Premières nations du Canada – L’inondation historique d’Obishikokaang

Mois national de l’histoire autochtone

Juin est le Mois national de l’histoire autochtone, qui vise à reconnaître l’histoire, le patrimoine et la diversité des Premières nations, des Inuits et des Métis au Canada. Le 21 juin, plus précisément, est la Journée nationale des peuples autochtones. En ce mois où nous célébrons cette journée nationale des tout premiers habitants de notre pays, je voudrais saisir cette opportunité pour partager avec nous une histoire peu connue, une injustice subie par les peuples des Premières Nation d’Obishikokaang (peuple des Premières Nations de Lac Seul) dans le Nord de l’Ontario au Canada.

Capture d’écran partielle de la carte des Premières nations et des traités de la province d’Ontario, Canada. Source : https://granderie.ca/board/secondary/indigenous-education-new/first-nations-and-treaties-map-ontario-1

La découverte il y a quelques jours de 215 corps d’enfants dans une fosse commune sur le site d’un ancien pensionnat autochtone à Kamploos en Colombie-Britannique a ému non seulement le Canada, mais aussi le monde entier. L’humanité découvre avec effroi une partie des horreurs, de l’injustice et de l’atrocité qu’ont connues les Autochtones du Canada. Injustice et atrocité dues à la colonisation. Cette triste nouvelle, souligne l’importance d’améliorer notre compréhension de l’histoire, du patrimoine, de la diversité et de la culture autochtones et de travailler à une reconnaissance respectueuse, à la collaboration et à la réconciliation.

Mémorial dédié aux victimes de l’inondation des sept clans originaux d’Obishikokaang (photo : Sovi)

Un “génocide culturel”

Selon la commission de vérité et réconciliation du Canada,

«Pendant plus d’un siècle, les objectifs centraux de la politique indienne du Canada étaient les suivants: éliminer les gouvernements autochtones, ignorer les droits des Autochtones, mettre fin aux traités conclus et, au moyen d’un processus d’assimilation, faire en sorte que les peuples autochtones cessent d’exister en tant qu’entités légales, sociales, culturelles, religieuses et raciales au Canada».

Si les pensionnats autochtones ont été pour le gouvernement un instrument du “génocide culturel” des populations, d’autres actions ont été utilisées pour détruire l’esprit, la culture et l’identité des peuples autochtones dans notre pays.

Dans cet article, nous parlerons de l’inondation historique d’Obishikokaang. Une histoire très peu connue du public en générale et surtout du public francophone en particulier. Car n’ayant pas été assez racontée. Une recherche par exemple sur les moteurs de recherche en ligne, ne donne pratiquement rien sur le sujet. Cet écrit est en grande partie, le récit de la traduction littérale du texte de la plaque commémorative implantée sur le site du barrage hydroélectrique à Ear Falls en Ontario. Site que nous avions visité en octobre 2015, et où nous avions, pour la première fois, été mis au courant de cette tragédie qu’ont connue les populations autochtones de cette contrée. 

Anishinaabeg d’Obishikokaang : Lac Seul Première Nation

Lac Seul Première Nation (LSPN) est une nation signataire du Traité No 3 dont les terres de réserve sont situées sur les rives du lac Seul, dans le nord-ouest de l’Ontario.

En 1928, le Canada a approuvé la construction du barrage hydroélectrique d’Ear Falls à la sortie du lac Seul. La construction du barrage a été achevée en 1929. Après la mise en eau du barrage, celui-ci a fait monter le niveau d’eau du lac Seul de plus de trois (3) mètres, inondant plus de 11 000 acres de terres de la réserve.

L’inondation a eu des répercussions négatives sur la chasse et le piégeage, a détruit les terres à foin, les jardins et les rizières, et a transformé une communauté des Premières Nations de Lac Seul (PNLS) en île.

En 1943, le gouvernement fédéral a versé à la PNLS 50.263 $ en compensation pour les terres inondées. Les terres sont toujours sous l’eau et le resteront dans un avenir prévisible a soulignée un article de la canadian broadcasting corporation (CBC). Le Canada n’a pas tenté de négocier une cession légale des terres de réserve des PNLS, même s’il savait que le barrage causerait des inondations et des dommages subséquents aux terres.

Selon l’information inscrite sur la plaque commémorative du site à Ear Falls, « Les Anishinaabeg d’Obishikokaang vivent dans la région du Lac seul depuis que les glaciers se sont retirés pendant la période de glaciation rapide. C’est leur territoire traditionnel, reconnu comme un don de Giche-Manidoo (le créateur suprême). Pendant des générations, les rassemblements des retrouvailles d’été de ce peuple ont servi de centre spirituel à Midewiwin,(1) la Grand Medicine Society des Ojibwés.

Pendant des milliers d’années, les Anishinaabeg du Lac Seul ont vécu de façon prospère grâce à leurs pratiques traditionnelles de chasse, de piégeage, de pêche et de récolte. Avec l’expansion vers l’ouest du Canada, le peuple Obishikokaang a adhéré au Traité no 3 de 1873 par le biais d’une adhésion en 1874, signée par Napanayyahgaynum (chef John Crow Martin, plus tard Cromarty). Ce traité promettait au peuple du lac Seul la réinstallation sur un ensemble spécifique de terres de réserve, et s’engageait à ce qu’il puisse continuer à chasser, piéger, pêcher et récolter. Le chef et les aînés ont soigneusement choisi l’emplacement de la réserve en vue de préserver leur mode de vie traditionnel. L’endroit offrait un accès généreux à la pêche et au piégeage, à une eau douce et à un rivage idéal pour la culture du riz sauvage.

