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L’ingénierie du vivant et la mort. Parle-t-on encore de la même humanité?
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 04 avril 2013

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«Et rose elle a vécu ce que vivent les roses, l’espace d’un matin»

Malherbes

 

Nous avons dans une précédente contribution, traité de l’homme réparé et augmenté du fait des promesses de la science. Parmi les autres promesses de la science, l’allongement de la vie, voire la jouvence éternelle paraissaient être des asymptotes utopiques. La nature nous donne des exemples de durée de vie selon les espèces. On dit qu’un chien qui a une douzaine d’années est équivalent à l’âge d’un vieillard. A côté des éphémérides, ces fameux papillons qui durent l’espace d’une journée, on dit que le homard ne meurt que par prédation. Les tortues peuvent vivre deux cents ans et les séquoias, plusieurs milliers d’années. Depuis plus d’un siècle et suite aux règles d’hygiène, à la vaccination, aux antibiotiques et au réfrigérateur, la mortalité a considérablement chuté, à commencer par la mortalité infantile. Tout est donc une question de cinétique, de dégradation de l’organisme vivant qui peut être catalysée par des facteurs endogènes (génétiques) ou endogènes accident. La science nous dit qu’il n’y a pas de prédestination. Tout dépend de la qualité du capital initial.

Les conquêtes de la science dans le domaine de la biologie

Qui n’a au monde jamais rêvé d’avoir un 6e sens? Ou même de disposer de facultés supérieures à la normale, de tout voir, de tout entendre mieux que n’importe qui? Cette possibilité vient aujourd’hui de franchir un nouveau pas dans la réalité avec la prouesse réalisée par des chercheurs de l’Université Duke aux Etats-Unis. Ces derniers ont inventé un implant cérébral qui permettrait de percevoir de la lumière normalement invisible à notre oeil: les infrarouges. Des chercheurs américains sont parvenus à mettre au point un implant cérébral qui donne la capacité de percevoir la lumière infrarouge que nos yeux ne peuvent normalement pas distinguer. Vision, audition, goût, odorat, toucher, oui mais…» (1)

Le patrimoine génétique d’un individu peut être catalogué et on saura à l’avance son espérance de vie ou sa propension à développer des maladies grâce au code à barres! «Des chercheurs catalans, écrit Hervé le Crosnier, ont publié en novembre [2010] leurs travaux: comment introduire un «code-à-barres» (sic) dans les cellules d’un embryon. Cette analyse cherche à débusquer ce qui crée un nouveau risque moral, éthique, déontologique, et même scientifique pour une société qui, non seulement accepte, mais aussi promeut ce type de pratiques. Irons-nous vers le règne des «bébé-design», quand les parents vont «choisir sur mesure» les caractéristiques de leur progéniture? Ou saurons-nous résister à cette forme biopolitique de domination? En termes éthiques, «éviter toute réification de l’embryon». La notion de «processus embryonnaire en cours» témoignerait peut-être de l’énigme qui entoure la nature exacte de l’embryon aux premiers stades de sa vie. Quoi qu’il en soit, et en raison même de cette énigme, le Comité affirme son attachement à l’idée selon laquelle l’embryon humain doit, dès sa formation, bénéficier du respect lié à sa qualité.» (2)

La mort est-elle inévitable?

Du point de vue biologique, la mort peut être vue comme l’absence de vie, c’est-à-dire l’arrêt des réactions biochimiques au sein des cellules qui, comme des petites usines, convertissent les aliments en carburant grâce à l’apport de l’oxygène. Cette énergie est alors utilisée pour faire fonctionner l’organisme. Jean-Luc Pujo écrit: «La mort semblait une évolution biologique inévitable: la loi universelle de la vie. Le corps s’use progressivement, la médecine ne pouvant que ralentir cette dégradation inévitable. Pourtant, les découvertes biologiques récentes apportent une autre vision. La mort semble plutôt la conséquence d’une forme de ´´suicide cellulaire´´ qui se produit à un âge, différent selon les espèces… mais qui n’a rien d’obligatoire ni d’inévitable.» (3)

