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L’Iran sera une puissance nucléaire à part entière d’ici fin 2020 – l’accord de 2015 est caduque
Par Elijah J. Magnier
Mondialisation.ca, 10 septembre 2019
ejmagnier.com 9 septembre 2019
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Le président français Emanuel Macron n’a pas réussi à promouvoir son initiative iranienne auprès des Etats-Unis malgré la bénédiction initiale de son homologue américain. Cet échec a conduit l’Iran à opérer un troisième retrait progressif de l’accord nucléaire JCPoA, ce qui soulève deux gros problèmes. L’Iran est devenu une puissance régionale avec laquelle il faut compter, de sorte que nous pouvons à présent oublier les termes “se soumettre” ou “s’incliner devant la communauté internationale”. De plus, puisque l’Europe n’est apparemment plus en mesure d’honorer ses engagements, l’Iran ira  désormais vers un retrait total à travers de nouveaux retraits progressifs. Juste avant les élections américaines de novembre 2020, l’Iran devrait devenir un pays nucléaire ayant toute capacité de produire de l’uranium enrichi à plus de 20 % d’uranium 235*, et donc en mesure de fabriquer des dizaines de bombes nucléaires (pour lesquelles l’uranium doit être enrichi à environ 90 %). Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que cela soit l’objectif ultime de l’Iran.

Les données industrielles montrent que la moitié de l’effort est consacrée à l’enrichissement de 0,7 % à 4 %. Si l’Iran atteint le niveau de 20%, il sera presque au bout de ses peines. Des dizaines de milliers de centrifugeuses sont nécessaires pour atteindre un taux d’enrichissement de 20 %, mais quelques centaines suffisent pour passer de 20% aux 90% nécessaires à la bombe nucléaire. Quand l’Iran annoncera qu’il a atteint un niveau considéré comme critique par l’Occident, il est possible qu’Israël engage une opération militaire contre l’Iran, comme il l’a fait en Irak en 1981, en Syrie en 2009, et en assassinant des scientifiques du nucléaire. Si cela se produit, le Moyen-Orient connaîtra un séisme à l’issue imprévisible. Mais si Israël et les Etats-Unis ne peuvent pas riposter au retrait total du JCPoA (accord nucléaire) de l’Iran, l’Iran ne reviendra plus à l’accord nucléaire de 2015. Sa position sera grandement renforcée et un accord deviendra difficile à conclure.

Des sources au sein du cercle décisionnel affirment que “l’Iran deviendra un Etat avec une pleine et entière capacité nucléaire. Le pays vise également l’autosuffisance et prévoit de ne plus devoir compter uniquement sur ses exportations de pétrole pour boucler son budget annuel. Il commence à développer de nombreux secteurs de fabrication et il va certainement accroître ses activités de développement et de production de missiles. La technologie des missiles s’est avérée être le moyen de dissuasion le plus efficace et le moins coûteux pour l’Iran et ses alliés au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen”.

L’Iran suit une “stratégie de patience” depuis que le président américain Donald Trump a illégalement révoqué l’accord nucléaire. Téhéran a laissé à l’Europe une année entière pour trouver un moyen d’inciter l’Iran à rester dans le cadre de l’accord nucléaire avec 4 pays (France, Russie, Chine, Royaume-Uni) + 1 (Allemagne), à l’exclusion des États-Unis. Après cette longue période d’attente, l’Iran a pris les choses en mains et le pays se retire progressivement de l’accord. Il semble que Trump n’ait rien appris du président Obama qui a signé l’accord parce qu’il était convaincu que les sanctions américaines seraient inefficaces.

Mais l’Iran ne manque pas une occasion de faire valoir ses arguments. Le ministre iranien des Affaires étrangères Jawad Zarif a abrégé sa visite à Pékin pour aller au G7 rencontrer, en France, les dirigeants européens, à la demande du président Macron. Il semblait y avait une chance que l’Iran puisse vendre son pétrole et que Macron ait réussi à surmonter les tensions américano-iraniennes.

Le président iranien Hassan Rouhani a pensé que c’était une réelle opportunité d’apaiser les tensions, et que Trump, selon notre source à Téhéran, était prêt à assouplir les sanctions en échange d’une rencontre et d’un début de discussion. C’est pourquoi Rouhani a ouvertement déclaré qu’il était prêt à rencontrer n’importe qui, si cela pouvait aider. Mais Zarif a découvert avec surprise que Macron ne tenait  pas ses promesses, car Trump avait changé d’avis. L’initiative est mort-née et tout le monde est revenu à la case départ.

Macron a compris que le problème ne venait pas du président américain, mais de son consigliere**, le Premier ministre Benyamin Netanyahou, et de son équipe néo-conservative Pompeo-Bolton. La réunion entre la ministre française des Forces armées, Florence Parly, et le chef du Pentagone, Mark Esper, était une tentative pour convaincre le secrétaire américain à la Défense de se distancer de Pompeo-Bolton, avant que la situation ne devienne incontrôlable et qu’il ne soit plus possible d’arrêter l’Iran.

“Trump a rejeté la proposition française d’offrir à l’Iran une ligne de crédit de 15 milliards d’euros (pas de dollars). Ce crédit est un droit que l’Iran a acquis en acceptant de vendre à l’Europe 700 000 barils de pétrole par jour dans le cadre d’un accord signé. Du fait des sanctions décidées par les États-Unis à l’encontre de tous les pays ou  entreprises achetant du pétrole iranien, l’Europe n’a pas honoré l’accord. Le montant de 15 milliards d’euros a été calculé par le vice-ministre des Affaires étrangères, Abbas Araghchi, et les représentants européens. L’accord était que l’Iran vendrait du pétrole à l’Europe pour ce montant, et pourrait acheter des produits qui, à l’origine, n’étaient pas inclus dans les sanctions américaines, et pas seulement de la nourriture et des médicaments. L’Iran, en vertu de l’accord avec les partenaires européens, pouvait être payé en espèces et transférer l’argent dans n’importe quel pays, y compris l’Iran”, selon la source.