Le barrage hydroélectrique sur le lac Seul

Au début du XXe siècle, la demande d’électricité dans le Nord-Ouest de l’Ontario a augmenté. Le système rivière-lac du lac Seul a été identifié comme un réservoir prometteur pour la production d’hydroélectricité et le contrôle des inondations en aval. Les travaux ont commencé à la fin des années 1920.

En 1934, à l’insu et sans la permission des Anishinaabeg d’Obishikokaang, le barrage a été mis en eau et le lac s’est élevé de 12 pieds (3,6 m) inondant les terres de la réserve. Les habitants d’Obishikokaang sont revenus d’un hiver de piégeage pour trouver leur établissement d’été, situé le long de la rive de la réserve, complètement sous l’eau.

Barage hydroélectrique de Ear Falls sur le lac seul sur le territoire de Premières Nation Obishikokaang

Source : CBC

Quatre-vingt-deux maisons de la réserve ont été détruites, ainsi que les maisons du conseil, les fermes, les granges, les terrains de pow-wow et les terrains sacrés de Midewiwin. Des centaines de personnes du Lac Seul Première Nation, se sont retrouvées sans abri et de nombreuses familles ont dû quitter la réserve pour survivre. L’inondation du lac a affecté les ressources dont les habitants du lac Seul dépendaient pour leur subsistance. Le bois, les marécages à rats musqués et les zones agricoles ont été perdus et les lits de riz sauvage, essentiels, ont été décimés.

Un devoir de mémoire pour une réconciliation réelle

Un mémorial est dédié aux membres des sept clans originaux d’Obishikokaang qui se sont retrouvés sans abri et sans ressources à la suite de l’inondation du lac Seul en 1934, ainsi qu’aux membres qui ont perdu la vie dans cette tragédie peu publicisée.

Notre relation avec les peuples autochtones devra plus davantage être fondée sur le respect de leurs cultures distinctes, de leur histoire, de leur relation unique avec leurs terres et de leur statut juridique.

Enseigne du site du barrage hydroélectrique Ear Falls sur le territoire de Premières Nation Obishikokaang (Photo : Sovi)

L’affaire du barrage hydroélectrique sur le lac Seul a été portée devant les tribunaux et est encore en instance devant la cour suprême du Canada.

Parmi les impacts de l’inondation décrits par Lac Seul Première Nation, la communauté située à 40 kilomètres au nord-est de Sioux Lookout, figurent la destruction de maisons et de rizières sauvages et la profanation de tombes, qui continuent d’être perturbées par la fluctuation des niveaux d’eau.

La revendication de la Nation décrit également comment les inondations de la réserve ont perturbé les activités de chasse, de pêche et de récolte, soutenant que cette perte a poussé de nombreuses personnes à quitter la réserve pour trouver des moyens de subsistance ailleurs. 

Raymond Angeconeb, membre du conseil de Bande, a déclaré qu’en date d’aujourd’hui, « nous avons environ 900 résidents dans la réserve et il y en a environ 2500 hors de la réserve. «  

En 2017, la Cour fédérale a tranché en faveur de LSPN, estimant que le Canada avait manqué à ses obligations envers la Première Nation en ce qui concerne le projet hydroélectrique, conformément aux dispositions du Traité 3 et de la Loi sur les Indiens. 

Les motifs du jugement s’ouvrent sur une ligne d’une note de service du ministère des Affaires indiennes, rédigée en 1937 : « S’il s’était agi d’une colonie blanche, personne n’aurait osé inonder la propriété, sans payer une compensation avant que l’inondation ait lieu. » 

« Je considère que ces Indiens ont été traités de façon très mesquine« , disait également le mémo.

Un devoir de mémoire s’impose pour tous les Canadiens si nous voulons une réelle réconciliation avec les Autochtones et ceci, pour un Canada inclusif et rayonnant pour lequel nous souscrivons tous.

Sovi L. Ahouansou

 

Sources consultées :

Note: 

(1) La Midewiwin ou la Grand Medicine Society est une religion secrète de certains des peuples autochtones des régions des Maritimes, de la Nouvelle-Angleterre et des Grands Lacs en Amérique du Nord. Ses pratiquants sont appelés Midew, et les pratiques de Midewiwin sont appelées Mide.

 

Sovi L. Ahouansou, a une formation multidisciplinaire en sciences sociales et sciences naturelles. Spécialisé en développement rural et protection de l’environnement, il détient une ​maîtrise en études de développement de l’Université de Genève (Suisse), d’un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) en développement rural de l’Université Laval (Québec/Canada) et d’un ​certificat d’études supérieures spécialisées en évaluation et gestion environnementale​s​ de Niagara Collège (Ontario/Canada). Nantis d’une expérience professionnelle dans le développement participatif, il a travaillé dans plusieurs pays en Afrique (Bénin, Côte-d’Ivoire, Guinée, Ghana) et en Europe (Suisse). Actuellement au Canada, Il travaille dans le développement participatif avec les communautés locales sur plusieurs questions de développement dont le renforcement des capacités et les questions d’intégration en milieu minoritaire.



Articles Par : Sovi L. Ahouansou

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