Laurent Alexandre, auteur de l’ouvrage Le recul de la mort: L’immortalité à brève échéance? écrit: «La génomique et les thérapies géniques, les cellules souches, la médecine des protéines-chaperons et des nanotechnologies réparatrices, l’hybridation humain-machine, le développement de toutes ces nouvelles connaissances vont permettre l’émergence d’une médecine de la résilience, oeuvrant à un recul important de la mort. Ce progrès entraîne cependant des conséquences importantes pour l’espèce humaine, estime Laurent Alexandre, docteur en médecine.» (3)

«Très longtemps, poursuit l’auteur, vécue entourée des proches, la mort s’est désocialisée, cachée et médicalisée à partir des années 1950. La techno-médecine va engendrer une seconde révolution: après la mort cachée et honteuse, sa biologisation et son grignotage technologique. Ce recul de la mort a déjà débuté avec le remplacement d’organes par la transplantation ou leur suppléance par des médicaments, ainsi qu’avec la médecine de la ressuscitation (réanimation lors des arrêts cardiaques, par exemple). Mais le processus va connaître une accélération foudroyante. La mort de la mort sera la plus vertigineuse conséquence de ce que les spécialistes nomment la ´´grande convergence NBIC´´ (nanotechnologies, biologie, informatique et cognitique)».(3)

Les conséquences de l’immortalité: une utopie dangereuse pour l’éthique?

Laurent Alexandre s’interroge si en arrivant à reculer les limites de ma mort, on ne crée pas un problème éthique et social. Il écrit: «La génomique et les thérapies géniques, les cellules souches, la médecine des protéines-chaperons et des nanotechnologies réparatrices, l’hybridation humain-machine (dont les implants cochléaires utilisés dans les surdités neurologiques, sont la plus spectaculaire réalisation à ce jour) permettent d’envisager une croissance de l’espérance de vie en bonne santé beaucoup plus rapide que ce que la société envisage généralement. Il est probable que l’espérance de vie doublera déjà au cours du XXIe siècle, et l’obtention d’une quasi-immortalité ne serait plus qu’une question de temps. (…) La médecine de la résilience deviendra le réacteur nucléaire de la société. Le contrôle social exercé par le complexe médico-industriel générera des oppositions politiques et philosophiques majeures et la bio-politique deviendra l’épicentre d’un débat démocratique, profondément remanié par l’allongement de la vie.» (3)

 «La mort, conclut l’auteur, joue un rôle psychologique fondamentalement bénéfique. (…) Notre existence ne tire-t-elle pas une partie de son sens de sa brièveté?? (…) Une société où l’espérance de vie serait très longue, serait confrontée à un risque majeur de surpopulation. Le malthusianisme démographique sera un réflexe partagé, pour maintenir une surface (terrienne) suffisante par habitant… (…) Dans un monde sans mort, l’humanité se cherchera de nouvelles valeurs. Le conflit avec les religions prônant de croître et de se multiplier pourrait devenir aigu. Cette évolution pourrait être à l’origine de la création de nouvelles religions et sectes, à ce moment charnière pour l’avenir de l’humanité, mais le rôle de l’argent pourrait aussi radicalement changer. La culture et l’art, qui constituent deux remparts universels contre notre effroi devant la mort, survivront-ils à la vie éternelle?»(3)

Les tentatives de création de la vie

Mieux encore plus que de réparer l’homme, on peut faire revenir à la vie un organisme mort. Ce qui était du domaine de la création au sens religieux commence à être banalisé. Des scientifiques sont parvenus à créer pour la toute première fois une cellule ´´zombie´´. Il s’agit d’une cellule morte qui reste malgré tout toujours fonctionnelle. Un organisme mort peut-il encore biologiquement fonctionner? Face à une telle question, la majorité d’entre nous, fans de science-fiction mis à part, serait tentée de répondre ´´non´´. Et pourtant, des scientifiques américains viennent de dévoiler une prouesse qui pourrait nous pousser à revoir notre copie. Pour la toute première fois, ceux-ci seraient parvenus à créer une cellule ´´zombie´´ qui, bien que morte, resterait active et fonctionnelle. ´´Nos cellules zombies jettent un pont entre la chimie et la biologie en créant des cellules qui, non seulement ressemblent comme deux gouttes d’eau à elles-mêmes, mais sont aussi capables de travailler sans relâche´´, a souligné Bryan Kaehr.» (4)

