser le régime Assad en Syrie, ayant le sentiment que ceci contrecarrait l’effort militaire déployé par les Etats-Unis contre l’Etat islamique en Irak et en Syrie (EI) qui lutte à la fois contre le gouvernement de Bagdad, appuyé par les Etats-Unis, et le régime de Damas, appuyé par l’Iran. Il a aussi soutenu les exigences de commandants militaires dans la région en faveur d’une plus grande flexibilité dans l’utilisation de leurs forces.

Mais il y a une multitude d’autres points de désaccords au sein de l’appareil militaire et du renseignement au sujet du renforcement militaire américain dans la région Asie-Pacifique, de la confrontation en cours avec la Russie en Ukraine et en Europe de l’Est, et de la gestion de nombreux conflits au Moyen-Orient, en Iran, en Irak, en Syrie, au Yémen, en Egypte et en Libye, pour ne citer que les plus explosifs.

Il y a des indications que Hagel avait perdu le peu de soutien dont il avait bénéficié jadis de la part des hauts gradés de l’armée, en partie du moins parce qu’il n’était pas un bureaucrate se battant de façon aussi efficace sur les questions budgétaires du Pentagone que ses deux prédécesseurs immédiats, Robert Gates et Leon Panetta. Même les ressources gargantuesques régulièrement mises à la disposition de l’armée américaine furent épuisées par l’ampleur sans précédent des opérations menées outre-mer par les Etats-Unis – du Pacifique à l’Asie centrale, en passant par le Moyen-Orient et l’Afrique occidentale jusqu’à l’Europe.

Au cours des derniers mois, le général Martin Dempsey, président du Comité des chefs d’état-major des forces armées, le plus haut gradé, avait efficacement volé la vedette à Hagel lors de points presse et autres forums publics et il jouirait du soutien de la Maison Blanche pour une attitude plus agressive dans la guerre contre l’EI.

Le limogeage de Hagel eut lieu deux jours après la divulgation officielle par la Maison Blanche de projets prévoyant d’élargir considérablement les activités militaires américaines en Afghanistan en 2015 et en 2016, revenant sur l’engagement d’Obama que les opérations de combat y prendraient fin le 31 décembre. Deux semaines avant, Obama avait annoncé vouloir doubler les effectifs militaires américains en Irak dans le cadre de la campagne contre l’EI.

Hagel, ancien sénateur républicain du Nebraska et ancien combattant de la guerre du Vietnam, n’était pas une « colombe » mais il avait de toute évidence des réserves quant à l’efficacité d’un déploiement plus agressif des forces militaires américaines, notamment de troupes au sol.

USA Today, a intitulé ainsi une tribune sur son limogeage : « Le départ de Hagel signale un retour à l’état de guerre » et y fait allusion à l’escalade militaire à la fois en Irak et en Afghanistan. NBC News publia une information identique, citant « une source proche de Hagel et des hauts responsables du Pentagone » et disant qu’« au lieu d’arrêter deux guerres, nous les relançons. »

Le limogeage d’un secrétaire à la Défense n’est pas une bagatelle. C’est là l’un des postes les plus importants de l’Etat capitaliste ; il arrive en sixième position dans l’ordre de succession à la présidence (après le vice-président, le président de la Chambre des représentants, le président provisoire du Sénat, le secrétaire d’Etat et secrétaire au Trésor). Le secrétaire à la Défense dirige l’une des plus grandes organisations de la planète comptant plus de deux millions de personnels militaires et civils et un million de personnels travaillant sous contrat, ainsi que des ressources plus importantes que celles des armées des quinze pays suivants réunis.

Depuis la constitution du Département d’Etat en 1947, il y a eu trois cas de ce type où le secrétaire de la défense a été limogé au bout de la sixième ou septième année d’une présidence de deux mandats, et dans chaque cas, ce fut le signe d’une grave crise de l’impérialisme américain.

Fin 1967, Robert McNamara remettait sa démission au président Lyndon Johnson au moment où la position américaine s’effondrait au Vietnam. Il avait quitté ses fonctions au moment précis où l’offensive du Têt, en février 1968, indiquait une éventuelle défaite américaine dans la guerre.

Fin 1987, Caspar Weinberger présentait sa démission au président Ronald Reagan sous le coup de sa mise en accusation imminente pour avoir autorisé des livraisons illégales d’armes à l’Iran, dans le cadre du scandale de l’affaire Iran-Contra.

Fin 2006, Donald Rumsfeld fut contraint de quitter son poste par le président George W. Bush dans le contexte d’une dégradation de la position américaine en Irak et après que le Parti républicain ait perdu le contrôle de la Chambre des représentants et du Sénat lors des élections de mi-mandat.

Huit ans plus tard, Hagel est limogé après la déroute du camp démocrate lors des élections de mi-mandat tenues ce mois-ci, après la décision d’intensifier les opérations militaires américaines en Afghanistan, en Irak, en Syrie, et sur fond de confrontations avec la Russie au sujet de l’Ukraine et avec la Chine au sujet de l’Asie-Pacifique.

Il est trop tôt pour identifier avec précision quelles questions furent déterminantes dans le limogeage de Hagel. Ceci étant en partie due au fait qu’il n’y eut pas de débat public au sujet des divergences politiques au sein du gouvernement ou de celles entre la Maison Blanche et le Pentagone.

La politique américaine a acquis un caractère de plus en plus complexe où des décisions de vie et de mort sont prises à huis clos au moyen d’intrigues et de provocations, de fuites délibérées et de fausse information intentionnelle. La population américaine est totalement exclue de ce processus.

Durant les mois qui ont précédé l’élection du 4 novembre, Obama était engagé dans une série de discussions de haut niveau dans le but de s’orienter vers une politique beaucoup plus agressive mais pas le moindre indice n’en fut révélé aux électeurs avant le scrutin. Selon certains rapports, il était en pourparlers avec Hagel en octobre, qui conduisirent finalement au limogeage de ce dernier.

La population américaine aura tout aussi peu à dire au sujet des changements de politique militaire et étrangère qui seront introduits avec le choix du successeur de Hagel. Les spéculations des médias se sont immédiatement concentrées sur Michele Flournoy qui avait occupé la position de numéro trois au Pentagone sous Gates et Panetta.

Alors que la presse s’est surtout intéressée au fait que Flournoy devait devenir la première femme à diriger le Pentagone, la véritable signification de son choix est un tournant prochain vers une politique anti-insurrectionnelle plus agressive tant an Afghanistan qu’en Irak et en Syrie. Elle est cofondatrice du centre de réflexion Center for a New American Security (CNAS) et fut une promotrice démocrate influente de la fameuse ‘poussée’ militaire américaine en Irak sous Bush, en 2007. Une fois nommée par Obama, elle avait préconisé une politique identique en Afghanistan en 2009-2010 où le gouvernement avait triplé le nombre de soldats américains déployés.

Selon un article publié dans The Guardian, Flournoy aurait été choisie par les généraux pour succéder à Hagel. Elle « jouit encore d’un large soutien parmi les généraux de haut rang et les amiraux de tous les services, quelque chose que Hagel n’a jamais connu et que Panetta avait dû construire, » a écrit le journal. « Sa nomination au poste de secrétaire à la Défense serait immédiatement considérée comme l’indice qu’une approche révisée des Etats-Unis contre l’Etat islamique (EI) était en route, montrant probablement une érosion dans les restrictions existant au combat américain. »

 Patrick Martin

Article original, WSWS, paru le 25 novembre 2014

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