Tout cela a été balayé. Le résultat est simple : L’Iran poursuivra son programme nucléaire mais permettra à l’Agence internationale de l’énergie atomique de suivre son développement. Il s’appuie sur les articles 26 et 36 de l’accord nucléaire pour se retirer partiellement, un accord non signé, basé sur la confiance et le respect de la loi. C’est la raison pour laquelle l’Iran a annoncé son troisième retrait, avec l’augmentation de son stock d’uranium enrichi et le remplacement de son IR-1 et son IR-2m par des centrifugeuses IR-6, ce qui devait se produire en 2026, comme indiqué au paragraphe 39.

L’Europe a utilisé toutes ses ressources pour persuader l’Iran de ne pas se retirer, sans résultat. L’Iran est passé d’une “stratégie de patience” à une “stratégie agressive” et ne veut plus entendre parler de souplesse. Le pays fait l’objet de sanctions depuis 1979, il a appris à vivre avec, et sa patience est épuisée.

Les États-Unis n’ont rien d’autre à offrir à l’Iran que de nouvelles sanctions et de nouvelles pressions sur l’Europe pour que le vieux continent les suive sur la voie du retrait. L’administration américaine a prévu de former diverses coalitions, y compris une OTAN arabe, mais jusqu’à présent rien n’a abouti. Les officiels étasuniens croyaient que le régime iranien tomberait en quelques mois et que la population se retournerait contre ses leaders. Cela n’est pas arrivé. Bien au contraire, Trump et ses néo-conservateurs ont provoqué l’union des pragmatiques et des partisans de la ligne dure iraniens dans le même combat. Les États-Unis ont détruit la possibilité d’une discussion sereine avec des gens comme Rouhani et Zarif, et ont montré qu’on ne pouvait pas leur faire confiance pour respecter une entente ou un accord sur le long terme.

L’Iran se sent plus fort : il a abattu un drone américain, saboté plusieurs tankers et confisqué un pétrolier battant pavillon britannique, malgré la présence de la Royal Navy à proximité. Il a montré qu’il était prêt à la guerre sans pour autant la rechercher. L’Iran sait que ses alliés au Liban, en Syrie, en Irak, au Yémen et en Palestine le soutiendront, comme un seul homme, en cas de guerre. Les autorités iraniennes n’ont pas utilisé de slogans révolutionnaires ou sectaires pour faire face aux sanctions américaines, mais elles ont réussi à solidariser le pays autour de sa politique ferme de confrontation avec les Etats-Unis. Washington, largement responsable de la situation dans le Golfe, n’a pas réussi à affaiblir la détermination de l’Iran ni à saper l’économie iranienne. Il essaie de faire croire que sa “politique d’asphyxie” a été couronnée de succès, mais l’Iran ne donne aucun des signes de soumission dont l’administration américaine aurait besoin pour justifier la tension qu’elle a créée au Moyen-Orient et dans le Golfe.

L’Iran mène sa politique à l’égard des États-Unis et de l’Europe comme les Iraniens tissent des tapis. Il faut plusieurs années pour terminer un tapis artisanal et de nombreuses années pour le vendre. L’accord nucléaire a nécessité plusieurs années de préparation, mais encore plus de temps pour obtenir l’acceptation et établir la bonne foi des signataires. La décision simpliste  de Trump a détruit tout ce travail. Les États-Unis et l’Europe ont perdu l’initiative. L’Europe n’est pas en position de s’opposer aux sanctions américaines et n’a rien à offrir à l’Iran pour le convaincre de revenir à la table des négociations.

L’Iran est plus puissant et beaucoup plus difficile à dompter que par le passé. Il s’impose comme une puissance régionale et un challenge pour l’occident. Il dispose d’une technologie nucléaire de pointe, d’un programme d’armement autosuffisant et il consolide ses alliés au Moyen-Orient.

Il est difficile d’envisager que des négociations entre l’Iran et l’Occident puissent se tenir avant novembre 2020, date des élections américaines. L’Iran n’est plus disposé à accepter en 2019 ce qu’il a signé en 2015 ; Trump est responsable du nouveau scénario. La destruction de l’accord nucléaire, donne désormais l’avantage à l’Iran. Le temps viendra où l’administration étasunienne, regrettera la situation où l’a conduit son ignorance des affaires iraniennes, et demandera à revenir à la table des négociations – peut-être après Trump ? Mais les conditions ne seront certainement plus les mêmes et il sera sans doute trop tard pour que l’Iran accepte ce qu’il a accepté en 2015.

Elijah J. Magnier

 

Traduction de l’anglais : Dominique Muselet

Notes

* Relativement abondant, l’uranium est indispensable à différentes techniques nucléaires civiles et militaires. L’atome d’uranium existe sous deux formes, qui diffèrent seulement par le nombre de neutrons dans leur noyau : ce sont des isotopes. A l’état naturel, l’uranium que l’on extrait est composé à plus de 99 %, en masse, d’uranium 238 (que l’on écrit 238U) et à 0,7 % d’uranium 235 (235U). Or, seul ce dernier isotope est fissile et permet donc une réaction de fission nucléaire. Le monde

** Consigliere est un poste au sein de la structure de la mafia sicilienne, calabraise et américaine. Le Consiglière est le bras droit du Parrain et son conseiller. Le mot a été popularisé par le roman The Godfather et son adaptation cinématographique. Wikipedia

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