Rien n’arrête le mouvement de la science, on apprend que non contente d’offrir à terme, l’immortalité, elle ambitionne – avec le savoir actuel- de faire revenir à la vie des espèces mortes. «A l’occasion d’une conférence tenue à Washington DC, des scientifiques ont discuté sur la possibilité de ressusciter 24 espèces aujourd’hui éteintes. Le monde de demain pourrait bien devenir celui de ´´Jurassic Park´´ (…) Parmi les candidats potentiels qui pourraient un jour repeupler la Terre, les scientifiques ont mis en évidence 795 espèces dont 24 emblématiques. La sélection s’est faite selon des critères de désirabilité (le spécimen en question présente-t-il une fonction écologique intéressante, est-il apprécié par les humains?) de faisabilité (les échantillons récoltés sur son ADN sont-ils exploitables?) et de capacité de réadaptation (pourra-t-il être introduit dans un habitat naturel?). En tête du classement, on compte ainsi notamment, le célèbre Dodo (éteint depuis la fin du XVIIe siècle), le Tigre à dents de sabre (disparu depuis 11 000 ans), le Mammouth laineux (totalement disparu il y a 4 000 ans. Cependant, conclut le chercheur, il pourrait falloir encore de nombreuses années avant que la ´´de-extinction´´ ne prenne vraiment forme.» (5)

Ce que prévoit la science dans le « futur immédiat »

La science avance sans état d’âme . Le 28 janvier dernier, Le «Human Brain Project» (HBP), qui fédère plus de 80 institutions de recherche européennes et internationales, a été créé. Il a pour but de trouver des traitements contre les maladies du cerveau, comme celles liées à l’âge, en reconstruisant sur ordinateur un cerveau humain. Le projet devrait coûter 1,19 milliard d’euros. En Europe, 127 millions de personnes souffrent de dysfonctionnements de leur cerveau, notamment parce que la population européenne est vieillissante. Selon le neurobiologiste Henry Markram, qui dirige le Human Brain Project (HBP), la seule façon de répondre à ce défi majeur du XXIe siècle est d’utiliser la puissance du réseau Internet ainsi que l’expérience acquise lors de projets scientifiques. Lorsque suffisamment de connaissances auront été rassemblées et que la puissance des ordinateurs sera suffisante pour simuler avec précision le cerveau humain (d’ici une décennie), il devrait alors être possible de tester l’efficacité d’une molécule définie et de voir en détail le comportement des neurones et de leur connectome. Plus que jamais, le XXIe siècle semble être celui des neurosciences et de la nanotechnologie.(6)

Dans le même ordre d’une futurologie à notre portée profitant de la liberté que nous offre le premier avril d’offrir un poisson… je propose au lecteur, toujours dans le sillage du transhumanisme, cet article de Laurent Sacco qui imagine l’immortalité et fait parler un chercheur travaillant sur le Human Brain Project: «… En nous basant sur les travaux de Kenneth Hayworth et ceux en cours du Human Brain Project, nous pensons qu’il devrait être possible, non seulement de télécharger la conscience d’une personne sur un support non organique, mais également de faire revenir des morts à la vie, pourvu que l’on dispose d’informations suffisantes sur leur cerveau et sur leur vie. Pour le prouver, nous prévoyons de ressusciter Albert Einstein.» (7)

L’homme réparé, augmenté, «éternel» a-t-il encore besoin du divin?

Comme conséquence du recul des limites par la science, la mort pourrait se réduire aux causes accidentelles, criminelles et au suicide. Si l’humanité vieillit artificiellement, la qualité de vie, malgré les conquêtes de la science va s’en ressentir et de plus, il y aura forcément un problème entre les nouveaux et les anciens. Arrivera-t-on alors au contrôle de la qualité de vie et du nombre d’individus, une forme d’eugénisme. Ce qui nous amène à la prophétie de Aldous Huxley qui avait décrit dans son ouvrage Le meilleur des mondes, un monde d’heureux «La mort de la mort» serait, à terme, inévitable. Mais elle va nous obliger à revisiter tous les fondements de l’humanisme. Une réflexion d’anticipation qui fait froid dans le dos, tant la ´´nature humaine´´ pourrait en être bouleversée. Pas vraiment réjouissant de s’imaginer en cyborg avec des sentiments informatisés.

«Dans le meilleur des mondes, tout est bien plus aseptisé, plus de livres, plus de Dieu ni croyances, plus de doute, plus de famille, juste le travail, le loisir. Pas de maladie, pas de vieillesse, chacun à sa place parcourt sa vie organisée ainsi. Les habitants vivent sous ´´soma´´ une espèce de drogue qui efface tous les doutes, rend heureux et permet d’oublier, cette drogue est largement distribuée partout (restaurant cinémas ´´sentants´´ au travail etc.» (8)

Conclusion

On le voit, il y a un mystère! Cela démontre une fois de plus que les cellules s’adaptent, se transforment, résistent dans tous les milieux extrêmes. Tout est, sans cesse, dans la nouveauté, l’amélioration, la régénération et ceci, vers un but ultime, la perfection.

Cependant, qu’on le veuille ou non, le combat entre la science et les religions monothéistes est plus que jamais d’actualité. Tout a commencé quand Copernic a mis à mal le mythe géocentrique. Ce fut l’affolement dans l’Eglise, plus «inquisitante» que jamais. Galilée en sait quelque chose. Condamné à abjurer le fait que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil, son avocat eut cette phrase célèbre: «Galilée ne vous dit pas comment aller au ciel, il vous dit comment est le ciel.»

La lutte est sourde et aucune religion n’est épargnée. Elles font, tantôt preuve de concordisme tantôt de mépris envers la science qui pendant ce temps avance, faisant fi des inquiétudes de tout un chacun en face du mystère de la mort. Les religions invoquent en dernier ressort : l’éthique de la vie ;  rien n’y fait partout dans les pays occidentaux, la définition de l’éthique est devenue de plus en plus élastique, comme le montre, à titre d’exemple le débat actuel  en France sur la procréation, les cellules souches : les souverainistes de la science dénoncent le retard pris par la science en n’autorisant pas les manipulations génétiques.  Dans d’autre pays comme aux Etats Unis, il y a bien longtemps que l’éthique est jetée par-dessus bord ; on se souvient en effet, au début des années 80 du siècle dernier, comment une Cour de justice californienne a donné raison à un biologiste Chatabarsky qui  a breveté pour la première fois une bactérie…ouvrant la voie  à tous les docteurs Frankenstein de la Terre dont l’ambition est de remplacer la création !

Il vient que le secours des religions convoqué, notamment par l’espérance d’un au-delà meilleur pour ceux qui ont été «exemplaires »n’arrive pas à apporter des réponses satisfaisantes  qui permettent au croyant potentiel de continuer à être rationnel  Devant une science conquérante qui nous dit qu’il n’y a pas de fatalité , bien que tout ce joue dans le bagage génétique il est possible de « bricoler » de réparer, d’augmenter d’une façon ou d’une autre l’espérance de vie.  A défaut de nous promettre le meilleurs des mondes, la science peut nous promettre un monde meilleur…

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz


1. http://www.maxisciences.com/vision/ des-rats-acquierent-un-sixieme-sens-grace-a-un-implant-cerebral_art28655.html

2. Herve Le Crosnier: un code-barre pour identifier les embryons Investig’Action 16 122010

3. Jean-Luc Pujo «Biopouvoir: Menaces pour l’Humanité?» La Tribune.fr – 18/12/2008

4. Maxime Lambert http://www.maxisciences.com/cellule/des-chercheurs-creent-la-toute-premiere-cellule-zombie_art28701.html 22 février 2013

5. Emmanuel Perrin http://www.maxisciences.com/esp%e8ce-disparue/les-scientifiques-selectionnent-24-especes-disparues-pour-les ressusciter_art29039.html 27 mars 2013

6. Laurent Sacco, Human Brain Project Futura-Sciences 30 01 2013

http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/cp_hbp_def.pdf 28 janvier 2013

7. L. Sacco, le_human brainproject_nous_ rendra-t-il_immortels 104 2013 Futura-Sciences

8. http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/ extraits-d-ouvrages/article/le-meilleur-des-mondes-d-aldous-133197

 

 


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